Cinq jours. Cela faisait cinq jours que la gosse veillait auprès de son père. Dissident battu pour excès de zèle, non loin des portes de la cité. Révolte solitaire, ou plutôt, accès de folie. Le trépas de l’homme tardait malgré qu’il commençait déjà à pourrir sur place, la vermine s’infiltrant par-delà les plaies ouvertes pour y pondre des oeufs. L’on pouvait sentir de légers relents âcres, nauséabonds, portés par la brise chaude.
Cinq jours. Étrange que la gamine n’ait pas été embarquée, les gosses habituellement,
ils en étaient friands. Ce n’était peut-être qu’une question de temps. Et une fois endoctrinée, ils s’évertueraient à broyer ses croyances. Humaine transformée en marionnette. Future sylphide destinée à se vautrer dans le stupre, à gonfler le harem du Prince. Future poupée défoncée aux cuisses ruisselantes de foutre.
Swansea expira profondément.
Serait-ce raisonnable que de s’incomber de la vie d’une autre, de devoir en prendre soin ? Oh il avait attendu et espéré, qu’une autre âme charitable récupère l’angelot égaré. Peine perdue. Les temps étaient durs et cela n’était pas près de s’arranger.
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Des bruits de pas alertèrent l’orpheline en devenir ; elle posa ses agates rougies sur l’inconnu qui s’accroupit à ses côtés.
« Je ne te promets pas un conte de fée... Mais ça ne coûte rien d'essayer, pas vrai ? » Démarche maladroite. Il lui tendit une main ;
« En attendant de trouver une solution. » La gamine lança une ultime oeillade humide à son géniteur, espérant une approbation, un signe qui ne vînt jamais.
« Eh le sauvage ! » Sommation lancée par l’un des singes haut perché de la sécurité. Crainte qu’il n’abrège les souffrances de l'agonisant. La fillette posa derechef sa menotte dans la paluche ouverte, s’en remit à l’inconnu ; Cela ne pouvait pas être pire que ce qu’elle avait déjà vécu.
*Ce qui ne devait être que temporaire s’éternisa et le cabot solitaire s’enticha de Tina. Tina et son innocence, Tina et ses rires d’enfant. Ses questions pertinentes et les plus burlesques. Ses idées abracadabrantesques. Petite luciole de ses nuits. Un hiver, il faillit la perdre - le froid ainsi que l’humidité légendaire de New Bellingham eurent presque raison de sa résistance. De peu il parvint à la sauver, à l’aide d’onguents et de ‘repas’ plus consistants. Sang troqué au marché noir, contre un peu de barbaque.
Si auparavant, l’envie de s’expatrier dans une autre cité lui titilla plusieurs fois l’esprit, voir Tina froler la mort incita Aloysius à trancher. Au terme de multiples tergiversations mentales, il décida de changer de cap.
Incertain quant au chemin à prendre pour fuir, il se hasarda une nouvelle fois auprès du marché noir. Tomba sur un individu particulièrement louche qui accepta de l’aider, en précisant cependant que le deal ne serait sous couvert de La toile. Caïnite singulier inspirant de la méfiance, Al’ posa ses conditions - Ni servilité, ni extravagance. L'olibrius le guida à travers les zones infestées de dangers puis disparu, une fois la quête menée à terme. Non sans préciser qu’il reviendrait chercher son dû.
Afin de s’adapter à ce nouveau lieu de vie, Al’ n’eut d’autre choix que de faire quelques concessions - Bien que cela ne lui ressemblait guère, il alla à l’encontre d’autres sauvages. Ces derniers l’aiguillèrent, lui refilèrent quelques combines. Conseils avisés d’une grande utilité. Néanmoins, les premiers mois à new Abbotsford se révélèrent quelque peu difficiles - Il n’était pas rare que les deux expatriés ne puissent se sustenter convenablement.
Les errances solitaires de Swansea lui permirent de prendre ses marques au sein de la Bordure. Il y découvrit, entre autre, l’existence de colonies humaines. L’une d’entre elles retint plus particulièrement son attention. « La Meute. », groupe ayant sous sa tutelle des enfants dépossédés de leurs ascendants. Après une phase d’observation, Al' tenta une approche, entra en contact avec le leader du clan. Requête exhaussée auprès de ce dernier ; Que Tina puisse intégrer leur communauté.
*ll lui suffisait de fermer les yeux, pour tous les revoir. De fouiller dans le palais de sa mémoire, pour retrouver des fragments de souvenirs. Il revoyait sa mère, et son air grave, vieille avant l’heure, à force de se faire tant de soucis. Ainsi que son père, cette force de la nature. Carcasse massive et poigne rude, verve inexistante.
Il se souvenait également de Phoenix, ermite instruit, qui s’improvisait philosophe. C’est Phoenix qui lui apprit à lire, à l’aide de notes sur papiers bigornés et de vieux ouvrages aux pages manquantes. C’est Phoenix qui lui conta des bribes d’histoire, de cette époque où les rejetons du diable ne dominaient pas le monde. « Ne les juge pas trop sévèrement Aloysius. Ils étaient humains comme toi, avant de sombrer, d’embrasser le monde des ténèbres. » Swansea allait contester, mais une voix éthérée l’incita à revenir à la réalité.
« Aloysius ! » Aucune réaction.
« Al’, Al’, Al’, Al’ … » Réveil exaspérant. Il ouvrit à demi les paupières, posa ses agates fatiguées sur la bouille de Tina qui le surplombait.
« Un oeil en enfer, et l’autre au paradis. » Allusion à ses yeux vairons.
« Arrête avec tes conneries, tu veux ? » Ours mal léché, il se tourna sur le côté, faisant dos à la chieuse
« Al’ … Al’ ? » « Hmm.. » « Promets moi que tu ne me laisseras jamais tomber. Promets moi qu’on restera toujours ensemble. » Silence de plomb. « Tiens toujours tes promesses, ou alors, n’en fais pas. » disait Phoenix. Plus facile à dire qu’à faire, pas vrai ?
« Je te le promets. »... Menteur. Gamine confiée à la Meute, malgré ses réticences. Rancoeur non contenue, Tina lui en voulut. Mit du temps à s’épanouir auprès de sa nouvelle famille, malgré les visites incessantes de Swansea.
Mais c’était mieux ainsi - Qu’elle puisse grandir et façonner sa propre vie, dans le giron d'un groupe aux membres soudés.