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Tout secret est une révolte - (Jaroslav-Tommen-Wanda)



01.05.22 20:58

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Elle vient de relire les lettres pour une énième fois. Assise autour de cette table d'une salle quelconque de la Tour, le silence n’est rompu que par le son du papier délicatement plié et déplié entre ses longs doigts. Le crépitement provoqué par les flammes des bougies ne donne aucun rythme à l’instant mais semble réchauffer l’atmosphère pesante qui l’enveloppe. Ces courriers ont envahi son esprit durant de longues journées, depuis qu’elle en a pris connaissance, remettant en question tout ce qu’elle pensait faire en bien.
Au fil des derniers jours, alors qu’elle a côtoyé les soldats qu’elle dirige, son regard a cherché à deviner lesquels pouvaient également faire autant de mal que ceux qui avaient été trouvés et suspendus de leurs fonctions. Ces derniers se trouvent actuellement dans les cachots de son quartier général, isolés de tous en attendant que leur sort soit scellé. Elle s’en veut terriblement, et d’innombrables questionnements l’assaillent depuis la mise en lumière de ces actes odieux. Combien d’enregistrés ont pu subir de tels traitements, au cours de toutes ces années passées, sans n’avoir rien dit ? Wanda n’arrive pas à se convaincre que ce qui est arrivé à cette enregistrée est un acte isolé. Mais elle ne dispose d’aucunes preuves pour traquer d’autres potentiels bourreaux. Elle se jure de faire le nécessaire à son niveau pour que cela n’arrive plus, que les comportements déviants soient clairement identifiés afin de limiter les drames comme celui-ci.

La Reine Lucrezia étant absente depuis quelques semaines à l’occasion de rencontres diplomatiques ayant lieu sur un autre continent, le Roi Voltchenkov étant également éloigné de la Cité, Wanda et les autres membres du Conseil présents sont amenés à prendre certaines décisions sans leur souveraine. L’urgence étant clairement identifiée dans le cas de ces violences diverses envers une humaine, les prises de décision doivent être rapides. La récente menace latente, incarnée par des humains libres, nomades, à proximité de la Cité, à l’origine de diverses rumeurs courant chez les enregistrés, n’est pas à prendre à la légère. Si le scandale des clapiers rapporté par ces lettres venait à s’ébruiter, le climat au sein de New Abbotsford changerait violemment.
Clairvoyante, elle sait qu’elle ne peut agir seule, et s’est donc mise en quête de soutiens. Quelques conseillers ont également été appelés à accompagner la Reine, dont Anselme, qu’elle aurait souhaité consulter en priorité.
Ayant retourné la situation en tous sens, à la recherche d’une issue profitable pour tous, elle a fini par faire transmettre une lettre au Conseiller spécialisé dans les finances de la Cité afin de l’inviter à la discussion. Le traitement des enregistrés est sans doute passablement éloigné de ses fonctions et des choses qui l’importent, mais ce qui pourrait découler d’une mauvaise gestion de cet événement pourrait avoir des conséquences bien plus graves pour la Cité que ce que l’on pourrait imaginer. Au fait que Tommen est présent depuis le début du règne de Lucrezia, et qu’une confiance sans bornes le lie à la souveraine, Wanda a estimé qu’il serait certainement un acteur important et utile dans cette crise, et dans la conduite à tenir ensuite.

Cependant, maintenant consciente des failles mises en valeur par les propos de ces lettres, elle sait qu’une simple surveillance accrue ne représentera qu’un pansement posé sur une plaie infectée. Il faut changer, améliorer les conditions de vie des enregistrés. C’est ce qu’elle a préconisé durant ces dernières années, prêtant main forte à Anselme dans ses diverses demandes en ce sens. Mais cela n’a pas suffi à l’évidence. Ainsi, prenant les devants, elle a également fait parvenir un courrier à Jaroslav. Ce n’est pas tant son inquiétude relative à l’égard des humains qui l’a convaincue de le solliciter que son esprit d’analyse pertinent et lucide. De plus, elle avait appris assez récemment qu’il était finalement plus attaché à cette Cité que ce que tous pouvaient penser et imaginer… Une réponse n’avait pas tardé à lui parvenir en retour : elle était positive.

Jetant un regard à sa montre, elle s’aperçoit que l’heure du rendez-vous approche : vingt-trois heures et quarante-six minutes. Minuit ne tardera pas à arriver. Quittant son assise, elle se dirige jusqu’à une fenêtre donnant vue sur les toits de la ville. Ses yeux maquillés de noir se posent sur la lune parfaitement ronde qui surplombe les monts alentours ; sa lumière froide la rassure un instant. Etait-ce le même sentiment à l’égard des rayons du soleil quand elle était encore mortelle ? Elle ne s’en souvient pas. Ses paupières se ferment, ses autres sens s’activent. Le son de pas rapides lui parvient ; elle se concentre un peu plus et reconnaît la cadence impatiente. Wanda rouvre les yeux, immobile, tandis que le premier invité se présente en avance au lieu où se tient cette réunion en petit comité, laissant l’opportunité à Wanda de commencer par une remarque. « Tu sembles préoccupé. ». Elle se retourne, l’observe quitter sa veste et la déposer sur le dossier d’une chaise postée autour de la table, à l’opposé de celle qu’elle s’est attribuée. Il se redresse, impeccable, l’expression indéchiffrable, l’attitude rigide comme à chacune de leurs récentes rencontres. Elle ne se sent pas à l’aise dans leurs échanges, ni dans la façon de se tenir face à son ancien amant. Il n’y a rien de naturel. « Tommen ne devrait pas tarder à nous rejoindre. Encore quelques minutes avant que l’heure officielle de notre rencontre ne sonne. » La Conseillère s’approche de la table, rassemble les lettres et finit par s’avancer vers le premier arrivé, lui tendant les missives. « Voilà les courriers dont je t’ai parlé dans mon message. Je ne sais pas si Anselme en a reçu, c’est fort probable, mais il est absent… » Elle s’éloigne, attrapant une bougie pour en allumer davantage, laissant moins de place à la pénombre puisqu’elle n’est plus seule. L’immortelle soupire silencieusement en retirant la cire qui a coulé sur l’un de ses doigts ; jetant un regard dans la direction du patron de l’Oasis Pleasure, elle finit par s’asseoir à sa place, croisant les jambes, joignant ses mains sur son genou. Ses iris sombres se posent sur Jaroslav qui semble lire en diagonale, passant rapidement d’une lettre à l’autre. « Si cette affaire s’ébruitait… »
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07.05.22 19:52

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
https://lrth.forumactif.com/t1375-jaroslav-zelivsky#30534 https://lrth.forumactif.com/t1376-jaroslav-zelivsky
Les premiers stigmates ne firent pas plus de bruit qu’une brise automnale, faisant s’échouer dans un silence anodin les feuilles cramoisies des arbres décharnés, sur un sol noyé de pluies incessantes. Quelques intempéries sans grandes conséquences, un état grippal passager. Il fallait bien plus qu’une ville courbaturée pour que la gérance immortelle ne s’alarme. Aussi observateur qu’il pût bien se targuer de l’être, le co-propriétaire de l’Oasis Pleasure n’en aurait pas tant prêté attention, si d’autres oreilles plus exposées au secret que lui ne lui avaient pas rapporté la dangereuse singularité de cette brise, nœud de formation de tempêtes à venir. Le commerce allait bon train d’ordinaire, les habitués raffolaient de nouvelles chaires. Il ne suffit de quelques remarques pour mettre la puce à l’oreille de la responsable de salle de l’Oasis Pleasure. Les clients se plaignaient de voir les recrues remplacées sitôt apparues, et de mal en pis, il fut presqu’impossible de même les remplacer. Jaroslav avait souhaité ne plus être mêlé aux administrations des ressources humaines, apathique aux petites moeurs, terriblement ennuyé lorsqu’il s’agissait de disposer de son précieux temps à l’écoute des autres, ces autres mortels, courant après de petits rêves inattingibles. Mille fois il en avait vu espérer, presque autant de fois il en avait vu déchanter, forcés de revoir à la baisse leurs précieuses ridicules à la hauteur de leur misère. Les places privilégiées étaient chères, quiconque n’avait ni l’ambition ni l’intelligence de ses ambitions devait accepter de se restreindre à ses possibles. Mais il ne s’agissait plus de cela. La rareté des jouissances ne semblait plus tant motiver le peuple à se perdre dans le piège du mirage d’ascension. Un meilleur travail, un meilleur maître, un meilleur logement, un meilleur salaire, la supercherie s’était-elle essoufflée en chemin ? Les nouvelles générations dédaignaient le pacte de protection, avaient été témoins des désillusions cruelles de leurs aînés, et refusaient de partager un même destin. La parole se libérait, ils aspiraient à plus. La menace de l’extérieur ne paraissait plus tant un danger qu’un affranchissement, une liberté fantasmée faite de forêts et de fraternités, de conquêtes et de courses euphorisantes vers un horizon élargi, onirique. Des messes basses et des complots de fuite ourdissaient derrière les coulisses. Anthéa peinait à recruter. « Quelque chose n’est pas normal ». Jaroslav nota distraitement, moins enclin à l’inquiétude. D’autres rafles arriveraient, l’apport en matière première n’était pas une science exacte, il y avait toujours un facteur chance dans la chasse à l’homme. Ils apprenaient, se cachaient mieux, plus loin, et les rafleurs devaient redoubler d’effort et d’intelligence.

Mais le cancer se propagea, et Anthéa revint le consulter en augurant de trouble prévisions. « Nous recyclons les costumes, l’Oasis de jour se transforme en gigantesque atelier de couture, les commandes ne viennent plus, on parle de pénurie. ». Des commerces fermaient, la privation de tissus les laissaient sans ressources. Les vers à soie avaient-ils rongés les têtes de bois princières de New Princeton ? « Elle est tombée » confirma Barthélémy, son meilleur informateur, à son service depuis qu’il avait fallu à New Bellingham, mener une guerre de l’information pour opérer de stratégiques mouvements. Savoir, c’est pouvoir, et celui-ci semblait lui glisser entre les doigts. Depuis quand s’était-il laissé absorber dans un commerce qui ne devait être à l’origine que façade et moyen, se dit Jaroslav, sentant les courbatures jusqu’à ses os languides, ouvrant les yeux sur le mal latent. Quelque chose se tramait-il réellement derrière leur dos ?

Qu’en pensait le Roi Ezéquiel ? Le tenait-il toujours pour responsable de la fuite de son esclave, introuvable au demeurant ? Il avait promis retrouver sa piste, mais son meilleur pisteur devait utiliser son temps à de meilleurs emplois, et de porter la missive de ses interrogations au Roi. La réponse fut des plus méprisantes. « La Reine a été prévenue, je n’ai rien à te dire. J’attends toujours Azarov. ». Là était son usage renvoyait le Roi, Zelivsky de son auguste nom se voyait réduit au simple pourvoyeur de jouets de luxe. Jaroslav déchira la lettre, la jetant au feu, brûlant sa colère et son dépit. De quoi la Reine avait-elle était prévenue ? L’ignorance l’horripilait. Le Savoir c’est le Pouvoir, et celui-ci lui avait glissé entre les doigts, sans qu’il ne s’en aperçût. « Pars dans la lande, enquête et sois à l’écoute du moindre chuchotement, quelque chose œuvre dans l’ombre du jour », ordonna-t-il à Barthélémy.

Une armée d’humains s’établissait bel et bien, et leur proximité levait le voile sur l’incertitude : leur prochaine cible pouvait bien être New Abbotsford. Sa caste était-elle devenue si paresseuse et avachie sur ses privilèges qu’elle se reposait sur son incrédulité béate, aveugle aux signes, comme un corps mort insensible aux variations de température ? La Reine était partie. À quelles affaires se sentait-elle plus investie qu’à la protection de sa cité ? Son ambition était grande se rappela le mécène. L’ancien bourreau n’en pouvait plus de s’agiter et de tourner en rond dans sa cage dorée. Le sang devait couler, renâcla la bête trop longtemps relayée dans une grotte pour faire affleurer au monde le dandy courtois.

Il ne fut pas tant surpris d’être le destinataire d’une lettre scellée du sceau du Conseil, davantage de celui du Département des Armées. L’écriture familière fit déferler en lui les souvenirs, mais la teneur de la missive balaya ses états d’âmes. En ses qualités politiques, la Conseillère Bożena dépeignait une cité malade, dont les symptômes s’étendaient au corps défendant. Il savait pourquoi il était mandé, et c’était là l’occasion de se remettre au service de ses capacités. Il répondit présent, il fallait agir. Il prendrait sans vanité cœur au rôle, serait cette influence experte en trompe-l’œil, en manœuvre fourbes, puisque dans sa grande mansuétude, la Conseillère ne saurait être à l’origine du baiser de Judas. À cet entretien la Conseillère avait su s’entourer de forces complémentaires et Jaroslav fut fort aise d’apprendre la présence de Tinley, le Conseiller Hodgkin, dont l’esprit d’analyse et la partialité remportaient à son sens tous les honneurs. En une seconde il se remémora la teneur de leur dernier courrier, ils n’avaient pas poursuivi leurs échanges depuis son arrivée à New Abbotsford, gageant qu’ils se croiseraient bien en vrai. Le temps avait manqué, ou plutôt, il s’étirait de différente manière pour les immortels. Rien n’était pressé, tout était accessible à demain, et demain pouvait être dans bien longtemps. Il se souvenait lui avoir annoncé qu’il quittait New Bellingham [...] Tu sais les raisons qui m'y poussent, il n'est plus l'heure d'atermoyer plus avant, nombreuses sont les conjonctures, et aussi désagréables me sont-elles, je retourne à New Abbotsford. [...]. Il songea aussi qu’il avait mentionné, il y avait longtemps déjà, cette femme qu’il avait cru aimer, sans lui donner de nom, arguant dans sa lettre qu’il comprenait la survenance de telles inclinations et se le pardonnait, [...] ces débordements de sentimentalisme ne sont que résidus d’humanité. Il est nécessaire qu’ils se ressassent pour définitivement les dépasser [...]. Jaroslav n’était pas certain que Tommen puisse déceler lors de leur entretien commun l’identité de cette femme, mais il réalisa que cela ne le dérangerait nullement.

Il se présenta tôt, marchant d’un pas affirmé, sur le rythme de l’impérieux tambour de l’urgence. Il ouvrit la porte de ce colloque à guichet fermé sans frapper, et trouva à la fenêtre l’ancienne amante, où la lune bleue scindait son visage d’un masque clair-obscur. L’image de la présente inspiratrice des troublants abîmes qui échappaient à son rigide entendement ne pouvait être plus explicite. Ils étaient en désaccord moraux, ils furent en accord sensible et tactile. La mémoire des corps faisait batailles aux esprits, toujours en sa présence, aussi sa place était naturellement celle qui l’opposait, au plus loin d’elle, c’était de l’ordre de l’évidence. Une précaution superfétatoire, sans doute, car sur cet enjeu, ils devaient s’entendre : la priorité n’allait pas aux dissensions personnelles, mais à la Cité. « Tu sembles préoccupé. », lui dit-elle alors qu’il refermait la porte derrière lui, et cela fit ressurgir l’insidieux sentiment qui l’avait saisi lors de leur entrevue aux écuries, mais il ne se laissa pas cette fois submerger par d’enfantins caprices. « Bonsoir Wanda. », dit-il sur un ton neutre pour toute réponse, posant soigneusement sa veste sur le dossier de la chaise avant de s’y asseoir, croisant les doigts, en signe d’attente et d’écoute. Ils se toisèrent en silence, prenant le temps d’accueillir l’incommodité de la présence de l’autre et de la réduire à peau de chagrin, comme on s’expose à une vilaine allergie pour en lénifier l’urtication. Il acquiesça, nonchalant, à l’annonce de l’heure de rendez-vous bientôt arrivée, comme si la seule présence de Tinley absorberait les ions qui chargeaient l’atmosphère. Elle n’attendit pas pour le mettre au parfum des lettres qu’elle mentionnait dans la sienne, et Jaroslav les saisit pour se mettre au travail. À leur lecture, chaque mot dissolvait un peu plus le passé pour ne garder que le substrat du présent. À la fin de la lecture, ils n’étaient plus que deux ingénieurs prêts à discuter des failles d’un mécanisme afin de trouver le bon mortier pour les combler. « Si cette affaire s’ébruitait… », s’inquiétait la conseillère, et Jaroslav de sourire calmement :

- Au contraire, il faut qu’elle s’ébruite.

Et Hodgkin de faire son apparition.


 


Little girl, little girl

You should close your eyes
That blue is getting me high
And making me low

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08.05.22 20:57

Invité
Anonymous
Invité

Une nuit, un chien hurle.
Regardez bien, gens de Denfert, regardez le.
Sous son manteau de bronze vert
Le lion tremble
.




L’automne s’arborait dans les divers détails de la tenue du Conseiller, outre les teintes pâles de sa chevelure. Il s’invitait dans l’ocre de son costume, le fauve de ses gants qui répondait à celui de ses chaussures, le safran des broderies végétales qui parcouraient son gilet moiré, le bordeaux sombre de sa chemise... et jusqu’à la rare note turquoise qui tranchait au travers de sa cravate ; un automne dont le soleil fait briller une dernière fois les rivières. Il se souvenait de cela. Il les avait longées, en traversant la Sibérie. Ces temps n’étaient pas oubliés. Ces légers chocs visuels, et ce qu’ils inspiraient, n’était pas disparu ; juste derrière un voile, une notion sur le bout de la langue. Une manière de saluer, ce soir, lors d’une rencontre au sommet, un être qui symbolisait – et recelait – une bonne dose de nostalgie.

Tommen trouva les deux autres participants déjà occupés à consulter quelques documents ; il entra en silence, et ce fut comme s’il avait toujours été là. Lui aussi apportait un courrier, afin de ne pas dénaturer les propos qu’on lui avait adressés. Plaintes qu’il prenait très personnellement, parce qu’elles concernaient un manquement grave de la société qu’il maintenait par son travail et qu’il servait chaque nuit de sa vie. Et parce qu’il avait eu sous les yeux, sous la dent pourrait-on dire, le problème dans sa plus simple expression. Mais pour quelques instants, il fit abstraction de cette déploration lancinante qui semblait résonner à chacun de ses pas, comme s’il sentait trembler sous eux un château de cartes.

Sans un mot, il s’inclina légèrement devant ses congénères. Il y avait une forme de perfection dans la manière dont s’agençaient leurs corps devant la table ; un portraitiste de l’âge baroque n’aurait pas mieux ourdi sa toile. L’heure du rendez-vous sonna. Cela se passait de déclarations.

Il ressentait quelque chose de différent, lorsqu’il ouvrait une lettre envoyée par une main amie, et lorsqu’il ouvrait une porte derrière laquelle cet ami se trouvait. Le premier sentiment contenait toute l’exaltation curieuse et chaleureuse qu’il pouvait mobiliser lorsqu’elle restait enfouie dans sa tête, sans témoins autres que sa conscience, qui se montrait alors tout à fait indulgente avec ses émotions. Elles s’exprimaient sans peine, leurs ailes déployées avec la légèreté des mythes antiques, sans crainte aucune de se brûler les ailes.

Le second sentiment se compliquait de positionnement dans l’espace, d’étiquette et de gaucherie, d’objets annexes et de personnes extérieures à surveiller, d’angoisses irrationnelles, de ce défaut d’adéquation qui planait tel un vautour… Quelles émotions ? Où étaient-elles ? Leurs ailes repliées, dissimulées parmi la végétation frissonnante de rosée. Une forêt peuplée, mais d’un peuplement invisible. Par chance, ceux qui le connaissaient bien appartenaient à deux catégories : capables de déceler les signes les plus ténus, et surtout, partisans eux-mêmes de cette ligne de conduite peu expansive, en apparence froide et détachée.

Ne pas penser aux livres qu’ils s’échangeaient. Ils parleraient de cela à d’autres occasions.

La situation, ce soir, se prêtait à ce détachement ; grave sur le plan du principe, gênante sur le plan politique, odieuse sur le plan personnel. Pour toutes sortes de raisons, le Conseiller adepte des chiffres et des pierres s’était trouvé en possession de quelques informations pesantes, bien au-delà de sa sphère d’influence ordinaire. Il lui restait à en donner le témoignage. Et peut-être son avis, quoiqu’il espérait dans un coin de sa timidité qu’il n’aurait pas à le faire, conscient qu’il risquait alors de sortir de sa bien-aimée réserve et de se montrer tout à coup plus acerbe qu’on ne s’y attendrait. Et il y avait là, non seulement une entorse à la bienséance, mais une forme de faiblesse…

Allons, il était en terrain familier. Rien ne justifiait ces craintes. Rien, mis à part le sujet et tout ce qu’il aurait préféré ne point en savoir. Ces deux personnes qui posaient sur lui leurs regards avaient bien leurs propres faiblesses, et leur stratégie pour lutter. Ils s’épargneraient mutuellement. Telles étaient les lois de l’alliance.

« Commençons, » offrit-il simplement en achevant de les rejoindre. Comme s’il avait hâte de traverser le feu pour en avoir plus vite fini. « Les faits me sont connus, de plus près que vous ne le pensez probablement » - il les interrogea brièvement du regard l’un et l’autre - « et je me suis efforcé d’établir en prévision de cette rencontre une série de plans possibles en réponse à une telle situation. Je préfère recueillir vos opinions avant toute chose ; certains de ces plans seront d’office écartés par élimination. Mieux vaut que je ne vous expose que ceux qui garderont de leur intérêt. »

Rien à voir avec les documents qu’il apportait avec lui ; les plans, il les conservait dans sa tête. C’était bien plus clair ainsi, plus interactif et lumineux, plus détaillé, plus fonctionnel. La difficulté, comme toujours, serait de les communiquer avec la même efficacité. Ses gants quittèrent ses mains, se replièrent l’un sur l’autre comme deux animaux qui s’endorment, et disparurent dans sa poche de costume, oubliés.
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27.05.22 18:54

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Deux étrangers. Voici à quoi ils semblaient réduits de par leur attitude : au fond d’elle, une pointe de tristesse se manifesta. Il avait tant représenté ; pourtant la voilà incapable de rester postée près de lui. Elle s’appliqua à ignorer ce sentiment. Ce soir, les enjeux étaient tout autres, et devaient être épargnés de ses pensées personnelles et autres états d’âme. Comment devait-elle le considérer dans ce cas ? N’allait-il pas tout simplement se tenir au strict nécessaire envers elle ? Serait-il suffisamment disposé à échanger, partager ? Et si finalement, c’était elle qui en serait incapable… Sa répartie lui fit quitter ses interrogations intérieures.

«  Au contraire, il faut qu’elle s’ébruite. »

Elle releva son regard sur lui, fronçant un instant les sourcils alors qu’il allait à l’inverse de ce qu’elle venait de lui annoncer. Un sourire énigmatique avait étiré ses lèvres un instant et la Conseillère comprit qu’il avait déjà élaboré l’ébauche d’une stratégie. Le contraire aurait dû l’étonner. La coopération était de toute évidence de la partie puisque les idées semblaient fuser. Elle comprit qu’il avait apporté une nuance supplémentaire à sa réponse : si cette affaire s’ébruitait, c’était sous la condition d’une maitrise de la diffusion de cette information. Restait à savoir ce qu’il envisageait concrètement pour réaliser cette opération.

L’ombre de Tommen lui fit relever le visage dans la direction du nouvel arrivant. Lui retournant sa salutation discrète d’un simple hochement de tête, ses yeux suivirent la silhouette qui finit par entrer totalement dans la pièce. Tommen était un homme particulièrement énigmatique. Présente depuis quelques années au Conseil, elle n’avait jamais su, comme bien d’autres, de quoi était fait cet homme. Wanda savait que Lucrezia le portait haut dans son estime et le chargeait d’obligations importantes, de responsabilités pour lesquelles la confiance devait être pleine. Solitaire, peu loquace, il semblait la plupart du temps indifférent.
Quittant son assise, elle se dirigea vers la porte, qu’elle ferma silencieusement tandis qu’il prit la parole.
« Les faits me sont connus, de plus près que vous ne le pensez probablement » Ces mots attirèrent son attention plus que de raison, appuyée un instant contre la porte, elle retrouva finalement sa place, jetant un regard vers Jaroslav, avant de porter son intérêt sur son collègue.

Comment se fit-il qu’il ait eu connaissance des faits rapportés par ces lettres ? Elle souhaitait l’interroger sur le champ, qu’il leur fasse part de ce qu’il savait, ce qu’il avait… observé ? Connaissait-il les coupables de ces actes qui étaient maintenant enfermés ? La curiosité semblait la ronger instantanément, mais elle prit sur elle et fit montre d’une patience peu naturelle. Les deux individus qu’elle avait rassemblés ici cette nuit n’étaient pas les plus simples à aborder. D’un geste, elle l’invita à prendre place autour de cette table, avant de relier ses mains entre elles, et lui faire part du bref échange que Jaroslav et elle avaient eu un instant avant qu’il ne se présente.

« Je crains que cette affaire n’arrive aux oreilles des plus concernés avant que nous n’ayons pu agir en amont. Vous pouvez tous deux imaginer sans mal les retombées catastrophiques. Avec les mortels libres en nombre non loin de nos portes… Ce serait l’étincelle pour mettre le feu aux poudres. Et, nous savons tous que la Cité aurait du mal à supporter les conséquences d’un tel scandale. L’absence de notre souveraine complique la situation… »  Ses mots étaient teintés d’une inquiétude trop présente, trahissant la situation délicate et inconfortable dans laquelle elle se trouvait. Vulnérable, réclamant de l’aide. Elle fit une pause, puis posa son regard sur le profil de son ancien amant. « Cependant, Jaroslav semblait avoir élaboré les prémices d’un plan basé justement sur la diffusion de cette affaire. » Elle patienta un instant, avant de simplement ajouter : « Nous t’écoutons. »

Wanda se replaça au fond de sa chaise, à l’écoute, attentive.
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15.06.22 2:05

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
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Il soutint le regard sombre de la conseillère, laissant son sourire figé suggérer les tenants et aboutissants de sa déconcertante intervention. Ils se connurent autrefois si bien qu’il ne pensait pas impossible qu’elle ait deviné ses intentions. Si la conseillère avait un vice, et Jaroslav admettait volontiers le partager, c’était la curiosité. Chacun à leur manière, excellaient dans l’art du renseignement, fort aise d’avoir à disposition de capitales informations. Les secrets n’avaient pas bonne presse auprès de ces caractères taiseux, gardant jalousement l’art du renseignement pour en disposer à sa guise. La différence résidait dans l’utilité de tels savoirs, l’un plus susceptible de mettre à profit l’omniscience à des fins pacifiques, désamorçant au bon moment la menace, œil vigilant et protecteur, l’autre plus enclin à l’instrumentalisation, à la manipulation et à l’extorsion. Altruisme contre individualisme, l’incompatibilité s’étendaient à bien d’autres sujets encore, mais elle devait cette nuit s’annuler, les objectifs se rejoignant enfin.

Le Tchèque adressa un signe de tête au Conseiller Hodgkin alors qu’il passait la porte, portant tout le respect et les coulisses de leurs correspondances dans ce geste apparemment anodin. Sa présence acheva d’éliminer les dernières tensions. Celui-ci ne fut pas long à commencer, sans superficielle déclaration la séance fut ouverte. Il évoqua sans force détails son état de connaissance sur ladite affaire, ne manquant pas de faire tiquer la conseillère qui échangea un regard avec Jaroslav, auquel il répondit, décidément, par un demi-sourire entendu, reconnaissant là l’efficace pragmatisme d’Hodgkin, doublé d’une inaptitude aux jeux protocolaires des relations sociales. Il s’amusait de voir s’opposer le désir de la Conseillère de jeter la lumière sur toutes les sombres aspérités de territoires abscons, et le discours délavé de fioritures explicites de Tommen. Elle reprit le fil, orchestrant la veillée, et Jaroslav nota son vœu de transparence en faisant l’aveu de l’état critique de la cité, il comptait bien en faire de même. Aussi lui répondit-il en ces mots :

- Je ne vois que deux alternatives, et l’une me parait avoir plus de chances d’obtenir un résultat intéressant. J’ignore de qui tu tiens tes informations Tommen, mais si c’est à toi que l’on s’est adressé, c’est que l’informateur gageait sur ton indiscutable discrétion, chemin faisant il ne serait pas illégitime de compter sur la sienne. Les autres émetteurs sont respectivement homme d’église et médecin, vraisemblablement tenus par le secret de leurs professions, commença Jaroslav en faisant glisser les lettres confidentielles vers Tommen afin qu’il en prenne connaissance. Tout nous porte à croire que l’éventualité d'une fuite se tient du côté de l'enregistrée en question. Éliminer la source du problème serait efficace mais sujet au retournement éventuel de nos lanceurs d’alerte, qui, fait à noter, sont des figures publiques de confiance. Et s’il faut les retirer également de l’équation, combien d’autres individus encore auraient tout intérêt à être silencés s’ils devaient s’alarmer de ces disparitions ? Nous aurions tôt fait de provoquer une réaction en chaine incontrôlable signant l’arrêt de la cité. Non, l’affaire gagnerait à être exploitée, la lumière sur cette affaire venir de haut, accompagnée de mesures coercitives à l’encontre des fauteurs de trouble ; et de modifications systémiques vis-à-vis des dispositifs de la cité et du confort de vie des enregistrés. Cela aurait l’avantage de faire d’une pierre deux coups : diriger la colère sur des individus ciblés dont la perte n’importe que peu, et regagner la confiance de la foule en démontrant que le Conseil, même sans royauté, a le pouvoir de protéger le peuple en justifiant le renforcement de notre vigilance. C'est une opportunité qui sonne comme une aubaine en vérité, elle ne manquerait pas de frapper l’inconscient collectif, suggérant que la gérance établie est plus apte à contrôler la violence innée du genre humain en le protégeant de lui-même. Nous avons la chance dans notre infortune, que cette humaine ait été malmenée de ses pairs, cela légitime un état d’urgence dans lequel l’impartiale administration du Conseil est sinon nécessaire, salvatrice.

Il n’avait pas bougé d’un poil, énonçant son propos avec un flegme chirurgical, sans emphase, ses iris limpides oscillants d’un interlocuteur à l’autre en pareille considération.

- Il resterait à définir ces mesures coercitives et mélioratives, en étant en parfait contrôle de la façon de les annoncer. Un mouton paît plus paisiblement et offre une meilleure venaison à pâturer dans un environnement sécurisant qu’en stabulation, quand bien même le loup rôde, si toutefois l'herbe est assez verte. L’opinion doit être savamment influencée en faveur de la cité, ces mortels aux portes de la cité menaçant l’ordre, être discrédités, le séduisant appel être défiguré : sous-entendre qu’une quête fantasque de liberté est un leurre, une réduction à l’esclavage - n’ayons pas peur de détourner les mots à notre avantage – un esclavage à la coupe d’hommes et de prédateurs hostiles, et que cela s’oppose à la sécurité et aux privilèges de la vie en sédentarité. L'annonce gagnerait en authenticité si elle venait de la bouche d'humains. Soudoyer les crieurs de rue peut être une option envisageable. L'objectif est de susciter de vives émotions, car elles sont cognitivement plus rapides que le chemin de la réflexion. La colère et la peur, suivies du soulagement, étant un schéma efficace. L’homme a toujours été friand du spectacle de la disgrâce de ses pairs, plus elle est sanglante et publique plus elle marque les esprits, opposant de facto le délit du fauteur au désir d’irréprochabilité du bon citoyen. C’est mon humble avis, et s’il n’était pas le seul gain escompté à la clé de mon invitation à cette assemblée exceptionnelle, je vous informe être tout à fait disposé à réitérer l’effet de donations pécuniaires si les fonds de la cité venaient à manquer, déclara-t-il simplement, sans l’once d’un comportement crâne, souhaitant seulement libérer la parole sur ce sujet s’il en était éventuellement question.

Il en avait fini : l'action conjointe d'un bain de sang en place publique et d'une amélioration systémique aurait selon lui tous les plus profitables effets. Si la Conseillère déplorait l’angle d’attaque cynique du discours, elle n’en montra à cet instant aucun signe, se contentant d’agréger l’information. Un court silence suivit l’exposé, avant que Wanda ne reprenne la parole, demandant au Conseiller Hodgkin de révéler également ses plans.

- Bien, dit-elle fermement sur un ton qui ne présageait de rien, puis, se tournant vers Hodgkin : Tommen, nous révélerais-tu s’il t’en convient l’identité de ton informateur, ainsi que tes préconisations ?




Avec l'inestimable participation de @Gladys Cross et de @Lucius Malkavian

Lettre de Lucius Malkavian:

Lettre de Gladys Cross:


 


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That blue is getting me high
And making me low

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19.06.22 23:49

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L'idée de recevoir des donations dans le but de moderniser la cité sans en bouleverser les budgets était plaisante en soi, et si la conversation n'avait porté que sur cela, Tommen en aurait été entièrement soulagé ; tout à fait comme un poisson dans l'eau. Ce n'était pas le cas, clairement. Et quiconque le connaissait pouvait lire sur ses traits un trouble dont il n'avait guère fait état que par écrit, au cours de ces dernières années, pour les rares fois où il en avait éprouvé et l'avait admis.

"Si une forme de criminalité se met en place, c'est à la faveur de circonstances qui s'y prêtent." Il se tut, comme s'il cherchait à connecter cette entrée en matière très générale au cas particulier de la captive dont il était question. Comme s'il répugnait à la toucher, fût-ce verbalement. "Les agissements subis par les êtres humains sous notre juridiction constituent des crimes à deux égards. D'une part ils en souffrent, clairement, d'autre part leur souffrance abâtardit l'usage que nous sommes censés en faire en premier lieu. Dans ces conditions, cette cité n'a pas lieu d'être."

On pouvait accoler toutes sortes de descriptions hautes en couleur au Conseiller Hodgkin, mais sûrement pas celle d'un anarchiste. Cette cité, comme il l'appelait, était le grand oeuvre de sa vie, sa cathédrale Saint-Paul de Londres. S'il n'y avait pas été absolument forcé, il n'en aurait jamais dit du mal... uniquement de petites critiques constructives. Bien sûr, il ne donnait pas dans l'enthousiasme délirant, un sourire esquissé constituait généralement son grand maximum. Mais quant à suggérer qu'ils avaient peut-être eu tort d'élever ces murs, ou que d'autres n'auraient pas tort de les abattre... voire qu'ils n'auraient pas tort de les abattre eux-mêmes, ça dépassait de loin tout ce qu'un Tommen dans son état normal aurait suggéré, même pour une improbable plaisanterie.

"Je n'ai pas peur des mortels et je ne cherche pas à les contrôler davantage que ce n'est déjà le cas, psychologiquement ou par la coercition. Je n'ai jamais caché qu'ils m'intéressaient peu..."

Le Conseiller rajusta sa cravate. Il aurait aimé pouvoir la retirer, se vêtir d'une tenue de chasse pratique, et aller se promener dans les bois pendant que les enragés n'y étaient pas, plutôt que de devoir s'exprimer à cette table.

"C'est une question de principe qui m'anime." L'homme d'éther, bien sûr, l'homme d'abstraction et de chiffres. Si seulement. Le souvenir de cette nuit lui donnait presque envie de montrer les crocs. Par réflexe, il se réfugia dans davantage encore d'abstraction.

"Je pourrais admettre que notre société emploie l'esclavage pour se maintenir, dans la mesure où ce serait objectivement le meilleur calcul pour la préservation de tous. Mais la preuve est faite, ceux qui subissent ce régime sont détruits mentalement, et ceux qui l'infligent ont également à en souffrir ; il faut donc altérer ce régime jusqu'à obtenir d'autres effets. Car il est impossible à certains d'entre nous d'interagir avec des êtres ainsi brisés, leur conception de la soumission peut se traduire sous forme d'agression, sans qu'ils n'en aient encore conscience. Nous avons vécu de longues vies, au cours desquelles nous avons accumulé toutes sortes d'expériences ; parfois, nous avons simplement besoin de sécurité, et ce besoin doit être satisfait, au même titre que la faim."

Tommen leur transmit donc dans son entier le courrier qu'il avait apporté, mais il n'avait pas besoin d'informateur cette fois-ci. Il les laissa parcourir la lettre, qui faisait état, non seulement de maltraitances sur la population humaine, mais aussi de certaine méfiance envers les institutions de la part des vampires eux-mêmes, ce qui était le signe d'un degré tout particulier de déchéance, à son sens. Lui qui venait de Sibérie, savait à quel point cet indice était une tache, en forme de T comme tyran, sur la face des puissants dans l'ombre desquels l'indice se dessinait. En les voyant relever les yeux, il ajouta d'une traite :

"Ces déclarations n'ont fait que confirmer ce que j'avais observé de mes yeux. J'ai fait chercher l'honorable Bram Shepherd, et j'ignore s'il a réellement été prévenu, quand je me suis trouvé moi-même face à face avec cette prisonnière aux clapiers, puis j'ai, hm, pris la fuite."

Sa voix restait rauque, après qu'il se soit éclairci la gorge, lorsqu'il reprit :

"En fin de nuit, je me suis retrouvé devant l'auberge du dénommé Erwin King, qui m'a porté assistance dans ce moment de confusion. Il ignore que je connais celle qu'il acquit par la suite. Elle n'a sans doute pas parlé de moi précisément. Bref ! J'ai trop parlé, voici donc ma recommandation : convertir le quartier incriminé, très publiquement, en quelque chose de plus éthique, des ateliers de travail d'intérêt général par exemple. Investir les victimes du lieu dans la construction et les en récompenser, raisonnablement. Y incarcérer leurs tourmenteurs en guise de premiers condamnés. Faire passer le mot de ces réformes auprès des populations extérieures. Quant aux vampires qui se prêtaient au jeu, recueillir leurs témoignages : que trouvaient-ils là qu'ils ne pouvaient trouver ailleurs, et comment le leur obtenir dans le respect de nos idées ? Ce n'est sans doute pas moi qui pourrai me prononcer là-dessus."

Construire, voilà ce qu'il proposait toujours. Construire, et pour le reste, uniquement des questions sur la nature humaine, sous toutes ses formes. Mais il n'avait aucune réponse.

Courrier transmis par @Erwin King:
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31.07.22 20:25

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Ouvrant à la libération de la parole, Wanda tourna d’abord son regard vers son premier interlocuteur qui prenait la parole. A l’évocation d’une solution qui lui paraissait inenvisageable, elle glissa sa main contre sa bouche, empêchant la moindre remarque de lui échapper. Il n’était pas question de rappeler à Jaroslav combien leurs avis divergeaient au sujet des humains. Aussi, bien que ses propos la contrarièrent, elle ne réagit pas davantage, poursuivant son écoute attentive. Bêtement, elle fut ravie de l’entendre s’exprimer longuement : depuis qu’il s’était installé à New Abbotsford, leurs échanges avaient toujours été teintés d’une certaine aigreur et ne s’éternisaient jamais. L’écouter ainsi déployer ses idées, mettre à nu son raisonnement la satisfaisait doublement. Jaroslav était un individu que la stupidité n’avait pas même effleuré : son esprit savait analyser, proposer, solutionner de façon claire, et rapide. Faire appel à lui dans une telle situation était une excellente chose, en dehors du fait que la Cité avait été érigée avec lui parmi les mécènes.
Elle dut s’appliquer à détourner son attention ailleurs, mais à quelques reprises, elle se surprit à l’observer attentivement, retrouvant là des expressions qu’elle connaissait d’antan, mais qui n’étaient pas réapparues lors de leurs récentes rencontres.

Elle resta silencieuse, assimilant toutes les informations qu’il venait de leur fournir, ses idées, son analyse de la situation et l’inversion de la tendance à enclencher à travers cet événement.
Aiguiller l’opinion publique là où on souhaitait qu’elle aille, guider les avis des enregistrés en pointant du doigt des responsables tout aussi mortels qu’eux, éloignant ainsi les possibles tensions à l’égard des maitres de la Cité. La démarche était finement calibrée, les réactions qui en découleraient seraient bénéfiques, et facilitantes pour la gestion de New Abbotsford et de ses habitants. La nouvelle susciterait l’émoi chez tous, mais ce dernier serait aussitôt étouffé face aux mesures mises en place par le Conseil. C’était adroit et malin. Et surtout, le contrôle sur la situation serait totalement maintenu et à leur portée.

Wanda tourna finalement son attention sur Tommen lorsque Jaroslav avança une proposition de donation. La Conseillère ne gérait clairement pas la comptabilité de la Cité et n’aurait su dire dans quel état se trouvaient les caisses à l’heure actuelle. Aussi, l’homme de confiance de Lucrezia était bien plus au fait.

Un silence finit par s’établir, qu’elle rompit alors : « Bien. Tommen, nous révélerais-tu s’il t’en convient l’identité de ton informateur, ainsi que tes préconisations ? »

Les premières paroles prononcées par son collègue étaient lourdes de sens. Connaissant la position de la Reine envers les humains, et les nombreux échanges au cours desquels Wanda avait plaidé leur cause, elle n’imaginait pas trouver un interlocuteur impartial et raisonnable à ce propos. Siégeant depuis quelques années au Conseil, les débats au sujet de la condition des enregistrés étaient toujours très animés, avec d’un côté ceux qui se ralliaient à l’avis de la souveraine, et de l’autre, Anselme, Wanda et quelques personnalités plus enclines à améliorer les conditions de vie de ceux qui leur permettaient de vivre confortablement entre ces murs. Il ne lui restait pas de souvenir marquant de Tommen prenant partie lors de ces échanges un peu vifs.
La surprise la quitta pour mieux l’écouter ensuite. Il fit alors glisser le courrier signé d’Erwin King, et comme à la lecture des autres lettres, Wanda sentit sa gorge se nouer à la lecture des mots qui rapportaient les sévices endurés par cette jeune femme, enceinte qui plus est. Elle s’efforça de chasser le trouble qui l’avait gagnée un instant, reprenant sa contenance en refermant prestement le document et le glissant dans la direction de son ancien amant qui aurait surement une sensibilité moindre, et pourrait souligner le deuxième sujet glissé dans la lettre, à savoir, les reproches faits à l’égard des responsables de la Cité. Tommen glissa en quelques mots des explications sur sa rencontre avec la victime, avant de conclure son propos en délivrant son opinion sur la suite à donner.

Elle hocha la tête pour elle-même, ayant assimilé les précédentes propositions et échanges des deux hommes.
« Les coupables sont actuellement isolés et enfermés, en attendant de savoir quoi faire d’eux. » Si cela ne tenait qu’à elle, et sa rancune sans limite à l’égard de tels individus, elle les aurait déjà abandonnés au-delà de la bordure, en pâture aux Enragés. « Je vois plus précisément ce que tu souhaites créer Jaroslav, et je dois avouer que l’utilisation de cet événement pour améliorer les conditions humaines et laisser savoir que nous… agissons, certes tardivement, pour leur bien, pour leur offrir un meilleur quotidien semble être une bonne opportunité. Vous n’êtes pas sans savoir que la condition humaine m’importe, et que je cherche sans cesse à me faire entendre, et que ce n’est pas chose aisée. Bref. Cet événement permettrait d’arriver à cela, tout en gardant le contrôle sur la situation qui pourrait dégénérer si nous tardions à intervenir. Laisser courir le mot jusqu’en dehors de nos murs me semble hautement nécessaire : la tension est palpable de toute évidence. » Croisant ses mains entre elles, elle posa ses yeux sombres sur ses doigts emmêlés avant de reprendre la parole. « Les clapiers doivent être transformés. Cet endroit est similaire aux geôles en terme de confort, et cette affaire révèle une véritable insécurité pour les femmes qui s’y trouvent. Il n’est pas envisageable de continuer sur cette lancée. Tout doit être révisé : des locaux et leur entretien, à la façon de procéder pour la procréation. Il faut un véritable changement, perceptible, et que de tels actes ne s’invitent plus à cet endroit. De mon côté, je vais prendre certaines mesures au sein de la Milice et des soldats qui la composent. Quant aux vampires qui participaient ou qui étaient dans la confidence, je n’ai, hélas, aucune réponse à t’apporter, Tommen. Mais s’ils sont identifiés, il serait intéressant de… restreindre leurs avantages, avec notamment la possession d’humains. Qui sait s’ils ne perpètrent pas des choses similaires sous leur toit ? »

Haussant les épaules, découragée par ce type de comportements, elle ne savait comment gérer les immortels qui, ils existaient sans aucun doute entre ces murs, profitaient de la faiblesse des enregistrés, les soumettant de la plus basse manière qui soit, suffisamment pour qu’aucun de leurs dociles humains ne témoignent contre eux. Rassemblant les éléments rapidement, elle reprit la parole : « Nous semblons trouver des solutions qui permettent d’éviter d’une part un scandale au sein de la Cité, et d’autre part, améliorer véritablement les conditions qui ont permis une telle situation. » Ne restait plus qu’à mettre en œuvre des actions après avoir consulté l’ensemble des membres du Conseil, encore présents à New Abbotsford. Wanda s’éclaircit la gorge aussitôt, ajoutant finalement : « Avec des Conseillers en moins ici, Lucrezia éloignée pour une durée indéterminée jusque là… Ne serait-il pas intéressant de suggérer une nomination supplémentaire autour de la table ? Même temporaire ? » Elle interrogea du regard Tommen, cherchant à savoir comment il recevait sa suggestion, avant de tourner son visage vers Jaroslav. « Tes idées sont pertinentes, tu as participé à la fondation de cette Cité, Lucrezia te fait confiance, tu sembles attaché au lieu puisque tu es prêt à investir à nouveau. Tu pourrais intervenir plus directement dans les propositions, les suggestions… La place d’un mécène pourrait se trouver également à cet endroit. »
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29.09.22 20:36

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
https://lrth.forumactif.com/t1375-jaroslav-zelivsky#30534 https://lrth.forumactif.com/t1376-jaroslav-zelivsky
Il avait longtemps pensé que l’homme n’avait pas d’autre fonction que celle d’une substantielle subsistance à l’avantage de l’espèce dominante en exercice. Il avait trouvé logique de disposer de l’homme comme on dispose de l’animal, à l’état de bétail, privé de droit, interchangeable à souhait, aucune nature n’étant indispensable. New Bellingham creusait les vices immortels, faisait de tout vampire bien constitué un gargantua obèse et jamais repu. Il s’était largement abreuvé à sa fontaine pourpre coulant à l’infini, avait joui de la chair, de cette forme de violence toute puissante, avait consommé jusqu’à plus soif, jusqu’à l’écœurement. La vérité avait jailli un soir de lune morte et le souvenir revenait souvent à lui, à chaque fois qu’il lui fallait se sustenter. Debout à sa fenêtre à observer la nuit s’étendre en miroir sur le port, à écouter la rumeur folle de la cité se confondre en un brouhaha effréné, il avait vu clair dans le jeu de cet horrifique Sodome : « la ville se meurt et personne ne semble remarquer le suicide collectif vers lequel se mouvent les corps, la ville s’étouffe dans sa boulimie, dans son vomi et dans ses pleurs, les morts jouissent du vide et se repaissent du désespoir. Rien ne l’arrête, c’est une machine à produire du gras sur des êtres rachitiques, jusqu’à la folie ».

« Car il est impossible à certains d'entre nous d'interagir avec des êtres ainsi brisés, leur conception de la soumission peut se traduire sous forme d'agression, sans qu'ils n'en aient encore conscience. » , disait Tommen, et Jaroslav de faire le lien avec son écœurement maladif, de refouler d’un doigt contre les lèvres l’indicible, ou s’agissait-il de repousser la vague nauséeuse qui l’étranglait invariablement aux effluves puissantes d’hémoglobine ? Le sang avait un goût de pourriture depuis New Bellingham, peu importait qu’il soit frais et chaud, à la source du cou gracile de la plus délicate des jouvencelles ou coupé aux anticoagulants, contenu dans une bouteille en verre issue des réserves de New Abbotsford. Il repoussait systématiquement le liquide épais de la langue, le gardant loin des papilles comme un alcool trop amer qu’il aurait plus volontiers recraché, mais qu’un instinct plus fort encore le poussait à avaler quand même. Le secret était bien gardé, et il ne se nourrissait plus que dans la solitude.

L’élucubration n’avait duré qu’une seconde. Wanda avait terminé la lecture de la lettre d’Erwin King et la lui glissait, Jaroslav la consulta donc à son tour, silencieux, écoutant le Conseiller délivrer sa recommandation. L’objectif pouvait différer du sien, être moins cynique et plus noble, la finalité était la même. Il s’agissait de préserver ce qui distinguait New Abbotsford de ses congénères broyeuses d’âmes, sans pour autant glisser vers la trop coulante New Princeton. Le vampire aux yeux de glace fixa son épistolaire ami avec le calme du froid, et acquiesça, en écho au hochement de tête de la Conseillère, déjà sur la préparation intérieure aux formulations de ses conclusions.

Ainsi la cité évoluerait. Les murs ne bougeaient pas mais leurs offices suivraient l’inéluctable fluctuante destinée, la souffrance des victimes du passé suinterait sur la colère des futurs malfrats, et la cité s’en porterait mieux. Le strigoï détourna la tête à l’énoncé de ces femmes abusées des clapiers. N’était-il pas l’archétype de tous les hommes ayant disposé du corps des femmes ? Il observa Tommen qui avait été témoin dudit clapier, Jaroslav sentait presque le nauséabond sang du désespoir transpirer dans ses mots. Ne serait-il pas aux yeux de la Conseillère, par analogie, aussi coupable que ces immortels complaisants ? Les fauteurs seraient débusqués, leurs privilèges retirés, et lui serait épargné. La putride New Bellingham était loin, fallait-il encore qu’il ne l’oublie.

Était-ce réellement envisageable, quand la Conseillère lui offrait sur un plateau une position qu’il ne pouvait décemment refuser ? Jaroslav redressa un œil froid, réchauffé d’un sourcil arqué témoignant de son intérêt sincère, teinté d’une once de surprise. Wanda avait-elle échafaudé ce plan jusque dans ses finitions, testant l’élève avant de lui attribuer sa nouvelle position ? Ézéquiel lui pardonnerait difficilement cet affront s’il ne lui présentait pas habilement les choses. Sa place au Conseil pourrait dangereusement intéresser l’indiscret monarque. Il lui faudrait être assez prolixe pour lui mettre l’eau à la bouche tout en le maintenant à distance raisonnable des enjeux véritables de New Abbotsford. Le Roi de New Bellingham lui était aussi détestable que son séant empire, mais la position délicate de la cité le mettait en fâcheuse posture, et demandait une énième visite à Sodome, afin de l’en informer lui-même. Qu’importe, New Abbotsford devait être préservée, il œuvrerait en ce sens, sans tout à fait comprendre encore ce qui la rendait unique.

- Je répondrai à l’appel comme je suis présent cette nuit, à la commission où mes compétences seront jugées les plus utiles, répondit-il d’un ton solennel, puis dressant deux pouces blancs de bonne foi de ses mains jointes, pour le bien de la cité, il m’est cependant nécessaire de mentionner le Roi Ézéquiel, qui de toute évidence ne prendra pas la nouvelle de bon aloi. Je n’ai de ce fait qu’une seule demande : être le seul à pouvoir être en mesure de le prévenir, en personne.

Dès son arrivée à New Abbotsford, les positions de l’infant Voltchenkov vis-à-vis de son nouveau monarque et Sire avaient été laissées absconses à la Conseillère, ainsi qu’à beaucoup d’autres protagonistes. Il songea ce soir que cela n’avait pas été du meilleur effet, troublant peut-être la confiance qu’elle lui portait, lui et ses possibles douteuses fomentations. Le laisserait-il aller à la rencontre du versatile monarque de New Bellingham ou croyait-elle volontiers qu’il méritait sa réputation d’opportuniste calculateur, un coup d’avance et la trahison jamais loin ? Il n’avait jamais tenté de laver son nom, sa triste notoriété le laissant quelque part assez libre dans ses entreprises. L’indépendance dans le petit monde des affaires, ne plaisait jamais tant qu’un réseau micellaire et inextricable, protégeant ses noyaux tout autant qu’il les étranglait entre eux. Laisser entendre une promesse, parler de loyauté, ou jurer une entente ad vitam aeternam ne faisaient pas partie de ses leviers de persuasion de prédilection, leur préférant l’analyse brute et factuelle, gage d’espèces sonnantes et trébuchantes. Aussi ne s’était-il jamais agenouillé qu’une seule et unique fois. La Reine pouvait bien partir, il avait prêté serment, et cela durerait, aussi longtemps que la ville se dresserait sur la plaine, face à la montagne.

- À présent si ma qualité me le permet, je voudrais aborder un autre sujet, et non des moindres. Qu’a décidé d'entreprendre le Conseil vis-à-vis de l’armée de sauvages située à quelques jours de marche d’ici ? Je ne suis, j’imagine, pas le seul à en avoir eu vent, et à sentir son influence néfaste sur les esprits de la cité.


Spoiler:


 


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08.10.22 18:53

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"Que le ciel me préserve de régner un jour sur des vampires," murmura Tommen. Sa main déplia brièvement la page qu'il avait apportée, dévoilant le nom de l'aubergiste auprès de sa semblable et requérant, d'un regard appuyé, qu'elle fasse bon usage de cette information.

Pour le reste, il n'avait aucune justification à apporter : il s'était rendu aux clapiers parce qu'il errait sans but, en proie à d'odieuses tentations de destruction qui ne le laissaient pas se concentrer sur son travail, et il avait été attiré à cette captive en particulier parce qu'elle portait une odeur étrange, rarement côtoyée depuis qu'il était un homme important, un bourreau de travail et un ermite invétéré. Et cette odeur l'avait poursuivi dans sa fuite. Deux corps en un, deux poupées gigognes.

La forêt avait bu le reste et il n'en parlerait pas dans cette pièce.

Il acquiesçait à ce qui était suggéré - une remise en ordre des zones sinistrées, des châtiments pour les uns, des consolations pour les autres, un nouveau Conseiller autour de la table, tout cela lui importait peu. Tout cela n'avait pas trait aux murs. Et il n'aurait pas aimé avoir à prendre des décisions en personne, quant aux interactions entre les maîtres et les valets, ou autres recommandations à mi-chemin entre le fouet de la morale et le glaive de la politique. Son malaise était perceptible chaque fois que son intervention était requise dans ce domaine ; il tâchait de le maîtriser, conscient que son ami le connaissait assez bien pour le recevoir de plein fouet, comme une désagréable contagion.

Il aurait aimé que cette conversation soit un échange entre amis. Il ne savait pas précisément à quoi un tel concile aurait ressemblé ; un groupe de trois était déjà, à ses yeux, une foule, et il préférait de loin les tête à tête, par écrit ou à mi-voix. Mais cela aurait pu être tellement reposant. Un échange de nature plus simple, plus personnel, où il aurait davantage pu calculer une manière de se rendre utile, et de justifier sa présence. Quel étrange souci, vraiment ; il le chassa comme une chauve-souris importune.

"Ce serait un plaisir d'accueillir un nouveau conseiller si digne de confiance," dit-il simplement. Il partageait cette confiance, et puis, il y avait la perspective de croiser plus régulièrement un masque qui abritait tant de longues conversations partagées. En économe, il appréciait d'être compris à demi-mot. Son regard fuyant se fit direct pendant quelques secondes, tandis qu'il affichait ce qui aurait pu être interprété comme un sourire. Puis il poursuivit, retrouvant l'attitude professionnelle à laquelle il les avait davantage habitués :

"L'armée en question n'est pas seule à camper près de chez nous, il existe également d'autres groupes, et vous vous doutez que certains préfèrent rester neutres que de nous affronter. Il y a mieux, un groupe qui pourrait se ranger à nos côtés, mais je préfère ne pas m'avancer, rien n'est si peu constructif que de s'engager pour autrui. Je pense présenter une demande afin d'organiser une rencontre à cet effet. Mon rôle, là aussi, n'est que celui d'un intermédiaire accidentel. Et si l'un ou l'autre parti le souhaite, je peux aussi jouer le rôle de garant."

Sa timidité maladive l'empêchait de l'affirmer haut et clair, mais il n'en était pas moins convaincu : le clan du sauvage philosophe ne les trahirait pas, et les vampires de New Abbotsford ne trahiraient pas le philosophe en question, celui qui l'appelait Wieland, et qui avait déjà adressé une proposition au Conseiller ; il ne savait pas qui il avait devant lui, il ne réclamait aucun paiement, aucune protection, il s'offrait simplement à agir selon ses principes et l'en tenait informé. Mais était-il encore en vie ? Son premier projet était de rencontrer l'armée ennemie et de s'enquérir de ses intentions, de prêcher la paix et l'abandon des querelles, bref, d'affirmer ouvertement qu'il n'était pas d'accord avec eux. Ils l'avaient peut-être cloué à un arbre depuis quelques nuits déjà. Qui sait si sans lui pour leader, son clan n'avait pas déjà rejoint les rangs de l'armée...

Tommen devait admettre que c'était plausible. Mais il préférait se dire que ce n'était pas arrivé.
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