Même le fou, quand il se tait, passe pour sage

Il sait qu'il ne doit pas me laisser faire, me laisser aller à mes envies de sang et de douleur parce que ça ne sera qu'un cercle vicieux où il en faudra toujours plus. Jusqu'où ? Tout dépendra de notre résistance mutuelle. Il doit savoir tout ça et pourtant, avant même qu'il ne m'ordonne de continuer, je sens tout son corps répondre à mes attentions. Il aime ça. C'est parfait. Je n'aurais pas supporté qu'il refuse la souffrance. Ça n'aurait pas pu coller entre nous si je n'avais pas pu lui faire mal. Mais il en redemandé avec une telle vigueur que j'en frissonne.

Je ne me fais pas prier pour mordre plus fort. Beaucoup plus fort que je n'ai jamais mordu quiconque. Vais-je pouvoir lui arracher un morceau de peau à l'aide de mes dents ? Je souris à cette possibilité. M'en laissera-t-il l'occasion ?

Je sens son sang m'emplir la bouche, couler au coin de mes lèvres sous le trop plein, glisser sur ma mâchoire et poursuivre sa route sur ma gorge, entre mes seins. J'aime cette sensation. J'aime tout autant que sentir son corps se tendre sous moi, pour moi. Dans notre position, je peux tout sentir.

Il s'excuse alors. Après ce violent tremblement qui pourtant partait si bien. Pourquoi s'excuse-t-il au juste ? Je me détache de lui pour venir plonger mon regard dans le sien. Je ne prends pas la peine de nettoyer le sang qui macule ma bouche et le reste de mon corps, car j'aime cette sensation et qu'il s'agit de son sang. Je glisse mon index entre mes seins, récupérant l'hémoglobine qui s'y trouve pour ensuite le déposer sur ses lèvres.

«  Il n'y a aucune raison de vous excusez Lucius. »

Sans le perdre des yeux, je glisse ma main sur son torse, sur son ventre, sur le plis de son pantalon. Va-t-il me stopper ? Attraper ma main pour que je n'aille plus loin ? Mon regard l'en dissuade et lui souffle de me faire confiance.

Délicatement, mes doigts se faufilent entre sa peau et le tissu pour continuer leur route. Je l'effleure des ongles avant de l'attraper fermement. Je viens lui mordre la lèvre et cueillir le gémissement qu'il laisse échapper.

« Ne résistez pas. Pas aujourd'hui. »Je souffle avant de lui lécher la lèvre meurtrie.

Il apprendra à se retenir, à faire durer son plaisir autant que le mien. Mais aujourd'hui, il doit goûter au plaisir de… son premier orgasme… ? 600 ans et il ne s'y serait jamais laissé entraîner ? Je n'en serais pas étonnée vu l'homme et ces principes. Il va me falloir réparer cette ignominie.

Entre mes doigts ? Pour le moment oui. Nous passerons à la suite une autre nuit. Mais je ne peux pas le laisser dans cet état. Je me colle de nouveau à lui, pour qu'il sente combien mon cœur tambourine dans ma poitrine à l'idée de ce qui va suivre. J'y prends autant plaisir -ou presque- que s'il était en moi. C'est étrange comme sensation : vouloir lui offrir ce plaisir sans recevoir davantage. Mais ça me va. Ça m'excite même énormément d'être celle qui décide, qui le guide. Je mords de nouveau sa plaie alors que mes doigts se mettent en mouvement, qu'ils se mettent à danser autour de lui, fermement et sensuellement.

Je ne sais pas combien de temps dure ce moment. Peut-être trop longtemps ? Pas assez ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je sais, c'est que j'y prends énormément de plaisir de le sentir réagir, tout contre moi. Quand je sens qu'il est sur le point de venir, je mords d'autant plus fort, je le serre de mes doigts, de mes cuisses qui l'entourent. Un long frisson me parcourt quand enfin son cri me parvient, long et parfait. Son tremblement m'enchante. Je lèche son trapèze mis à mal avant d'extraire ma main. M'essuyer sur les draps ? Impossible.

Je me recule grandement, ne gardant en contact que nos bassins, je prends appuie sur ma main libre, sur le lit. Je veux qu'il me voit entièrement. Je veux qu'il voit son sang qui maquille ma peau claire, qui commence à ma bouche et se perd entre mes seins. Je veux qu'il me voit lever cette main enchanteresse et imbibée de lui. Je l'intime à l'immobilité du regard. Je plonge mon regard dans le sien alors que ma langue noircie de son sang vient lécher chacun de mes doigts avec délicatesse et sensualité. Ce mélange entre son sang et son foutre me fait frissonner. Je pourrais sans aucun doute y prendre goût.

« Comment vous sentez-vous ? » Je demande, une fois ma main nettoyée, un sourire de satisfaction aux lèvres.

Je ne suis pas passé loin de... quoi que ce fut qui était sur le point de m'arriver. Je sais que si j'avais encore été en vie, j'aurais pris de grandes inspirations pour me calmer, moi, et mon rythme cardiaque. Je présente mes excuses auprès d'Amicia, que je ne parviens toujours pas à définir pour moi-même. Mon amie ? Ma compagne ? Mon... amante ? Rien de tout cela, tout me semble beaucoup trop réducteur en cet instant précis. Peut-être mon alter-ego d'un autre genre, d'un autre monde, d'une autre vie. Aucune idée. Cela n'a aucune importance pour le moment. Elle est Amicia, mon Amicia.

Elle me regarde, comme pour essayer de deviner ce qui vient de se passer. J'ai frôlé l'orgasme, je l'ai reconnu, parce qu'il a la même saveur que la mort elle-même dans tout ce qu'elle a de plus libérateur. Je ne veux pas jouir ce soir, pas sans elle, pas avant elle.

"Si, j'ai failli..."

Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase que sa main glisse sur mon corps, lentement, mais surement. Elle glisse. J'ai tout le loisir de l'arrêter, mais je n'en fais rien, je pense que je n'en serai pas capable. Alors je fais tout ce dont je suis capable : supplier.

"...S'il vous plait..."

Elle m'intime au silence juste avec son regard. Je réalise alors ce qu'elle s'apprête à faire... Et mon corps en entier me trahit, se rebellant contre ma conscience... Pire encore, mon bassin se tend vers elle, tout comme ce qu'elle vient saisir avec une étrange douceur et fermeté mêlée. Je fais un bruit à mi-chemin entre le gémissement et le grognement, quand elle vient cueillir ma lèvre, à nouveau.

"...D'accord."

Non, je ne suis pas d'accord, pas comme ça, pas maintenant, pas si facilement ! Je sens mes pieds se contracter, puis mes jambes sous elle. Je pousse un râle au moment où elle se saisit de moi, avant que je ne retombe sur le matelas, la tête renversée en arrière. Elle me maîtrise, me dirige, et on peut même dire que je suis à sa merci. Je me redresse au moment où elle vient contre moi. Je sens sa chaleur, son odeur, toute la musicalité de son corps qui serait sans doute la mienne si j'avais été encore vivant. Je passe mon nez dans son cou, ivre de son pouvoir sur moi en cet instant. Je me suis approché trop près... Ses dents maltraitent encore ma peau déjà meurtrie et je suis presque sur le point de la mordre, elle aussi, quand je me ravise au dernier moment. Nous ferons cela... Plus tard. À présent, je dois juste me maîtriser. Je sais que je peux le faire ! Mais elle m'a aussi demandé de ne pas résister, et c'est exactement ce que je suis en train de faire.

Sa morsure se fait plus profonde à mesure que sa main bouge avec fermeté. Cette fois, je ne tiens plus et pose mes mains sur ses hanches pour la maintenir contre moi, le plus fort possible. Mes doigts entament déjà sa chair, et je sens sa peau sous mes ongles. Elle se colle complètement contre moi, jusqu'à ses jambes qui m'enchaînent à son corps. Cette fois, je ne maîtrise plus rien, et je me laisse aller entièrement à ses soins, seulement vaguement conscient de ma propre identité quand je suis pleinement clairvoyant de la sienne. Nous ne faisons qu'un, ou peut-être est-ce juste moi qui est en plein délire. Le plaisir vient sérieusement et il m'est impossible d'endiguer sa montée fulgurante, je me concentre juste sur l'idée de ne pas mordre à nouveau Amicia à présent qu'elle n'a plus aucune marque extérieure. Je pose simplement mes lèvres contre sa peau pour étouffer mes cris. Le plaisir devient une tempête, et la totalité de ses gestes sont là pour l'amplifier, jusqu'à ce qu'elle emporte tout sur son passage.

Naturellement, j'ai des remords, je me sens parfaitement égoïste, mais je ne peux strictement rien y faire... C'est juste jouissif. Mes mains se tordent et le cri de mon orgasme meurt sur la peau de son cou si attirant. Je me retiens de la mordre de justesse... mais je sais que ma main laisse une trace de griffure sur sa hanche. Je reste là, profitant de l'instant jusqu'au bout, sentant d'étranges soubresauts délicieux dans tout mon corps.

Elle se recule, voulant très certainement regarder son œuvre. Sa main sort de mon pantalon, et je me demande ce qu'elle va faire. Mes lèvres s'entrouvrent quand sa langue sort de sa bouche pour lécher le sang et le... fluide corporel mélangé. Je suis sidéré d'être si attiré par ce simple geste. Au comble de la stupéfaction, elle me demande si ça va...

Moi ?

J'éclate d'un rire dément, hystérique, fou. Un rire qui met beaucoup de temps à se calmer. Quand enfin j'arrive à retrouver un semblant de calme, je me redresse, renversant la tête d'Amicia en arrière. Sans aucune pudeur, je sors ma langue à mon tour pour atteindre le point entre ses seins, où le sang a coulé. Je remonte, pour ne rien laisser, rien gâcher, jusqu'à sa gorge. Je sais très exactement que je suis en train de mettre mon odeur partout sur elle, et c'est avec plaisir que je le fais. Je remonte lentement, jusqu'à sa mâchoire que j'attrape à pleine main, puis sa bouche que j'embrasse avec une passion dévorante, un baiser exigeant qui en veut plus, toujours plus. Finalement, je murmure, tout contre ses lèvres.

"Je me sens... égoïste... pour la toute première fois de ma vie."

Naturellement, il faudrait que je me sente mal, ou que je regrette, mais je n'y parviens pas. Je sais aussi que je ne peux rien faire pour le moment... et je sens l'amer constatation qu'il faudra qu'elle retrouve ses quartiers, et moi que j'honore mon travail.

"Tu ne perds rien pour attendre."

Satisfaction et fierté. Voilà les deux sensations qui se mêlent en moi, à cet instant, quand je l’observe reprendre doucement pied à la réalité. Malgré sa supplique pour que je n’aille pas trop loin, il m’a fait confiance, il m’a laissé faire et j’aime ça. Bien sûr, les autres aussi, me laissent faire mais… Ça n'a jamais été aussi intense qu’avec lui. Il était totalement à moi, sans aucune retenue. Est-ce parce que c’était la première fois qu’on le touchait ainsi ? Peut-être. Mais quelque chose me dit que c’est aussi -et surtout- grâce à ce lien entre nous. Quel lien ? Je serais incapable de le décrire ou de lui donner un nom. C’est plus que de la simple attirance physique. Je veux en voir encore plus de lui, découvrir ce qu’il ne m’a pas encore montré, le pousser à ne pas avoir de limite en ma compagnie. Je veux tout de lui. Et cette pensée m’a autant effrayante qu’attirante.

Son rire me sort de mes pensées. Un rire doux à mes oreilles. Un rire qu’il ne doit pas laisser sortir très souvent. Un rire qui le rend magnifique. Je n’ai pas besoin de le lui dire, je suis persuadée que mes yeux lui livrent le message. Je souris en le voyant venir vers moi et m’attraper les cheveux pour renverser ma tête. Un long frisson me parcourt en sentant sa langue sur moi, je ferme les yeux pour profiter de ce moment. J’ai l’impression que tout est décuplé avec lui. A cause de son sang dans mes veines ? Grâce à lui. J’ai envie de rester ici, enfermée dans cette chambre, en sa compagnie. Je n’ai pas envie de retourner à l’extérieur et de devoir retrouver mon état d’alerte permanent. Avec lui, je sais que je n’ai pas à être sur mes gardes, c’est reposant. Et le fait qu’il soit si proche de moi à cet instant ne fait que le confirmer. Je laisse échapper un soupir de bien-être alors qu’il atteint ma gorge. Je réponds à son baiser avec autant de passion et d’envie. Une envie étrange de le garder pour moi, rien que pour moi. Cela ne m’était jamais arrivé avant aujourd’hui. Je ris à mon tour sous sa révélation et lui mordille la lèvre inférieure avant de lui répondre.

« Cela vous va merveilleusement bien. » Je glisse mes doigts sur la commissure de ses lèvres et ajoute comme une promesse. « Vous allez apprendre à l’être encore plus. »

Que ce soit avec moi ou les autres. Il doit arrêter de les faire passer avant lui. Il doit apprendre à se montrer égoïste pour son propre bien. Je lui apprendrais à l’être. Bien que j’ai conscience qu’il y aura toujours son envie d’aider les humains, ce qui risque de parasiter son apprentissage. Mais chaque chose en leur temps.
Un sourire de défi et d’envie se dessine sur mes lèvres face à cette douce menace. Il me tarde de voir ce qu’il compte me faire pour se venger.

« J’attends votre vengeance avec impatience. »

Malheureusement, pour l’heure, il va me falloir m’en aller. Quitter l’Oasis si longtemps ne va pas être passé inaperçu. Quelle excuse vais-je trouver pour justifier mon absence ? Aucune face aux autres mortels. Quant aux gérants, je verrais bien. En tout cas, je sais qu’avec l’odeur que je porte sur moi, il ne fait aucun doute de ce que j’ai fait de ma nuit et d’une partie de ma journée.

Après un baiser sur ses lèvres, je quitte le lit. Mes jambes sont légèrement tremblantes et cette constatation me fait sourire. J’aime cette sensation. Je passe le bout de mes doigts sur les griffures qu’il m’a faites pendant qu’il prenait plaisir. Ça aussi, ça me plaît. Je me rhabille sans prendre la peine de me laver. Je veux garder son odeur avec moi, me glisser dans mes draps et les y déposer.

Ordinairement, ce sont les immortels qui me quittent et jamais l’inverse. Cette fois, c’est à mon tour de le laisser derrière et … C’est une sensation étrange. Mais il est là, circulant en moi. C’est sûrement la seule chose positive alors que je suis sur le point de partir. Merde. Pourquoi est-ce aussi dur ? Parce que cette parenthèse hors du temps était surnaturelle et bien meilleure que tout ce que j’ai pu connaître. Tout ce qui s’est passé dans cette maison était unique. Je fais marche arrière jusqu’au lit où je grimpe dessus. J’attrape son visage entre mes mains, le prenant en coupe et l’embrasse de nouveau. Longuement.

« Je te reviens au plus vite. » Je murmure à son oreille avant de quitter la chambre. C’est la première fois que je me permets de tutoyer un immortel. Mais Lucius n’est pas un immortel comme les autres, c’est le mien.

Il faut que je parte maintenant ou je suis certaine que je ne pourrais pas m’en aller. Alors je descends du lit et quitte la chambre. J’attrape ma cape en repassant dans la cuisine et entrouvre la porte. Il fait nuit… Alors nous avons passé toute une nuit et toute une journée ensemble et cela me paraît trop court. Bordel. Qu’est-ce qu’il m’a fait ? Je referme la porte sans me retourner car je risquerais de m’engouffrer de nouveau dans ce havre de paix.

Je rentre à l’Oasis, fière de porter cette odeur avec moi. Je vois l’agent de sécurité renifler l’air, probablement pour tenter d'identifier le vampire qui est sur moi. Il semble perplexe. Il ne la reconnaît pas. Ce qui me fait sourire. Je me dirige aussitôt vers mes appartements pour m’y enfermer et glisser, comme prévu, sous mes draps. Je veux qu’ils s'imprègnent de son odeur, je veux le sentir à mes côtés pour les prochains jours.