“L'avarice est comme le feu...

"Avarice, ça va être à toi dans 10 minutes."

Fantine acquiesça, apportant les dernières touches à son maquillage de scène avant de contempler le tout d'un œil appréciateur. L'œil ourlé de noir, la bouche d'un rouge sombre, des paillettes d'or adroitement soupoudrées dans ses cheveux : ses peintures de guerres étaient prêtes. Elle portait une de ses tenues de scène préférée, reproduction à l'identique d'un des premiers costumes que Lalyla lui avait attribué. Au fil des années, elle avait fait perfectionner le modèle pour le rendre plus pratique.  Il s'agissait d'un ensemble de lingerie noir brodé de serpents dorés. le corset comprenait une partie démontable qui le transformait en soutien gorge, beaucoup plus pratique pour un numéro de pole danse. Elle complétait le tout en portant un collier tout du coup en forme de serpent, et des bracelets assortis à un poignet et une cheville. Ici, à l'oasis, Fantine couvrait systématiquement son coup. Peut-être pour ne pas exposer sa nuque vulnérable au regard des vautours, aussi bien dans les coulisses que dans la salle. Mais aussi pour se rappeler sans cesse de sa condition de prisonnière. L'oasis était une cage aux barreaux dorés, mais une cage quand même. Une paire de talons à vous donner le vertige complétait son attirail. Il avait fallu quelques temps à Fantine de trouver sa signature, mais à présent elle maîtrisait parfaitement son images

"5 minutes."

Après un dernier regard à sa loge, elle en sortit, non sans avoir, comme à son habitude, dissimulé un fil dans la fermeture de la porte, ainsi elle saurait si quelqu'un avait essayé de rentrer. Il s'en suivrait une inspection minutieuse de ses affaires, histoire de voir à quoi on avait osé toucher. Fantine possédait une mémoire redoutable et serait parfaitement capable de détecter le moindre pinceau déplacé, la plus petite fluctuation dans ses flacons de parfum. Malheure à celui ou celle qui oserait s'en prendre à ses affaires. Fantine ne partageait rien avec personne, même ce qu'elle n'utilisait pas. 

Réglée comme une horloge, elle se glissa en ondulant au rythme de la musique qu'elle avait choisie pour ce soir. Elle avait une listes de chansons qu'elle aimait réutiliser régulièrement, et celle-ci en faisait partie. Cela lui permettait de toujours surprendre certains habitué.e.s qui venaient plusieurs soirs d'affilée. D'ailleurs, un discret coup d'œil circulaire pendant le début de son numéro lui permit de reconnaître quelques visages dans la salle. Visiblement la soirée serait calme, ses habitués les plus fidèles n'étaient pas présents. 

*The world was on fire and no one could save me but you
It's strange what desire will make foolish people do*

Tandis que la musique s'élevait, Fantine disposa avec élégance de la partie démontable de sa tenue avant de s'enrouler autour de sa barre, agile comme les serpents dont elle aimait s'orner. Sur scène, elle avait l'impression d'être dans son élément. Son pas était plus léger, elle respirait mieux. Elle n'aimait pas la scène pour les applaudissements ou les regards de convoitise. Elle aimait la scène parce qu'ils ne pouvaient pas la toucher. Elle avait presque l'impression d'être libre, l'espace d'une chanson. Mais l'illusion était vite dissipée à la descente. et elle ne perdit pas de temps avant de retourner en coulisse. Alors qu'elle allait regagner sa loge, elle fut interrompue.

"Un client a demandé Fantine,",lui souffla un jeune imbécile. 

Il ne fallut à Fantine que quelques secondes pour saisir l'impudent et le coincer contre le mur le plus proche, la main sur la gorge.

"Pour toi, c'est Avarice. Je ne me souviens pas t'avoir autorisé à utiliser mon nom, imbécile. Il a un nom, ce client ?"

Tant bien que mal, le jeune homme réussi à répondre malgré la main qui serrait sa gogre et Fantine leva un sourcil surpris. C'était bien la première fois qu'ol venait, celui-là et vu sa réputation, Fantine ne s'attendait pas à le voir un jour passer les portes de l'Oasis. Comme quoi, il devait bien cacher son jeu. Elle lâcha l'imbécile qui avait prit une teinte cramoisie et se glissa dans sa loge. Elle y enfila un pantalon cigarette noir, refit de son soutient gorge de scène un corset et enfila une veste noire. Hors de question de trop en montrer avant d'être payée, elle refusait de laisser un client lorgner gratuitement. Elle prit quelques secondes pour se rafraîchir avant de se diriger vers l'alcôve où l'attendait son client. Elle aurait préféré avoir quelques minutes de plus pour souffler après son passage, mais les affaires étaient les affaires. 

"Bonsoir", souffla t'elle en entrant. Elle jeta à l'invité un de ces regards de défis dont elle avait le secret, un regard qui signifiait "sera-tu digne de moi?".

Quand il se recula afin de lui dévoiler la présence d'Alexandre, Fantine devint blême. Son petit frère était là, dans ce nid de vipères...elle prêta à peine attention aux paroles du vampires tandis que son frère fondit sur elle pour la prendre dans ses bras. Elle ne sortit de sa torpeur que pour le serrer contre son cœur. Son petit, son tout petit était là, dans ce paniers de vipères...c'était une catastrophe. Au bout de quelques secondes elle relâcha Alexandre et se tourna, l'air suspicieux vers le vampire.

"Ne t'inquiète pas, c'est un ami, il sait que tu es ma grande sœur, je lui ai demandé de m'aider. "

Un ami ? Un vampire ? Il avait perdu le sens commun ! Les vampires étaient autant les amis des humains que les alligators étaient ceux des agneaux. Fantine considéra avec méfiance la fleur qu'il lui tendait, avant de l'accepter et de la glisser dans la pochette de sa veste. Elle ne lui faisait pas confiance, mais autant ne pas le froisser, on ne savait jamais. Mais elle n'eut pas plus le loisir de s'intéresser à son visiteur inattendu qu'Alexandre réclamait son attention. 

"Fantine, j'ai un souci. Le maître veut me vendre."

"Ce n'est pas nouveau ça, fais-toi oublier quelques jours, ça lui passera. Fais comme d'habitude, cache-toi au grenier, il ne monte jamais. "

-Pas cette fois, il est déterminé. Je crois ...qu'il veut essayer de me vendre à L'oasis. 

Fantine sentit ses jambes se mettre à trembler. Tout mais pas ça... pas son petit...pas ici...elle crut sentir la pièce tourner autour d'elle...

La voix du vampire eut le mérite de faire sortir Fantine de sa torpeur. Elle secoua la tête et refusa le verre qu'il lui proposait avant de s'assoir, pensive. Il lui proposa même de sortir faire un tour, mais là encore, elle refusa.

-Ici, les règles de la maison empêchent quiconque de franchir la tenture de cette alcôve pendant que je travaille, en dehors d'ici on risque d'essayer d'écouter notre conversation. L'Oasis pleasure est un endroit dangereux, mais je suppose que vous vous en doutez. Par ailleurs, on vu a vu entrer et me demander. Si vous sortez au bout de 5 minutes en ma compagnie, c'est moi que vous mettez en danger, professionnellement. Je vous fais grâce de vous expliquer pourquoi, je pense que vous aurez compris.

Alexandra s'assit près d'elle et posa sa tête blonde sur son épaule. Quand il était petit, leur mère avait prédit à Fantine qu'il perdrait bien vite cette blondeur enfantine et ce regard candide, mais vingt ans plus tard, il n'en était rien. Elle voyait encore sur le visage de son frère des traces de l'enfant qu'il avait été, dans ses fossettes, son sourire, son regard. Les yeux des artistes de l'Oasis avaient l'éclat froid des lames de couteaux, ou artificiel des néons sous lesquels ils dansaient. Alexandre ne tiendrait pas 5 jours dans un endroit pareil. Néanmoins, cela lui faisait du bien de retrouver sur son épaule le poids familier de la tête de son frère. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pu le prendre dans ses bras.

Elle n'en oubliait pas la présence du vampire, qu'elle ne comprenait pas vraiment. Pourquoi avait-il aidé Alexandre à entrer ? Quel était son intérêt ? Que cherchait-il ?  Il faudrait qu'elle se penche sur la question et qu'elle essaie de lui tirer les vers du nez, une fois qu'ils auraient réglé le problème d'Alexandre.

-Bon, prenons les choses dans l'ordre. Si le maître voulait vraiment te vendre, il l'aurait déjà fait.

Cela faisait plusieurs années que Fantine appartenait à la cité, et pourtant elle appelait toujours son ancien propriétaire le maître. Comme si, au fond, un peu d'elle était resté à lui. Cette simple pensée lui tordait l'estomac de dégoût.

- Quand il a voulu vendre maman, il ne l'a pas prévenue, pareil pour moi. Ce qu'on peut essayer de faire, c'est que tu te cache pendant quelques jours, une semaine tout au plus. Comme ça, tu auras le temps de lui manquer et il finira par changer d'avis. C'est un sale gosse capricieux, il a besoin de convoiter les choses. Tu sais comment il est, tu vas lui manquer au bout de quelques jours et il va réclamer ta présence. C'est ce qui est arrivé pour maman, il a voulu la récupérer.

Trop tard,, il n'avait pas réussit à négocier son rachat et s'était lamenté pendant des semaines. Fantine avait serré les dents pour ne pas laisser éclater sa rage.

-Il faut juste qu'on trouve où te cacher pendant ce temps. Tu verra, tout ira bien, on va trouver une solution.

Fantine considéra avec curiosité l'homme qui lui faisait face. Pour un vampire, il était étonnamment prévenant, il semblait même altruiste. Il s'était inquiété pour son vertige et semblait vraiment concerné par le sort d'Alexandre et le sien. Bien sûr, tout cela pouvait n'être qu'une comédie bien rodée, certains suceurs de sang étaient passés maitre dans l'art de tromper leur monde, mais celui-là semblait à part. Drôle d'oiseau.

-Tout ce que je vous demande, c'est de ne pas mettre en danger ma réputation auprès de ma...

Elle s'éloigna un peu d'Alexandre pour souffler à l'oreille de son interlocuteur.

-Clientèle.

Même s'il se doutait très bien de ce qu'elle faisait, Fantine n'avait aucune envie de rappeler à son frère qu'elle n'était qu'une marchandise. Chère, certes, mais une marchandise tout de même. Une marchandise qui avait tout intérêt à rester en rayon, et même en vitrine. Rien de bon n'arrivait aux produits défraichis ou délaissés par la clientèle.

Mais il ne servait à rien de s'attarder sur ces considérations sinistres. Il valait mieux qu'elle se concentre sur l'instant présent. Et sur ce drôle de vampire dont, décidément, elle ne savait quoi faire.

-Cela dépend des clients, mais pour une première visite, une bonne petite demi-heure. Au delà, cela paraitrait suspect si vous n'êtes pas un habitué de la maison. Vous avez soif ?

Elle ouvrit un compartiment dissimulé dans un canapé et en sortit une bouteille d'alcool. Elle sortit 3 petits verres de shots, en versa un microscopique pour Alexandre. Il tenta de lui adresser un regard suppliant, mais elle fit non de la tête. De quoi tremper les lèvres, il n'avait pas besoin de plus. Pour elle et le vampire, elle servit plus généreusement. Puis, elle leva son verre et l'engloutit d'une traite. Tout en buvant, elle réalisa quelque chose.

Elle était en train de partager.

Normalement, elle n'aurait pas dû piocher dans la bouteille cachée réservée aux employés qui avaient besoin d'un petit remontant. Elle aurait dû l'inciter à commander une bouteille, chère, de préférence. Mais cet individu allait s'occuper d'Alexandre dans les semaines qui venaient, alors autant lui faire une fleur. Cela pouvait sembler n'être rien, mais c'était déjà beaucoup. Lui offrir la séance aurait vraiment paru trop suspect. D'ailleurs, elle profita de ce qu'Alexandre était occupé à boire son verre pour souffler à l'oreille du vampire ses tarifs. Cela non plus, son frère n'avait pas besoin de le savoir.

Elle retourna s'assoir près d'Alexandre et demanda :

-Vous parlez d'un sanctuaire... Vous y accueillez qui ? Cela fonctionne comment ? Il serait en effet peut-être préférable que je me déplace, plutôt que vous reveniez ici.

Fantine voulait en savoir plus. Même s'ils étaient dans la détresse, hors de question d'envoyer Alexandre n'importe où.

Fantine prit quelques secondes pour réfléchir à la proposition de Lucius. C’était une option, et techniquement ça pouvait lui faire un peu de publicité. C’était presque touchant qu’il ne sache pas mentir. Même s’il lui paraissait sympathique, Fantine n’oubliait pas qu’elle faisait face à un prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, même s’il prenait ici plutôt les traits d’un agneau.

-En fait, vous n’aurez à mon avis pas besoin de dire quoi que ce soit, donc pas besoin de mentir.

Valait mieux un silence éloquent qu’un mensonge bancal, c’était une des leçons que Layla avait apprit à Fantine. Si un client te demande ce que tu pourrais lui faire, ne dis rien, baisse un peu les yeux et laisse son imagination faire le travail. En général, c’était efficace. Et puis ça permettait d’économiser quelques efforts d’imagination.

-Déjà parce qu’en général, cela pourrait vous surprendre mais nos client ne racontent pas par le menu ce qu’ils viennent faire chez nous. D’ailleurs, on leur demande rarement.

Elle laissa passer quelques secondes, attendant que l’attention d’Alexandre soit détournée par un bruit quelconque, puis souffla à l’oreille de son étrange visiteur du soir

- Ensuite, parce que rien de ce que vous pourriez inventer ne serait à la hauteur de ce que je pourrais vous faire.

Elle s’éloigna promptement de son interlocuteur et se tourna vers son frère, sans guetter chez son interlocuteur un trouble quelconque.

-Je vais vous faire sortir discrètement par une sortie spéciale, comme ça vous ne serez pas importunés.

Elle souleva une tenture qui menait directement vers un couloir et leur fit signe de la suivre. Le couloir était long et comportait de nombreux embranchements et carrefours qui menaient à diverses alcôves. Il était pensé pour que les clients même les plus motivés aient du mal à s’y retrouver sans aide. Hors de question qu’un petit malin tente de rentrer par la sortie. Une fois arrivée à la dernière porte, Fantine frappa un nombre de coup précis. C’était le signal pour que la personne qui gardait la porte aille faire un petit tour plus loin dans la rue. Certains clients tenaient à une certaine discrétion.

Elle prit encore une fois Alexandre dans ses bras, parfaitement consciente qu’elle ne le verrait pas avant un certain temps. Son petit, son tout petit.

-Fais bien attention à toi. S’il y a le moindre souci, tu reviens ici et tu entre par ici. Le mot de passe pour me faire appeler, c’est « économies drastiques ». Et si le videur te demandes un pourboire, refuses, c’est un piège.

Elle se tourna ensuite vers le vampire.

-Je vous remercie de l’avoir emmené ici.

Elle s’approcha de lui et déposa  furtivement sur sa joue l’ombre d’un baiser. Ce n’était rien, léger comme le frôlement d’une aile de papillon, mais c’était le mieux qu’elle avait à offrir, elle qui monnayait le moindre de ses sourires. Elle s’en retourna ensuite à l’intérieur de l’oasis. Il allait falloir qu’elle rattrape cette parenthèse pendant la soirée.[/b]