Réunion du 22 mars 2390

Il était tendu. Evidemment qu’il était tendu. Un vampire venait de mourir sous sa juridiction au sein de la Cité qu’il avait juré de protéger. Rien de la sorte n’était arrivé lorsque Wanda était aux commandes et il se demandait s’il n’aurait, finalement pas dû lui laisser la place. Certes des humains avaient été saignés à blanc sans qu’on ne trouve le coupable. Mais ces meurtres avaient cessé aussi brutalement qu’ils avaient débuté. Et surtout aucun Immortel n’en avait été la cible. Si des querelles pouvaient exister, rien de la sorte n’était jamais arrivé. Et le Conseiller militaire n’avait jamais rien entendu de la sorte. Il n’était manifestement pas à la hauteur de la tâche qui lui incombait. Et il s’apprêtait à recevoir des récriminations de ses pairs, récriminations qu’il savait mérité et qui le hanteraient encore et toujours. Il s’en voulait de s’être laissé aller. D’avoir abaissé sa garde et s’être abaissé à se rendre à l’Oasis Pleasure y profiter de ses spectacles à plusieurs reprises. Il n’aurait pas dû céder. Il aurait dû rester professionnel et renoncer à tout plaisir. Il n’avait pas même respecter un temps de veuvage suffisant. Il s’agissait manifestement de son karma qui se rappelait à lui.

Engoncé dans sa redingote, les lèvres pincées, il pénétra l’antre de tous les secrets, s’attendant à être pris à parti par ses collègues du Haut Conseil. S’il était court, l’ordre du jour n’en était pas moins lourd de conséquences et il lui fallait désormais prouver qu’il pouvait être à la hauteur. Nerveusement, il adressa un signe de tête aux autres membres, attendant que chacun prenne place pour en faire de même. S’il n’y avait pas de prédominance entre eux et qu’ils étaient sur un pied d’égalité, la meilleure preuve en était la forme ronde de la table qui les réunissait, il avait bien conscience que le premier volet de ce dernier impliquait qu’il prenne la parole en premier. Se raclant la gorge, mal à l’aise, il finit par prendre une inspiration profondément inutile avant de débiter les informations recueillies jusqu’à présent par la Milice.

“Concernant le meurtre, voici les informations recueillies par la Milice jusqu’à présent : Haywood Grenville était un fonctionnaire travaillant au sein du Département de l'Economie et plus particulièrement dans le service des Travaux Urbains. Il veillait à la réfection de la voie publique et l'entretien des bâtiments publics. Tommen le confirmes-tu ?” Il jeta un rapide furtif coup d’oeil vers le Conseiller avant de continuer sa litanie d’informations. “Originaire de Québec, il s'agit d'un vampire assez jeune puisqu'il n'avait qu'environ 200 ans. Il a deux soeurs plus âgées qui vivent à New Riverlake et avec qui il entretenait des relations cordiales mais sporadiques du fait des difficultés de messagerie entre les Cités ces derniers temps. Il ne lui est pas connu d'ennemi ou d'inimité particulière, si ce n'est avec William Wyndham qui estimait que les travaux en cours autour du Grand Bazar nuisait à son commerce. ”

Il interrogea alors du regard Tommen pour savoir si ce dernier avait d’autres informations à apporter. Puis il se tourna vers Lucius, l'interrogeant directement : "Etait-il un de vos fidèles ? Je ne possède pas d'informations sur ce sujet."

Ce n'est pas réellement que j'étais en colère, ou désabusé, mais depuis la nouvelle, je passe d'un état à un autre de manière irrationnelle. Des menaces qui pèsent sur les vampires ? J'en entends toutes les semaines de la part de mes protégés, mais ce n'est rien en comparaison des choses qui pèsent sur les mortels.

Des humains ont souffert, sont morts, ont été assassinés, sans que ça émeuve qui que ce soit. Et là, sous prétexte qu'un immortel a été atteint, c'est une réunion d'urgence à laquelle on me "convie". J'hésite sincèrement à y aller. Pas que je n'ai pas envie de donner mon avis si fermement ancré dans ma tête, c'est juste que j'aimerais montrer mon désaveu par rapport à toute la situation. J'ai prévenu mes pairs, depuis des années, et plus intensément ces derniers mois. Quand la bête qui sert de bétail souffre, la viande est moins bonne. Quand elle sert d'amusement, elle finit par se rebeller. Enfin, quand elle sert d'animal de compagnie maltraité, elle finit par tuer son maître. Je ne comprends pas, nous avons tous été humains un jour, notre statut de vampire ne nous confère pas la supériorité, en aucun cas.

Toujours est-il que je me lève de ma cuisine et me décide à me montrer à cette réunion. J'espère ne pas perdre mon sang-froid, sincèrement, je prie même pour rester calme. Je suis sur les lieux avec plusieurs heures d'avance. Je reste stoïque, dans un coin, à attendre. Je me demande si qui que ce soit me fera l'affront de me demander des nouvelles de Circé, mais personne ne semble s'y résoudre, j'imagine qu'un immortel qui quitte la terre est effectivement un sujet tellement plus grave qu'une esclave au service d'un maître.

Je ferme les poings... et les yeux. Je retrouve un semblant d'apaisement juste à temps quand les portes s'ouvrent enfin. J'entre, et je prends place sans un mot. Fitzwilliam Hagebak-Davis, de son nom complet, arrive et nous salue d'un signe de tête. C'est un bon conseiller, j'en suis convaincu. Je regrette que toute cette histoire lui soit directement imputée... Mais c'est moi le responsable indirect ; ma conscience ne se départit pas de cette idée.

L'identité totale du vampire décédé est restituée ici. Aucun mortel n'avait eu un tel privilège, c'est à peine si on se souvenait de son nom... quand on pensait à le mentionner. Tommen est interrogé par deux fois pour corroborer les dires de celui que tous appellent Fitz. Je suis surpris quand le conseiller se tourne alors vers moi pour me poser une question. Je m'offre le malin plaisir de lui répondre.

"Non."

J'ai beaucoup de mal à ne pas avoir un demi-sourire. Je déteste qu'on me réponde laconiquement, j'imagine qu'il en va de même pour toutes les personnes présentes. Cependant, je ne fais pas mariner inutilement la personne qui m'interroge.

"Navré, mais je ne suis pas ici en tant que prêtre, je suis là en tant que conseiller de l'égalité. Si je peux vous apporter quelque chose sur mon autre profession, c'est celle-ci : les humains qui viennent me voir sont très nombreux à vouloir être libres. Vous... Nous sommes leurs souffrances, leurs chaînes. Si j'arrive à apaiser la plupart des grognes, je ne suis pas magicien." Je ne peux pas donner de nom de vampires qui sont menacés, c'est sous le secret de la confession. "En tant que Conseiller, à présent, je vous demanderai d'agir, et d'agir vite. Je conçois que vous vouliez vous protéger... mais il s'agit surtout de ne pas faire empirer la situation. Je ne connais pas vos vécus à tous, mais je peux vous assurer que je me souviens très bien d'une chose : un humain est prêt à sacrifier jusqu'à sa vie pour retrouver sa dignité."

Sans m'en rendre compte, je me suis levé. Je reprends place, tranquillement.

"Si vous réprimez les humains dans leur totalité pour ce crime, vous faire le jeu des vrais oppresseurs."

Oui, je suis toujours persuadé que l'investigateur du crime est un vampire. Les humains n'ont strictement aucun intérêt à s'attaquer à un immortel sans importance... À moins qu'ils ne testent la meilleure manière de nous supprimer, ce qui serait intéressant.