֎ He'll chop and slice you, cut and dice you.

Le lieu était grandiose, évidemment. Et comme à chaque fois qu’il pénétrait dans la salle de bal, il en avait le souffle coupé. S’il parvenait à passer outre les éclats de voix, il aurait pu se croire à la grande époque : lorsqu’il était encore humain et qu’il parcourait les cours d’Europe avec ses amis aussi débauchés que lui. Une époque qui n’était pas si lointaine et qui lui semblait être une éternité. Revêtu d’un costume sombre et d’un masque de la même teinte, rehaussé d’orfèvrerie d’onyx, il avait misé, comme à ses habitudes, sur la sobriété. Il avait abandonné l’éclat de sa jeunesse lorsque ce dernier l’avait contraint à mettre fin de façon prématurée à son existence pour jeter son corps défendant dans l’arène sanguinaire des êtres de nuit. Après le décès de sa mère, il s’était engoncé dans un corsage de règles, de droiture et de loyauté qui avaient éteint à petit feu une part de lui. Lorsqu’il avait rejoint New Abbotsford et prêté serment de loyauté auprès de la Reine et de son Conseil, il s’était fait oeuvre de justice, acceptant désormais d’être désormais au service, abandonnant sa liberté et son éclat pour se fondre dans la discrétion des ombres qui oeuvrent en secret. Les habitudes avaient la vie dure. C’était l’une des raisons pour lesquelles, sitôt l’émerveillement habituel passé, il arpentait instinctivement les lieux avec la sagacité de ses fonctions. Son masque limitait quelque peu son champ de vision mais le reste de ses sens étaient plus encore décuplés qu’à l’habitude. Le regard vif et observateur, les mains croisés dans son dos, la posture et le menton relevé dans une attitude revêche afin de décourager quiconque de l’approcher, il marchait d’un air assuré et lent, veillant sur les convives dont l’opulence préfigurait la manière dont certains termineraient la soirée, comme s’ils n’appartenaient pas au même monde, comme s’il devait être l’adulte responsable lui qui l’était si peu lorsqu’il ne travaillait pas.

Sur le papier, au-delà de ses fonctions, il avait été personnellement convié. Il ignorait si c’était en raison de sa fonction de bras droit de la Conseillère Bozena ou si le Baron souhaitait l’observer comme on jauge une bête curieuse dans une société civilisée. Peut-être un peu des deux. En temps normal, il acceptait volontiers ce genre d’invitation mais ce soir, il y avait quelque chose de différent. Ce soir, il était bien plus tendu que habituellement. Au regard de sa première rencontre et de ce qu’il avait découvert du Baron, il y avait peu de chance que la soirée se termine en une soirée disco catastrophique à devoir gérer entre demande en mariage impromptu, sex-toy entre flûtes de champagne et cadavre exsangue qu’on découvre en l’absence de chat. Il n’en demeurait pas moins qu’il demeurait sur le qui-vive et que si son coeur possédait encore quelques fonctions de pompage, il battrait à tout rompre dans sa poitrine à chaque silhouette masculine croisée. Le fait que le port du masque était obligatoire n’arrangeait pas les choses et l’agaçait prodigieusement. Ses lèvres nues laissaient échapper sa moue boudeuse. Il adressa un hochement de tête satisfait à l’encontre des miliciens qui le secondaient, voire le suppléent dans leurs tâches.

Scannant la foule discrètement, observant avec attention les danseurs, cherchant secrètement le Baron de son regard sombre, il ne le sentit pas arriver derrière lui. Il dût se mordre la lèvre inférieure pour empêcher ses réflexes de Lieutenant-Colonel de le saisir à nouveau par la gorge et de le plaquer contre le premier mur venu pour avoir envahi son espace personnel sans s’annoncer. Une punition ou un hors d’oeuvre, le contact incandescent de ses lèvres sur les siennes l’ayant poursuivi encore durant quelques jours. Faisant preuve d’une maîtrise de lui-même dont il se félicitait intérieurement, c’est avec une extrême lenteur qu’il se retourna vers l’hôte de la soirée à qui il adressa un salut militaire respectueux. “Baron.” Il lui répondit dans la langue anglaise, permettant aux quelques oreilles alentours de ne percevoir aucune anomalie qui vaille la peine d’être écoutée. “Tous mes remerciements pour avoir organisé une soirée si raffinée.” Un éclat de malice traversa ses yeux plongés dans les lacs éternels qui lui faisaient face. Le gaëlique reprit furtivement sa place. “Dommage que cela manque un peu de chant de marin.” Sa moue boudeuse se transforma pour délivrer un sourire en coin avant de reprendre place. “J’ose espérer que New Abbotsford comble vos attentes et sied à vos souvenirs ?”


@Sorley Glades

Ce n’était ni la première fois, ni la dernière fois qu’il se rendait au palais pour participer à un bal, moins encore un bal masqué. Toutefois, cette soirée avait une saveur toute particulière. Parce que peu d’humains étaient invités. Parce que l’hôte était mystérieux et que les rumeurs les plus folles courraient à son encontre : on le disait d’une grande beauté, d’une grande richesse et d’un grand pouvoir mais également doté de plaisirs pervers et dangereux. Parce que nombre de vampires désiraient recevoir une invitation mais peu d’élus. Parce, pour une fois, Ephraim ne serait pas promené en trophée et qu’il pourrait observer à loisir les beaux vêtements, les pierres précieuses et autres apparats de richesse sous son masque. Parce qu’il serait au bras de son marchand à lui. Rien qu’à lui. Tout à lui. Fier comme un paon, dont il en avait revêtu les atours, il adressa un sourire à son compagnon de ses lèvres roses ressortant plus encore sur sa peau d’albâtre parsemé de grains de beauté. Lorsqu’ils pénétrèrent ensemble dans la pièce, son regard s’émerveilla de la décoration luxueuse, plus encore que habituellement. Il fit mine de ne pas remarquer l’intégralité des regards posés sur eux qui avait autant à voir avec leur allure excquise qu’avec le fait qu’un vampire avait osé amener un simple mortel parmi les immortels. Il n’était pas le seul humain des lieux évidemment mais la grande majorités, mise à part quelques rares Calices, se composaient de domestiques au service de la classe dominante. Sans grande surprise, la plupart des convives étant passés entre ses cuisses, d’un côté ou de l’autre, il fut reconnu sans la moindre difficulté, en dépit de son masque. L’espace d’un instant, son coeur manqua un battement craignant qu’on ne le chasse, qu’on l’humilie en public. Mais Tobias était là pour lui, avec lui.

“Et moi avec vous.” répondit-il, l'appétit aiguisé par ce baiser sur sa joue, presque trop doux et sans commune mesure avec ce dont il avait envie. Le vampire avait-il conscience du feu inextinguible qui embrasait le jeune homme chaque fois qu’il était à ses côtés ? La réponse était sans doute négative et l’était d’autant plus qu’Ephraim refusait de l’admettre lui même. “Merci de m’avoir invité à vos côtés.” répondit-il avec politesse en lui adressant un salut formel avant de s’emparer, avec bien moins de formalité, de sa main pour l’amener sur la piste de danse. “Venez. Que, pour une fois, vous dansiez pour moi.” le titilla-t-il, faisant une allusion non dissimulé aux danses qu’il lui prodiguait en privé. Si les musiciens entamaient un morceau que Ephraim n’avait jamais entendu jusqu’à présent et que les pas des danseurs étaient bien différents de ceux lascifs qu’il maîtrisait, le danseur apprenait rapidement et bientôt il suivait avec bonne humeur et joie les pas de cette ritournelle qui longtemps, continueraient de jouer dans son coeur.

Il a conscience de l’image qu’il renvoie. Et que cette image est conforme à ce qu’il est à l’intérieur. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a su gravir les échelons, gagner la confiance de sa hiérarchie et obtenir le dévouement fidèle de ses hommes. Fitzwilliam Hagebak-Davis est connu pour être quelqu’un de droit, juste, obéissant, intelligent, dévoué et professionnel. S’il apprécie de s’amuser, il n’a jamais commis la moindre bavure ou même erreur qui aurait pu lui porter préjudice. Il sait garder la tête froide même lorsqu’il se retrouve dans la tempête la plus absolue. Il demeure da nsl’oeil du cyclone lorsque tout s’envole et s’effondre. les choses demeurent ainsi depuis la disparition de sa mère, depuis qu’il lui est revenu la charge de porter son héritage sur ses épaules et de faire briller le nom des Hagebak-Davis. Si la mort tragique de son épouse, sans doute dans l’ordre des choses, l’a amoindri durant un temps, il a su se reprendre et demeurer le phare nécessaire pour veiller sur la Cité. Pourtant, c’est la deuxième fois qu’il abaisse les hauts miradors de sa surveillance alors qu’il est en service. C’est la deuxième fois qu’il se voit dévier de son droit chemin. Et le fait que le Baron soit également présent pour la deuxième fois et en être à l’origine n’est sans doute pas une chose anodine à prendre en considération. A l’exception que cette fois, il ne peut le mettre sur le compte fugace et euphorisant de l’alcool et de l’opium. Sobre, le regard légèrement troublé s’échappant de sous son masque, il lui adresse un signe de tête la mâchoire légèrement crispé alors qu’il se fait gentiment mais opportunément remettre à sa place. Après tout, il n’a pas tord : ils ne font pas partie du même monde, plus maintenant du moins, il vaudrait mieux faire comme si ce qu’il s’était passé lors de leur dernière rencontre n’était jamais arrivé.

C’est une chose cependant bien difficile à prendre en compte alors que le regard sombre du Lieutenant-Colonel ne peut s’empêcher d’être attiré par ses lèvres sous le masque. Des lèvres qui ont laissé sur les siennes un goût de trop peu.  Des lèvres qui continuent de hanter ses jours rouges de plaisir. Des lèvres qu’il a la furieuse envie d’effleurer à nouveau alors même qu’il était parvenu à s’auto-persuader qu’il ne s’agissait que d’un unique dérapage. S’il continue à être en sa présence, il craint cependant qu’un second accident n’arrive et il ne peut se le permettre. Pas à nouveau. Pas alors qu’il est sobre et entouré de toute la crème des vampires que compte cette Cité. Se raidissant, il se remémore aussi la violente diatribe qu’il avait prononcé entre ces dents contre son interlocuteur, bien à l’abri de sa maison, le maudissant de tous les mots et de son égarement. Tout était de sa faute et il était insupportable. Et pourtant une pointe de jalousie furieuse jaillit de son coeur, le prenant de court et ayant été capable de couper son souffle dans l’hypothèse où l’oxygène lui aurait été encore vitale. Imperceptiblement, il recula d’un demi-pas lorsqu’une jeune humaine dont l’odeur le titilla se glissa aux côtés du vampire. Le parfum reconnaissable qui émanait d’elle et le geste profondément intime, plus encore s’agissant du Baron, ne laissèrent aucun doute sur l’origine de leur relation. Hazel. Il s’était évidemment renseigné sur l’entourage et l’historique du Baron depuis leur dernière rencontre mais tout demeurait encore nébuleux autour de sa personne, tel le nuage irrésistible de mystère qui l’entourait. Si son salut est un peu raide et ses lèvres quelque peu crispées, les pupilles noires jais du Lieutenant Colonel suivent la caresse lente et appétissante de son compatriote sur la peau gracile de la faible créature. Il remarque évidemment les battements sourds du coeur de la belle : elle est totalement à la merci de son possédant mais Fitz a-t-il seulement les moyens de le lui reprocher ?

Une boule se forme dans sa gorge alors qu’il sent la main de l’écossais se poser sur son bras, dans un geste possessif qui en temps normal l’agacerait profondément mais qui fait, en l’occurrence, courir un frisson sur son épiderme, allant même à le faire regretter la présence épaisse du velours. Je ne peux pas. Je travaille ce soir a-t-il envie de lui répondre, avec l’intention de lui démontrer qu’il le laisse totalement indifférent et que si la mémoire lui fait défaut, la sienne peut s’effacer tout aussi efficacement. Avec effroi, il s’entend cependant répondre : “Evidemment, Baron.” comme un vulgaire courtisan, un employé de basse extraction. Il se dégoûte alors que sa langue glisse sur ses lèvres et que ses lèvres s’étirent en un discret sourire sans prendre la peine de saisir la perche tendue. Au moins, a-t-il remporté une bataille contre la dénommée Hazel même si aucune hostilité n'est déclenché entre eux et que le prix est bien trop important pour chacun d'entre eux. “Baron, si vous le permettez…” Il se penche d’une révérence vers lui afin de lui montrer la direction vers les cuisines où il souhaite visiblement se rendre. “... laissez moi l’honneur de vous guider dans les dédales du palais …” Alors qu’ils commencent à s’éloigner du brouhaha de la salle de balle dans les couloirs sombres d’un lieu qui ne l’est pas moins, il se permet d’ajouter en gaélique “... et peut-être, au passage, t’aider à te rafraîchir la mémoire.” S’il parle des chemins de traverse que le Baron a dû parcourir dans une autre vie ou de souvenirs plus récent, il se garde bien de le préciser alors qu’ils ne se retrouvent bientôt plus qu’en tête à tête pour le plus grand danger du Lieutenant-Colonel.

@Sorley Glades

La jeune diva était à sa place comme elle estimait devoir l’être. Et même si les dernières semaines avaient été particulièrement difficiles, avant que Tobis ne vienne apporter cette chaleur et cette douceur de vivre dont il avait tant besoin depuis l’incident, il retrouvait sa bonne humeur légendaire. Il sentait évidemment les regards glisser sur lui, pour beaucoup offusqués de sa simple présence. Soit parce qu’il s’agissait d’une soirée entre vampires de bonnes naissances et sur invitations, les humains ne servant que de domestiques et certainement pas d’invités. Soit parce qu’il était culotté de revenir après ce qu’il s’était passé et ses frasques précédentes qui avaient fait les gorges chaudes de la Cour. N’avait-il donc aucune honte de revenir sur un terrain où il n’était plus le bienvenu depuis qu’il avait perdu les faveurs du Prince ? La blessure était encore béante et suintante. La douleur de la perte de l’être aimé demeurait incommensurable. Mais doucement, patiemment, le marchand en soierie parvenait à le guérir de cette dernière, à apaiser ses douleurs même si temporairement. Ephraim avait bien conscience de la chance qu’il avait de se trouver à ses côtés et de pouvoir le compter sur l’un des rares vampires de confiance. Il retrouvait ses marques, son air narquois et son sourire ravageur. L’impression fugace qu’il tenait le monde dans sa main.

Ondulant sur une danse qu’il a appris à maîtriser mais qui n’a rien de naturel chez le sensuel danseur vedette de l’Oasis Pleasure, il ne remarque pas les autres silhouettes qui tournent autour d’eux et moins encore la frêle jeune femme qui s’insinue entre les danseurs vers le couple qu’il forme. Son sourire se crispe légèrement lorsqu’elle lui murmure de quitter les lieux et immédiatement, il lui adresse un regard courroucé, l’observant de toute sa superbe et gonflante suffisance. Pour qui se prend donc cette dinde pour exiger qu’il parte ? Un rapide coup d’œil sur ses joues rosies où le sang bat clairement sous le fragile épiderme lui fait comprendre qu’elle est humaine tout comme lui. Ses émeraudes glissent sur son teint de porcelaine avant de s’arrêter sur une cicatrice caractéristique qui le renvoie à un passé pas si lointain mais lui semblant être une éternité. Comme dans une autre vie. Humaine tout comme lui. Calice tout comme il n’était plus. Ses grands yeux de biches s’éloignent déjà avant même qu’il n’ait eu le temps de protester et, surtout au regard de son caractère, de lui montrer qu’il n’était pas dans ses intentions d’obéir à une simple mortelle. Il n’avait plus de maître : plus personne ne pouvait lui ordonner quoi que ce soit. A l’exception de son client du moment.

Il se retourna d’ailleurs vers ce dernier, la mine renfrognée avant de s’exclamer : « Elle se prend pour qui celle-là ? » Secouant ses boucles brunes, il attrape alors la main de Tobias pour l’attirer à lui afin de danser un slow langoureux, détonnant furieusement avec les danses de salon imposées par l’hôte de la soirée. « Elle va voir si je vais m’en aller. » Il se retourne alors, plaquant son corps contre celui du marchand afin qu’il ne fasse un dans une danse qui relevait davantage de l’intime que du public. « Je connais un endroit discret si vous voulez… » murmure-t-il à l’oreille de ce dernier, bien conscient que nombre de vampires les entourant ont parfaitement saisi ses propos. Une idée machiavélique germe dans sa tête et il tarde de la mettre à exécution avant de s’emparer à nouveau de la main de Tobias et de le guider loin de la piste de danse et de la foule étouffante des invités.

@Tobias Browngard