Take me to the church (Lucius)

Février 2390 | Le Sanctuaire

« Bonjour Père Malkavian », dit-il d'une voix posée alors qu'il se laissait choir sur la banc du confessionnal, à l'abri des regards.

Il n'en avait parlé à personne, pas même à ses plus proches alliés dans la rébellion. On lui aurait dit qu'il perdait son temps, qu'il y avait sans doute plus urgent pour faire avancer la cause et ce, à juste titre aurait-il dit si sa curiosité ne le rongeait pas depuis un long moment. Affamé d'une vérité qu'il n'aurait su revendiquer aussi aisément que de coutume, il avançait en terrain inconnu entre les quatre murs de cette bâtisse. Havre de paix  des deux espèces pour certains, lieu de recueillement pour d'autres, le mortel était entré à pas de loup dans cette bergerie d'apparat où des brebis égarées se laisser aller à la confession de leurs plus sombres pensées.

« Pour être honnête, j'ignore ce que je fais réellement ici », poursuit-t-il en regardant droit devant lui, ses doigts venant se joindre pour former un joli nœud de chaire.

Une vérité à demi-mots.
Mikhaïl avait beaucoup de connaissances pour un simple mortel, il était instruit et éduqué, mais la religion n'avait jamais fait partie de son initiation. Bien au contraire. Bannie du monde dans lequel il avait évolué, il n'avait eu que pour foi aveugle et dévotion, la voix unique de ses maîtres. Idéologie au pragmatisme forcé, il avait avancé ainsi durant de nombreuses années avant d'embrasser une liberté si douloureusement acquise.

« Devrais-je commencer par un discours du genre ''Pardonnez-moi mon Père car j'ai péché'' ? ».
Léger rictus partagé entre cynisme et réelle destination vers l'inconnue, l'ancien fugitif opte pour une bonne foi partiellement fondée.

Luxure, mensonge, manipulation, meurtre. La liste était longue.
Voyant les dogmes religieux de tout genre et de tout type comme fabulateurs et opportunistes, l'espion avait pris sur lui pour se mettre dans la peau d'un réel repenti et faire fi de ses convictions tenaces. Cependant, loin d'être novice en la matière et conscient qu'il s'adressait non seulement à un vampire mais qui plus est un membre de la Régence, c'est de tout ses talents de caméléon que Mikhaïl allait devoir jouer. Laissant volontairement une partie sincère de son subconscient s'adresser à l'immortel, il lui était ainsi plus facile de contrôler les battements de son cœur faillibles à l'ouïe de ces créatures de la nuit.

« Ou, puis-je m'égarer vers quelque chose de moins conventionnel ? », termine-t-il finalement avant de tourner pour la première la tête vers la loge du prêtre, le grillage en bois masquant la vue de son visage qu'il avait pourtant déjà aperçu à maintes reprises en l'observant discrètement au cours des dernières semaines.

Le jeu du chat et de la souris pouvait commencer.

Février 2390 | Le Sanctuaire

Une nouvelle nuit, des nouveaux visages, de nouveaux problèmes... Parfois, souvent, en fait, je me surprends à regretter le temps où je m'occupais de mon asile de fous. Ce n'était pas facile, c'était même très délicat, mais je n'avais alors qu'à tendre la main en espérant qu'on ne me morde pas en retour.

Cependant... Là, je suis dans la position des mordeurs, de ceux qui contraignent. C'est une tout autre musique, une musique violente, chaotique, et sur laquelle il n'y a aucune possibilité de résolution.  Je ne me place plus dans la position délicate, mais gratifiante du sauveur... mais celle immensément profonde de l'oppresseur.

Une nouvelle musique me parvient, vivante, celle d'un cœur qui bat dans une poitrine, un cœur avec de la passion, qui doit nourrir en sang un esprit plein de rêves.

"Bonsoir, mon fils."

Un nouveau, ou du moins, il ne me dit rien. La musicalité de sa voix m'est étrangère.

"Il n'y a pas besoin de but précis, pour venir ici. Peut-être que vous trouverez quelque chose que vous ignoriez chercher."

Un petit rire m'échappe. Oui, c'est définitivement un nouveau.

"Vous pouvez dire ce que vous voulez. C'est amusant, je n'ai jamais apprécié cette formulation pour ma part." Je reprends sur un ton beaucoup plus sérieux. "Ce moment vous appartient, à vous seul. Peut-être pourriez vous commencer par me dire comment vous allez, et de quoi vous auriez besoin pour aller mieux ?"

Je joins mes mains pour commencer à prier pour lui, pour son âme qui vibre encore de toute sa vie. Entre mes doigts, une allumette, qui n'attend que de s'allumer un frottement, une étincelle, une source de chaleur. C'est une habitude dangereuse, je le sais, mais j'ai du mal à m'en empêcher.

"...Et me dire aussi ce que je peux faire pour vous."

Il y a longtemps que j'évite de demander aux gens qui ils sont, comment ils se perçoivent eux-mêmes. Depuis plusieurs décennies, j'ai l'impression que l'espoir s'est évaporé. Alors j'essaie de le faire renaître, plutôt que de mettre en lumière toute cette noirceur.

Février 2390 | Le Sanctuaire

Maintenir les battements de son cœur à couvert était le point plus sensible de cet échange à double sens. Depuis aussi loin qu'il se souvienne, l'éducation de Mikhaïl lui avait appris à en prendre le contrôle afin qu'aucun immortel ne lise le trouble si aisément trompeur au travers de son enveloppe charnelle. Une faiblesse naturelle avec laquelle il s'était battu toute sa vie et pour laquelle il luttait encore à l'heure actuelle. Inspirant calmement, vidant son esprit le plus possible tout en gardant en mémoire le but de son investigation auprès de ce vampire, il était prêt à poursuivre sur sa lancée.

« Comment vais-je ? En voilà une question pour le moins singulière à mon encontre. Encore moins posée par un hématophage, je dois bien l'avouer », se permet-il de répondre d'un ton faussement innocent.

Une fois de plus, une vérité nullement déguisée que nombreux des humains prisonniers des cités ressentaient depuis leur premier souffle de vie. Une généralité accablante pour une population de mortels en proie davantage aux obligations et devoirs plutôt qu'au respect de leur existence éphémères. Et dans ce domaine là, le résistant en portait l'un des étendard les plus marquants.
Lèvre inférieure mordillée, phalanges entrechoquées entre elles, le trentenaire laisse échapper un petit rire étouffé.

« Pardonnez mon outrecuidance avec de telles paroles mon Père, mais j'appartiens au rang des mortels, mon ressenti n'a donc aucun intérêt pour la plupart des habitants de cette cité. Possiblement pour mes semblables et encore. Ma famille peut-être ? ». Une petite grimace ourle ses fines lippes. « Hmm... Hélas faudrait-il encore que j'en sois muni d'une ».

L'espace d'un instant, ses propres mots font écho à son ancienne vie martelée d'un flot de souvenirs contradictoires mais aussi et surtout à l'absence de racines familiales auxquelles se rattacher. Sans même s'en rendre compte, il baisse légèrement la tête, ses yeux s'arrêtant instinctivement sur son poignet droit couvert par sa manche, dissimulant une marque de brûlure grossière et épaisse. Vestige de ses années de courtisan, Mika serre machinalement le poing l'espace de quelques secondes avant d'en prendre conscience et cesser immédiatement. Certaines remémorations restent encore trop pénibles malgré les années écoulées.

Relevant le menton, le faux pécheur retrouve aussitôt son rôle et les traits de son visage tendus reprennent davantage de souplesse.

« Sans doute me trouverez-vous bien indécis face à cette visite nocturne car, quant à ce que vous pouvez accomplir pour me soulager, j'ai bien peur, malheureusement, de moi-même l'ignorer », souffle-t-il dans une confession pas aussi éloignée de la vérité qu'il le souhaiterait. « Je ne suis pas avare de dialogue à l’accoutumée, cependant me voilà bien coi lorsqu'il s'agit de vous expliquer les raisons de ma venue en ces lieux. Peut-être avais-je tout simplement besoin de parler ».

Il tourne de nouveau sa tête en direction du religieux, ses perles azuréennes observant ce dernier de toute leur attention.

« Puis-je vous poser une question mon Père ? ». Un silence s'installe un bref instant. « Pourquoi avoir choisi une voie si différente de celles de vos homologues à dents longues ? ».

Février 2390 | Le Sanctuaire

Si j'avais été encore en vie, j'aurais sans doute été rouge de honte. Certains de mes pairs n'acceptent… n'acceptaient pas qu'on viennent les voir juste pour les insulter. Ce n'est pas mon cas. J'entends sa musique, l'appel de détresse derrière. Sinon, quel est l'intérêt de cet homme ? Me voir en colère ? Non, ce genre de choses ne prend pas sur moi. Je reste donc parfaitement calme, quoique honteux. Je secoue la tête, approche mon allumette pour en respirer l'odeur de souffre apaisante, énonce une prière silencieuse, avant de répondre posément, gravement.

"J'ai toujours eu à cœur de savoir comment vont tout être vivants autour de moi. Peu m'importe leur nature."

Ce serait presque comme reprocher à un éleveur de s'inquiéter du bien être de ses bêtes et de vouloir tisser une relation affective avec eux. S'interroger et s'intéresser à ce qui est inférieur n'est pas dans la nature de l'homme, pas plus maintenant qu'avant. Je me demande si les humains qui méprisent les humains se sentent devant le regard d'une vache laitière.

Nouvelle inspiration, nouvelle odeur de souffre. Il demande pardon.

"Je vous prie… ne prétendez pas savoir ce que je devrais penser ou croire. Moi, je m'intéresse à vous. À vous de voir ce que vous en ferez."

Serait-il de ceux qui aiment se faire plaindre ? Non, sa musicalité n'est pas de ce genre-la. Que cherche-t-il, au fond ? Me faire culpabiliser ? C'est déjà fait, mais dans quel but ? Je ne suis que moi, après tout. Quel intérêt y a-t-il à vouloir davantage mettre l'accent sur une inégalité que je ne vois que trop bien, que j'essaie de changer ?

Le jeune homme reprend la parole pour s'expliquer, ce qui me fait sourire. Ce n'est ni le premier, ni le dernier dans ce cas là. Les gens qui ne sont pas perdus n'ont rien à faire ici.

"Parlons, alors."

Il commence par me poser une question très personnelle et il me faut quelques secondes de réflexion afin de trouver la formation qui convient.

"J'ai… toujours été prêtre… c'est être vampire que je n'ai pas choisi."

J'ecarte les doigts autour du petit morceau de bois.

"Mais même alors, si ma vocation était moins rare parmi mes frères, ils faisaient grand tapage de ma volonté de traiter tout le monde sur un même pied d'égalité. Je m'occupais de fous, à l'époque de ma vie, de fous dangereux autant que d'inoffensifs. Dans le cœur des hommes, j'étais autant une aide qu'une gêne pour ceux qui voulaient juste les effacer de leur existence. Cela n'a pas changé aujourd'hui… toujours subversif, toujours prêtre… mais plus vivant."

…et le suicide m'est toujours interdit…

"Ma voie est celle qui me convient, je n'en changerai pour rien au monde."

L'allumette change de main et je caresse le bout noir de la pulpe de mon pouce.

"Et vous, qu'auriez vous voulu faire dans votre vie, et l'avez vous accompli ? Quelles sont vos aspirations les plus extravagantes ? Je veux tout savoir."