If I only could make a deal with God ( Fr Lucius Malkavian )

Ses grands yeux battaient furieusement. Le jour s'était couché peu de temps avant et les murs portaient encore la chaleur amenée par le soleil. Devant lui s'érigeait un bâtiment qu'il avait mis du temps à appréhender. Ce n'était pas un temple, ils appelaient cela une église. Lors de ses explorations diurnes, il avait pu constater plusieurs choses. Déjà, l'atmosphère était très solennelle. Sérieuse. Profonde. Ici, il y avait de la pierre, mais on lui avait dit qu'autrefois ces églises étaient faites plutôt de bois. Et qu'il y en avait absolument partout. Dans chaque ville. Parfois même, plusieurs par patelin. C'était surprenant.

En questionnant d'autres humains, certains avaient pris le temps de lui expliquer brièvement la religion qu'on considérait majoritaire. A sa grande surprise, on admettait qu'un seul Dieu. Et il comprenait maintenant le sens de beaucoup d'expressions. " Dieu merci." " Dieu nous garde.". Lui avait toujours cru qu'on parlait au pluriel, qu'il y en avait plusieurs, comme les Mères le lui avait appris. Mais pas ici.

Dieu était une sorte de Zeus. Et le Diable Hades. Mais, en vérité, le Diable était aussi un ancien ange. Enfin, ça, il n'en était pas certain. Il avait du mal à retenir toutes ces nouvelles informations. Il avait saisi qu'on priait, en revanche. Comme lui priait Apollon le Magnifique. Et qu'on se réunissait pour célébrer. Il y avait des fêtes au calendrier, là aussi, comme lui.

Mais ce soir-là, il recherchait surtout un visage. Celui qui se prétendait être l'équivalent des Mères. Le Prêtre. Elles étaient des Prêtresses. Il l'avait déjà vu, quelques fois. Il avait constaté avec effroi qu'il s'agissait d'une des créatures de l'ombre. Et qu'il portait un drôle de vêtement qui n'avait rien à voir avec les tuniques en coton blanc qu'on arborait dans La Famille. Mais celui-ci l'effrayait moins que ses congénères, il avait un visage plus doux. C'était peut-être dans le regard.

Il se décida finalement à s'avancer, poussant la porte en bois de ses mains percluses de bijoux. Il en portait partout, encore, et toujours. De l'or - ou du plaqué - dans ses boucles pleines. Des chaînes à son cou, fines et brillantes. D'autres à ses poignets, et encore à ses doigts. Du métal qui voulait souligner ses traits, qui voulait magnifier une beauté qu'il entretenait avec la même rigueur qu'un militaire le faisait avec son équipement.

La beauté était la grâce d'Apollon. C'était un cadeau, un don.

Ici, la beauté était étrange. Elle était majestueuse, imposante. A bien y réfléchir, il se sentait écrasé dans ce lieu où flottait une légère odeur. Probablement un encens, mais pas le même que celui qu'on brûlait dans la maison de La Famille. Ses sandales foulaient les épaisses dalles quand il s'avança dans l'allée, ne sachant naturellement pas la fonction ni la nature du bénitier devant lequel il passa avec nonchalance.

" ... Il y a quelqu'un ?" Sa voix mourut sur la fin de sa phrase, le jeune homme échaudé d'entendre son propre écho lui renvoyer ses mots.

Le léger écho de sa voix trouva finalement un écho. Il n'était pas seul, et pourtant il n'avait senti aucune présence. Il lui arrivait parfois, parmi les morts-vivants, de ne pas les sentir. C'était un drôle de sentiment, comme s'il se promenait dans une immense maison de poupées, parmi ces êtres qui ressemblaient tant à des humains sans en être.

Celui qui lui faisait face depuis l'autre côté de l'Eglise était l'un des leurs. Ses sourcils se froncèrent d'un rien à l'idée que son incarnation du Mal soit porteuse de bonne parole dans une autre paroisse. Pour Lysander, une certaine hérésie se dégageait de ce constat. Après tout, le vampirisme n'était pas une maladie, majorité de ceux qui se nourrissaient désormais de la vie humaine avaient accepté un jour de basculer dans le camp des tueurs.

Il s'avançait finalement sur l'allée principale, et le rejoignit d'un pas léger, s'arrêtant à la hauteur du jeune Apollon. Lysander replaça doucement une petite plume dorée dans sa chevelure piquetée de chaînes fines, d'anneaux et de broches discrètes. Son teint était hâlé d'une nouvelle journée à saluer son Dieu Soleil, et il dégageait encore cette chaleur caractéristique qui semblait se masser sous la peau. Enfin, le gardien de cette Foi inconnue se présenta à lui, officiellement cette fois. A contrario de ses anciennes tentatives, maladroites et timides, qui l'avaient poussé tant de fois à s'enfuir.

" Prêtre ... " Il répéta le mot et le laissa un instant flotter entre eux, détaillant longuement le noir de ses cheveux, la blancheur de sa peau, et l'austérité de sa tenue. Hésitant d'abord, le jeune homme finit par réunir ce courage qu'il avait une fois encore amené à fouler ce sol sacré qui n'était pas le sien.

" Je ne comprends pas ... Cet endroit. Pourquoi ... " Léger silence, la voix s'arrêta en pleine intonation avant de reprendre. " Pourquoi y a t-il autant de souffrance ici ? " Remarqua finalement Lysander en glissant un regard sur les représentations fânées qui ornaient les murs du bâtiment. C'était une de ses premières questions, celles qui l'avaient longuement hanté. Il avait reconnu un visage, parmi beaucoup d'autres. Un homme à qui on semblait porter beaucoup d'attentions, mais souvent torturé. Tantôt sur une croix, tantôt dans les bras d'une femme, du sang sur les côtes, sur le visage.

" Pourquoi ... Pourquoi montre t-on autant de douleur ? Je trouve ça effrayant... " Admit il après un nouveau silence, ses sourcils fins se fronçant d'un rien. La douleur, oui. A ses yeux, la douleur faisait partie du spectre du mal, de ce qu'on fuyait, de la punition. Il lui paraissait difficile d'imaginer qu'on veuille ainsi l'exposer à ses fidèles.

Confusion. Le jeune homme écoutait le vampire avec attention, et pourtant ses sens aux aguets trahissaient une peur instinctive. Son coeur battait peut-être un peu plus vite, et ses joues avaient rosi d'un rien à la perspective de devoir s'échapper. Il avait déjà mémorisé les sorties de ce dédale ancien en journée. Quelques pas sur la droite, passer le long du banc pour lui échapper en cas d'attaque, et pousser la porte porte de bois sur le côté, avant de glisser dans une galerie, et plus loin encore, une nouvelle porte. C'était peut-être sa meilleure chance en cas de... Enfin. Son interlocuteur avait pourtant la voix douce, et rien dans sa posture ne trahissait autre chose qu'une observation fine de ses traits, de son attitude, de ce qu'il était.

Mais on ne savait jamais avec ces monstres.

Il gardait pourtant ses avis pour lui, tout comme ses pensées. Sur son visage lisse de statue grecque un stoïcisme certain permettait à Lysander de garder composition. Un art comme un autre, celui de la déception. Proche cousin de la manipulation, dont il n'avait en ces lieux pas usage.

Mais ces peintures. Ces statues. Elles évoquaient des horreurs, une remise en place qui ne semblait pas cohérente avec l'espoir. Du moins pas celui qu'on lui appris à nourrir depuis tout jeune.

" Glorifier le sacrifice." Il souffla les mots en un fin filet, ses sourcils se rejoignant une nouvelle fois. Pas besoin de cacher ces émotions-ci, en revanche.

" Le sacrifice est une souffrance. Surtout pour ceux qui restent... Je ne comprends pas comment nous..." Il laissa un court moment passer.

" Quelle ironie. Libres et puissants, nous trouvions le moyen de vivre dans la peur. " Les humains. Nous. Cette race dont il faisait partie, cette race qu'il aimait plus que tout. Ces coeurs battants, ces sourires chauds, ces peaux douces. Oui, quelle ironie, songeait il. S'ils avaient alors su qu'un jour ils ne seraient qu'esclaves et à la merci de prédateurs nocturnes, se seraient ils infligés de telles peines ? Pourquoi donc l'Humanité allait elle constamment de l'Espoir à la Détresse ? Si bien que lors que la menace n'était pas claire, elle trouvait moyen de la créer.

" Et vous posez une drôle de question. Vous connaissez beaucoup des miens qui ne vivent pas dans une quelconque forme de souffrance ? Entre nous, et sans offense, Mon Père ... c'est ça ? ... eh bien, Mon Père. Il y en a simplement de plus résilients que d'autres. Je le suis particulièrement. " La réponse était honnête. Incomplète, oui. Mais honnête dans ce qu'elle était.

Il n'avait jamais croisé de diurnes parfaitement heureux. C'était sans doute inscrit dans leur nature. Mais tous partageaient au moins une réalité commune : Le besoin de liberté. Liberté qui avait détruit un monde Ancien dont on se souvenait peu. Liberté qui avait crée les plus Beaux Arts, aussi, lui avait on dit. Liberté comme un étendard, inscrite même dans la devise de certaines nations. Etat de fait, état de nature. Les seuls qui se complaisaient dans leur position étaient ceux qui ne savaient plus entretenir la plante la plus irascible de toutes en leur cœur : l'Espoir.

" Je ne connais rien de votre religion. Mais vous connaissez peut-être cette histoire... Celle de la Boite de Pandore ? Quand tous les maux de l'humanité furent déversés dans ce monde, un seul resta dans la jarre que la belle Pandore avait ouvert par curiosité. L'espoir dit-on." Il conta comme il l'avait tant de fois entendu de la bouche des Mères, lové dans les couvertures miteuses de son ancien foyer.

"Mais la traduction était mauvaise. En réalité il s'agissait de la résignation face à la mort. Alors on trouve son bonheur où l'on peut, tant que ce mal ci est bien scellé. Je suppose qu'être humain implique de ressentir tout à la fois, depuis."