Liens du sang [PV Lucius]

Cela faisait bien longtemps déjà que son sommeil était perturbé par des souvenirs du passé. Il lui semblait percevoir la présence de son Père à proximité, comprendre par là à moins de centaines de kilomètres de distance, or Gottlieb n'était plus depuis de nombreux siècles. Son esprit lui jouait-il des tours ? La folie menaçait-elle de s'emparer de lui ? Cette solitude qu'il avait choisi d'embrasser pleinement en refusant de suivre les siens sur le vieux continent lui pesait-elle inconsciemment ? Rodan l'ignorait, ou tout du moins refusait d'y songer de la sorte, aussi après avoir passé de longues nuits à refuser de suivre cette piste qu'il pensait sentir au sein de la cité, finit-il par se rendre à l'évidence : soit il levait le voile de ce mystère... soit il pouvait dire adieu à ses journées de repos. Son humeur irritable et irritée eut raison de ce pseudo dilemme et il se mit en quête durant une nuit où la lune était ronde et plus lumineuse que les éclairages de la cité, suivant cette piste que son instinct lui hurlait depuis si longtemps, trop longtemps maintenant.

Quittant le quartier des habitations du Sud-Ouest, il remonta jusqu'au Centre si animé de la cité où il se rendait fréquemment, que ce soit dans le cadre de son travail ou bien à des fins plus personnelles. Le monde autour de lui semblait flou et inintéressant tandis qu'il remontait la piste ferreuse instinctive qui guida ses pas jusqu'à un bâtiment devant lequel il s'arrêta, interdit et circonspect : le Sanctuaire. Il se souvenait des différents rapports qu'il avait pu lire à ce sujet : un lieu de paix offrant aide et protection à qui le demandait, où les mortels pouvaient venir se plaindre et où les immortels malheureux de leur sort pouvaient s'épancher sur une éternité qui leur pesait.

Pfeuh...

Après avoir jeté un bref regard méfiant autour de lui, Rodan poussa la porte et pénétra à l'intérieur de l'endroit présumé sacré, notant la fraîcheur et le calme des lieux. Bon, jusqu'à présent force était de constater que les rapports n'avaient pas menti. L'endroit était propre, frais et sec, des bougies brûlaient ça et là, éclairant l'endroit d'un halo bien différent des lumières électriques de la Tour et des habitations des immortels plus ou moins aisés. Intéressant. Et pourtant le plus intéressant fut encore cette signature ferreuse unique, cette odeur qui valait une présence familière tout en étant singulièrement différente, et qui se matérialisa sous la forme d'un immortel vêtu en prêtre, et qui à voir la façon dont il le salua en avait bel et bien les manières.

- Bonsoir.

Répondit sommairement Rodan en s'approchant lentement de l'homme, ses yeux de glace se plissant comme s'il cherchait à le sonder, à l'examiner tel un être étrange dont il ne croirait pas qu'il soit réellement là devant lui.

- Qui êtes-vous, exactement ?

Le ton est froid, sans bienveillance ni chaleur particulière, et teinté d'un scepticisme que l'absence de présentations formelles pourrait paraître inconvenant à quiconque serait animé de bonnes intentions, ce qui ne semble pas forcément être le cas du Strigoï qui vient de pénétrer en ces lieux.


@Lucius Malkavian

"Je suis Lucius."

Lucius Malkavian, cela il le savait déjà, mais pourquoi fallait-il toujours que ses interlocuteurs tentent de jouer au plus malin ? Il lui avait demandé qui il était "exactement", pas quel était son prénom. Le regard de Rodan se plissa de mécontentement, mécontentement qui s'accentua d'autant plus quand lorsque l'individu le qualifia de "jeune homme".

"Sachez, jeune homme, que la convention voudrait qu'on se présente avant de demander à l'autre d'en faire de même."

- Les conventions sont bonnes pour ceux qui n'ont ni objectif à atteindre ni but dans l'existence au point de perdre du temps dans des joutes verbales inutilement chronophages. Quant à m'appeler "jeune homme", je conçois que vous semblez être plus âgé que moi, mais cela ne semble pas être de beaucoup, alors votre condescendance vous pouvez vous la garder.

Ce qui était un comble pour quiconque avait déjà eu affaire au Lieutenant, mais cela il se gardait bien de le dire, sa nature directe et ses propos sans ambage étant davantage connus que la supériorité que l'on pouvait pourtant lire dans chaque regard qu'il portait sur les mortels de la cité. Lucius pourrait croire que le ton abrupte de Rodan était la conséquence directe de l'agressivité sous-jacente qu'il éprouvait, et pourtant il n'en était rien : il était ainsi, froid, méthodique, implacable et rarement enclin à la prévenance et moins encore à la pitié. Le Strigoï de son côté scrutait le Prêtre dont les rapports avaient confirmés qu'il officiait bel et bien sous ce titre selon les us et coutumes d'antan, chose suffisamment rare pour être digne de respect, si tant est que l'on soit du genre à trouver ce genre de vocation utile au monde et que voir un immortel aussi ancien prendre une respiration ne vous irrite pas. Le Lieutenant perçu la tension qui s'installa dans le corps de son vis-à-vis et un sombre sourire vint étirer le coin de ses lèvres.

- Puisque vous semblez avoir saisi qu'il se passait quelque chose, je vais me plier à votre demande pour cette fois. Je suis Rodan Coldwater, Lieutenant de la Milice de New Abbotsford, et si je suis venu vous trouver cette nuit c'est parce qu'il s'avère que nous partageons le même sang.

Tout sourire, aussi cruel ou amusé soit-il, avait disparu, ne laissant qu'un regard froid empli de sombres pensées et un visage dur qui n'appelait à aucune familiarité.

- Ne vous méprenez pas, je ne suis pas ici pour nouer un quelconque lien avec vous, mais je veux savoir comment il est possible que vous existiez par son sang alors que je ne vous ai jamais vu de toute mon existence.

Qui était de toute évidence pratiquement aussi longue que celle de Lucius, chose d'autant plus surprenante que la famille au grand complet avait été rassemblée la nuit de sa transformation, comme cela se faisait à l'époque. Un frère, non, il se refusait à le qualifier ainsi pour l'instant, un membre de sa famille plus âgé aurait forcément dû être présent, ou tout du moins mentionné pour son absence, mais non, rien n'avait été dit et jamais aucun de ses frères ou sœurs n'avait évoqué l'absence d'un des leurs. La seule réponse logique était un infantement fait dans le plus grand secret, mais cela s'accompagnait également d'un immense "Pourquoi ?" auquel Rodan comptait bien donner une réponse.


@Lucius Malkavian

"Les conventions sont bonnes pour tous, ici. Roi comme mendiant. C'est étrange que vous me disiez ne pas vouloir perdre du temps alors que c'est ce que vous faites de manière parfaite en vous paraphrasant vous-même. De plus, le temps est sans doute la denrée dont vous disposez le plus. N'est-ce pas ?"

L'homme a de l'esprit, assurément, et Rodan plisse les yeux en songeant qu'il n'aime pas qu'un vis-à-vis ait plus d'esprit que lui, c'est souvent source de frictions supplémentaires voir de confrontations plus ou moins hargneuses. Cependant le Lieutenant convient et concède à se plier aux usages en se présentant, même si l'autre prétend qu'il ne lui a rien demandé. Si, implicitement c'était une demande pour qui lit entre les lignes, qu'elle ait été ou non volontaire importe peu. Le Strigoï évoque alors le motif de sa venue et fait part de ce sang qu'ils partagent et...

"Non merci, je ne partage mon sang avec personne."

Le fait-il exprès ?! La colère gronde sous la surface des yeux bleus mais Rodan demeure d'une parfaite immobilité tandis qu'il achève d'évoquer leur apparemment seul point commun, celui d'avoir été engendrés par le même Père. Il attend ensuite quelques secondes, jusqu'à-ce que la lumière pénètre l'esprit de ce Prêtre qui semble avoir eu du mal à comprendre où il voulait en venir.

"Qu'est-ce que cela peut bien vous faire, dans ce cas ?"

Que voilà une question aussi intelligente que logique : qu'est-ce que ça pouvait lui faire qu'ils partagent ainsi un lien de sang ? Rodan se refuse à l'idée de lui avouer que sentir ainsi l'odeur de son Créateur, fut-ce par l'un de ses infants, le perturbe au point de l'empêcher de trouver le repos et qu'il était obligé de venir vérifier de lui-même de qui il s'agissait. Il se refuse également à reconnaître qu'une part de lui a naïvement espéré que la Mort n'avait pas emporté son Père et qu'il avait survécu par on ne sait quel miracle, se tenant dans l'ombre durant tous ces siècles avant de réapparaître. Oui, seul un enfant oserait proférer de telles absurdités, or il n'est plus un enfant depuis longtemps... même s'il demeurera à jamais Son fils.

"J'aimerais le savoir aussi. J'ai été forcé à la transformation, j'ai dû choisir entre moi et mon ami le plus cher."

Forcé ? Les yeux du Lieutenant perdent cet éclat défiant pour se parer d'un début d'étonnement.

"Puis, j'ai été étudié, comme on regarde l'évolution d'un rat de laboratoire. Enfin, j'ai été abandonné à mon sort quand je n'étais pas assez docile pour obéir à un homme monstrueux."

Monstrueux ? MONSTRUEUX ?! La mâchoire du Strigoï se crispe immédiatement, tout comme ses poings se ferment à en faire blanchir davantage les jointures. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?!

"...Et vous ?"

Lui ? Le menton se redresse, fier et hautain, la moue méprisante revient à la charge, surmontée d'un regard bleu qui n'a de glace que la couleur tant une vive émotion semble les habiter, une émotion rageuse.

- Moi ? Je suis le fils de celui que vous osez qualifier de monstrueux, et je vous interdit de parler de lui en ces termes. J'ignore si ce que vous dites est la vérité ou bien votre version de la vérité, mais mon Père n'aurait jamais abandonné l'un de ses Infants et ne se serait sûrement pas servi de lui comme d'un rat de laboratoire. C'est impossible.

Non, cela ne se peut, Rodan refuse d'y croire et tout son être se tend à cette idée qui l'indigne au plus haut point.

- Je suis désolé pour votre ami... Non, en vérité je n'en ai que faire, cependant votre ami a servi votre cause par son sacrifice, quel qu'il fut. J'ignore si c'est vous ou mon Père qu'il a nourri, mais cela demeure une nécessité pour un immortel de s'abreuver à même une source encore pleine de vie.

Lentement, les poings se rouvrent et le Lieutenant commence à se mettre en mouvement, tournant autour de l'homme pour l'observer sous toutes les coutures tout en gardant une distance prudente, ou respectueuse, difficile à dire quand on le voit plisser les yeux comme s'il cherchait à évaluer le propriétaire des lieux.

- C'est si surprenant qu'il ne vous ai pas gardé à ses côtés... L'avez-vous repoussé ? L'avez-vous fuit ? A moins que vous ne l'ayez profondément déçu d'une façon ou d'une autre. Vous semblez encore si attaché à la vie humaine, peut-être a-t-il vu que vous n'abandonneriez jamais cette faiblesse, mais cela m'étonne malgré tout. Encore que...

Il s'arrête, sourcils froncés, fixant le Prêtre non plus avec méfiance ou dédain méprisant, mais avec un air intrigué et songeur à la fois.

- Quel âge avez-vous, exactement, le savez-vous ? Les miens ont jadis évoqué une terrible période pour notre Père sans qu'aucun de nous n'ait jamais eu connaissance des détails, seulement qu'il revint d'un endroit lointain où il fut enfermé et forcé de redevenir plus sauvage pour survivre.


@Lucius Malkavian