Where do we land in the Black Sea? (Wanda)

@Wanda Bożena & Fitzwilliam

A thousand nights have passed Change doesn't happen overnight Not visible at first It's important to hold on, hold on.

C’était les dernières heures de la nuit. Bientôt, l’astre lunaire céderait doucement sa place aux rayons ardents du soleil dans une valse aussi éternelle que l’était le monde. Pour autant, la journée du Lieutenant-Colonel ne serait pas terminée. A l’heure où les hommes placés sous ses ordres iraient prendre un peu de repos ou de bon temps dans l’obscurité bienveillante, il continuerait à gratter des pages de rapport, des courriers avec ses alter-egos citadins, à transmettre les informations aux sachants en empruntant des couloirs ténébreux. Bien souvent, les enregistrés de la Couronne sursautaient en pénétrant son bureau pour procéder à son nettoyage, ne s’attendant pas à le voir installé sur son siège en cuir, plongé derrière des montagnes de papier sous la lumière vacillante de bougies dont il préférait la douceur de leur lueur à celle plus maladive des ampoules électriques. Ca n’avait jamais été sa partie favorite de ses fonctions, c’était un aveu aisé à réaliser. Même à l’époque où les battements de son cœur résonnaient à ses oreilles, il délaissait cette sinécure à sa mère. L’immortalité n’y avait rien changé et si la fonction occupait satisfaisait pleinement son ego, il aurait apprécié pouvoir déléguer à nouveau ce que nul autre que lui ne semblait pouvoir, ou vouloir, exécuter. Cette appréciation avait cependant changée depuis quelque temps désormais : se plonger dans les détails aussi ennuyeux que roboratifs de l’administratif lui permettait de penser à autre chose qu’aux chamboulements de ces dernières semaines. Ou plutôt ne pas penser du tout. Et lui permettre de trouver refuge là où il ne craignait rien. Que pourrait-il lui arriver bien planqué à l’abri dans son bureau ? Pas de véhémentes retrouvailles avec des amis plus faciles à blâmer que le destin. Pas de corps rigides et dénués de vie sur lesquels tomber par le plus grand des hasard. Pas de rencontres aussi gênantes que troublantes avec de séduisants inconnus. Pas de regard dégoulinant de compassion glissant sur son échine dorsale.

Il lui était désormais bien rare de rentrer à son domicile, faisant tout pour repousser l’échéance. Il ne supportait pas de l'écho sinistre du silence comme seule réponse lorsque le cliquetis de la porte d’entrée se refermait derrière lui. Il était incapable de retourner dormir dans des draps qu’il n’avait toujours pas changé depuis que Mélanie était partie. Cela n’avait aucun sens et il aurait sans doute dû les mettre au feu, les traces de sueur et de sang qui auréolaient leur satin ne dégageant plus même l’odeur féminine. Mais Fitzwilliam Hagebak-Davis était un homme qui avait bien du mal avec le changement, plus encore lorsque ce dernier signifiait devoir définitivement dire adieu à cette partie d’humanité qui l’avait comblé de bonheur. Il ne voulait pas devenir ce genre de vampire immuable. Il les voyait ces statues de marbre dont la beauté époustouflante ne pouvait compenser la froideur de la peau. Aucun soupçon de vie ne se dégageait de leur perfection. Aucune chaleur ne parvenait à les sortir de leur carcan de poussière. Il ne voulait pas être l’un d’entre eux mais à chaque fois qu’il perdait quelqu’un de proche, chaque fois que son cœur lui était arraché pour être piétiné par la cruauté de la vie, il le devenait un peu plus.

S’arrachant finalement à ses rapports, il s’étira, faisant craquer chaque os constituant sa colonne vertébrale, symbole de la vie qui reprenait son cours dans la statue de sel qu’il était devenu bien malgré lui. Il ne pouvait plus repousser l’échéance et devait accepter de sortir de sa tanière. Plutôt que de rejoindre son domicile néanmoins, ses pas le dirigèrent vers les quartiers des Conseillers et plus précisément vers les appartements de la Conseillère Bozena avec laquelle il devait réaliser son point hebdomadaire. Il ne savait pas comment il allait pouvoir lui annoncer qu’en l’espace de quelques jours, une frénésie avait manqué d’apparaître entre les murs de la Cité, frénésie dont il était à l’origine, et qu’il avait menacé de mettre aux geôles un invité de marque de la Couronne sur un malentendu chargé d’opium. Si tant est qu’elle ne soit pas déjà au courant, ce qui était sans le moindre doute le cas. Ce n’était pas le genre d’image qu’il souhaitait lui renvoyer. Loin de là. Parvenu devant sa porte, il hésita quelques instants, réalisant qu’il était peut-être un peu tard, ou tôt selon l’organisme considéré, pour s’enquérir de sa supérieure hiérarchique. Elle n’était peut-être pas en ces lieux mais le rayon de lumière douce sur le seuil n’allait pas en ce sens et ne pouvait l’empêcher de faire demi-tour. Avec un peu de chance, elle n’était pas seule et il devrait la laisser vaquer à des occupations plus importantes. Cette pensée lui fit bouillir le sang bien malgré lui. Finalement, trois coups résonnèrent et il se surprit lui-même en réalisant que c’était bien son poing en suspension qui venait de s’entrechoquer avec respect au bois.