1980
"S'aimer soi-même est le début d'une histoire d'amour qui durera toute une vie."« Eleonor ! Où est Dorian bon sang ? », se mit à vociférer Robert Lokwood contre sa femme, alors qu'il cherchait en vain son fils.
« Je l'ignore. Je l'ai aperçu dans la salle de réception parmi la foule toute à l'heure. Il faut dire que son accoutrement haut en couleur ne laisse pas de place au hasard. On pourrait le reconnaître entre mille », répondit l'hôtesse du manoir d'un ton médisant.
« Comme toujours il joue les provocateurs pour se donner en spectacle et nous faire honte auprès des convives. Un vrai gamin irrespectueux et inconscient de sa chance ». L'agacement pouvait se lire sous les traits du quinquagénaire à mesure que son regard parcourait les recoins de chaque couloir, laissant au loin un brouhaha ambiant résonner dans la demeure. Au détour d'un croisement il finit par croiser l'une des bonnes à leur service.
« Alicia, quand avez-vous vu mon fils dans les parages pour la dernière fois ? ». Prise de court, les bras chargés de linge de maison, la domestique réfléchit un instant avant de l'informer.
« C'était il y a un quart d'heure environ Monsieur. Il est entré dans le petit salon avec Sir Edington. Je ne crois pas les avoir aperçu en ressortir depuis ». Fronçant les sourcils, le chef de famille afficha une moue dubitative.
« Eleonor retourne auprès de nos invités, les enchères vont bientôt commencer. Je me charge d'aller les retrouver avant que cet idiot ne manque de respect au Lord ». Madame Lockwood hocha positivement la tête, toute aussi irritée que son interlocuteur, avant de faire demi tour pour jouer son rôle à la perfection. Elle laissa alors son mari poursuivre ses recherches pour parvenir finalement à la porte indiquée par Alicia. Sans prévenir ou s'annoncer, le propriétaire des lieux entra promptement dans le petit salon. Mais quelle ne fut pas sa surprise en tombant sur la vision indescriptible de son fils à genoux, soulageant une connaissance respectée de longue date au pantalon baissé jusqu'aux chevilles.
« Wi.. William ?! », s'étrangla-t-il face au choc. Pris la main dans le sac, le concerné ouvrit de grands yeux terrifiés et dans la panique remonta à vive allure son bas.
« Mon Dieu Robert ! Je.. Je.. Ce n'est pas ce que vous croyez ! », bégaya le pécheur aux joues écrevisses tandis que le plus jeune, beaucoup plus détendu, se releva lentement en époussetant ses rotules, un sourcil incrédule face aux propos mensongers du coupable.
« Que vous n'étiez pas en train de vous faire sucer par son seul et unique fils au point tel d'en gémir de plaisir ? Mais non voyons quelle idée ! » , balança naturellement le garçon de manière provocante en s'essuyant la bouche d'un revers de la main.
« Sir Lockwood croyez-moi.. », chercha à se défendre de nouveau le parlementaire livide.
« Il vous donne du Monsieur maintenant c'est charmant », ne put s'empêcher de rajouter l'éphèbe tatoué en se moquant, les bras croisés contre sa poitrine.
« Je suis saoul, j'ai l'esprit beaucoup trop embrumé, je ne savais plus ce que je faisais. Il.. Il a profité de ma vulnérabilité pour.. ». Vexé, il le coupa dans son élan pour pointer du doigt la bêtise de ces paroles.
« Le couplet de l'abus sexuel ? Carrément ? Non mais alors là on aura tout.. ». Mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà une violente baffe s'abattit sur sa joue. Une gifle cinglante et sans préavis que lui infligea son paternel, le regard noir de colère.
« Tais-toi ! Je ne veux plus entendre un mot sortir de ta bouche ! ». Sans détourner ses yeux de son fils, Robert Lockwood s'adressa au politicien.
« Sir Edington je vous invite à rejoindre le reste des enchérisseurs et faire comme si de rien était. Ce qui c'est passé ici n'est jamais arrivé entendu ? », rajouta le quinquagénaire dont le contrôle de lui-même faisait froid dans le dos. Figé par la douleur fulgurante de cet acte, Dorian serra la mâchoire en observant le lâche quitter la pièce pour revenir ensuite vers son géniteur. Il le détestait tellement en cet instant. Hélas, Sir Lockwood ne semblait pas en avoir fini avec lui. Bien plus imposant que sa progéniture, il attrapa celle-ci par le col de sa chemise afin de la tirer vers lui, l'étranglant partiellement.
« Ecoute-moi bien espèce de petit pervers ingrat. J'en ai assez de te voir tourner le célèbre nom des Lockwood en ridicule avec ton comportement de dépravé. Tu fais honte à cette famille et mon Dieu je ne sais pas ce qui me retient de te déshériter sur le champ ». Sa rage de moins en moins maintenue faisait brûler ses iris d'une lueur inénarrable. Un frisson parcourut l'échine de l'excentrique sans pour autant se soumettre, bien décidé à lui tenir tête.
« Peut-être par peur que mes choix de vies n'explosent à la face de tout votre précieux univers ? Ou alors à cause du détournement de fonds que vous effectuez allègrement grâce à vos soi-disant enchères pour nourrir les pauvres petits africains ? Ou mieux encore, que mère apprenne avec quelle piété vous baiser votre ravissante secrétaire en son absence ? Ashley c'est ça ? », siffla-t-il à sa figure, ce qu'il lui valut aussitôt un revers de coup sur l'autre joue. La brutalité fut elle qu'elle faillit faire vaciller le jeune homme lorsqu'il le relâcha, d'épaisses larmes humidifiant ses mirettes assombries.
« Un jour tes pulsions tordues et ta vie de débauche se retourneront contre toi et ce jour là, tu seras seul Dorian. Personne ne te tendra la main ». Le défiant de ses perles émeraudes, la colère déformant ses traits si pétillant habituellement, le tatoué extraverti refusait de se conformer à la vision de son père. Il s'apprêtait à répondre avant que la bonne ne vienne taper de l'autre côté de la porte, prévenant le richissime promoteur immobilier qu'il était demandé dans la salle de réception. Les deux hommes échangèrent un dernier regard perçant, se toisant de par et d'autre, puis Sir Lockwood s'éclipsa de la pièce. Il ne fallut que quelques minutes à Dorian pour en faire de même, se recoiffant au passage et cherchant à dissimuler les marques rougies présentes sur ses joues. Obligé de retourner aux festivités comme si de rien était, l'enfant rebelle s'approcha de la salle où avait lieu les enchères, se laissant porter par la houle du commissaire priseur faisant le show. Accoudé à l’entrebâillement, ses yeux ne purent s'empêcher de dévier vers une présence qui changerait à jamais sa vie. Comme hypnotisé par cette jeune femme à l'écart aux cheveux diaphane et à la beauté surhumaine, Dorian ne se rendit même pas compter qu'il s'était avancé pour rejoindre la nymphe. C'était bien la première fois qu'il la voyait en ces lieux. Assurément il s'en serait souvenu. On ne pouvait oublier pareil visage. S'asseyant juste à côté d'elle, envoûté par sa simple allure, il l'importuna avec cette extravagance qui lui seyait si bien.
« Wouah.. Vous êtes sans nul doute l'une des plus belles femmes qui m'ait été donné de voir ». Ayant sans doute l'habitude d'être importunée de la sorte, la belle esquissa un sourire discret et indescriptible alors qu'elle observait toujours les enchères.
« Quel compliment. La flatterie est innée chez vous ? ».
« Seulement un fervent partisan de la vérité ». Il ne cherchait aucunement à la courtiser. Après tout il avait eu son compte pour la journée. Il était simplement admiratif de ses traits délicats et de ce charisme apparent qu'elle semblait dégager avec une aisance remarquable. La pureté de la jeunesse rayonnait sur son visage alors qu'une puissante sagesse forçait ses iris.
« Une qualité rare qu'il faut savoir chérir dans ce cas », poursuivit-elle sans dévier son regard. Mais Dorian n'en était pas offusqué, au contraire. Il n'en était que plus curieux.
« Tout le monde n'est pas de votre avis j'en ai bien peur ».
« Tout le monde n'est pas comme moi ». La muse aux cheveux d'ange se tourna finalement vers son interlocuteur qui sentit son cœur dérailler. Un silence s'installa entre eux l'espace de quelques secondes avant que l'Aphrodite moderne ne le brise.
« Et a qui ai-je l'honneur de parler ? ». Le garçon ne se fit pas prier.
« Dorian. Dorian Lockwood. Et vous-êtes ? ». Le jaugeant d'un air passablement amusé, la demoiselle renchérit.
« Sir Lockwood aurait-il envoyé son fils dans le but de m'amadouer ? ». Ce fut au tour du beau brun d'afficher un sourire cynique.
« Oh vous semblez être le genre de personne qui ne se laisse pas aussi berner aisément. Et soyez assuré d'une chose, Mademoiselle, mon père et moi n'avons absolument rien en commun ». La risette de la naïade s'intensifia et son intérêt sembla bien plus poussée.
« Il suffit de vous regarder pour en être convaincu, Dorian. Mon nom est Lucrezia ».
A partir de cet instant, les deux jeunes gens d'apparence eurent le plaisir de se revoir à plusieurs reprises, échangeant, plaisantant et partageant leur vision du monde avec une telle alchimie que Dorian ne parvenait nullement à expliquer. Séduit par ce qu'elle était, de la manière dont elle rayonnait, il se surprenait à ne chercher rien d'autre que sa simple présence. Une attirance qu'il dut pourtant mettre de côté après qu'il ait finalement contracté cette maladie encore inconnue et incontrôlable qu'était le VIH au début des années 80. Il avait joué avec le feu et au lieu de simplement se brûler, il s'était immolé.
1981
"Ces joies si violentes meurent comme feu et poudre qui se consument en s'embrasant !"« Lucrezia ? Qu'est-ce que tu fais là ? », questionna le jeune homme allongé sur un lit d'hôpital, amaigri et perfusé alors que la surprise se lisait sur son visage.
« J'ai eu vent de tes soucis. Tu sembles mal en point ». De sa douce voix et par sa simple présence, la muse avait rempli la chambre d'une harmonie indescriptible. Se relevant péniblement, cherchant à cacher les grimaces qui inondèrent ses traits au mouvement de chacun de ses muscles, Dorian tenta de refermer une partie de sa blouse, là où sur sa poitrine des tâches brunâtres avaient fait leur apparition. Il se devait d'être présentable face à pareille beauté.
« Je ne vois pas ce qui te fait dire ça. C'est juste un vilain rhume. Je pète le feu », rétorqua-t-il de façon presque surjouée, bombant le torse et levant la tête alors que celle-ci lui provoquait des nausées dû au traitement. Il sentit le regard de Lucrezia l'observer avec une telle intensité qu'il se sentit comme un petit garçon pris la main dans le sac.
« Tu n'as pas besoin de faire semblant avec moi Dorian. Seulement la vérité tu te souviens ? ». Honteux comme il ne l'avait jamais été pourtant, l'éphèbe affaibli plongea son regard émeraude creusé par de profondes cernes dans le lagon de celui de la belle. Ils s'observèrent ainsi durant quelques instants, sans parler avant que finalement Dorian ne sente les larmes lui montaient sans pour autant jamais pleurer.
« Je l'ai. J'ai attrapé cette saloperie dont tout le monde parle à la télévision et dans les journaux. Quand j'ai été diagnostiqué, mes parents ont payé cher les médecins afin qu'ils gardent le secret. Tu comprends la digne et respectable famille des Lockwood ne peut se permettre un tel scandale. Leur unique fils atteint du SIDA, qu'est-ce que les gens pourraient bien penser ? », finit-il par avouer sur un ton cynique pour marquer les dernières paroles de son discours. Mais son faux sourire fut très vite éclipsé par une quinte de toux qui s'empara de lui, brûlant ses poumons d'une acidité insoupçonnée.
« Ils m'ont envoyé ici pour que je puisse crever lentement à l'abri des regards. Là où je ne nuirai pas à l'héritage familial. Ironiquement mon père avait raison sur un point. Je suis tout seul désormais. Mais au moins je n'ai plus à me cacher ». La jeune femme avec son assurance remarquable s'approcha davantage de lui et lui saisit la main, un petit sourire dissimulant bien des choses derrière ce visage angélique.
« Et si je te disais que tu n'es plus seul désormais ? Que j'ai la possibilité de t'offrir une nouvelle vie? ».
Des mots qui ne tombèrent nullement dans l'oreille d'un sourd et sans réellement comprendre comment, Dorian quitta l'hôpital pour suivre Lucrezia jusqu'à chez elle sans savoir que cette nuit là serait la dernière de son existence humaine. Une vie qu'il quitta sans regret offrant alors son enveloppe charnel de mortel aux bons soins de celle qui deviendrait sa créatrice. Si la morsure fut supportable, ce fut les heures et les jours qui suivirent qui le furent beaucoup moins. Souffrant d'une douleur lancinante et insupportable par moment, l'anglais avait l'impression de subir mille morts si bien qu'il n'en voyait plus la fin. Affaibli par sa propre maladie qu'il sentait pourtant se dissoudre en lui à chaque minute de sa transformation, il en fallut de peu pour que le garçon ne se réveille pas de ce cauchemar. Heureusement il put compter sur la ravissante créature toujours présente à ses côtés, lui murmurant des mots doux et l'apaisant jusqu'à ce qu'il devienne à son tour un vampire. Un être de la nuit qui grâce à l'aide de sa sauveuse se vengea de sa famille en leur faisant perdre quasi l'intégralité de leur fortune, une partie revenant à lui et dont Lucrezia pouvait disposer selon son bon vouloir et une autre qu'il légua anonymement aux hôpitaux et centres de recherches pour mettre à mal ce virus. Une épidémie qu'il ne pensait pas voir s'amoindrir avec l'arrivée des années plus tard d'un danger bien plus dévastateur. 2107
“Au royaume de l’espoir, il n’y a pas d’hiver.”
« Qu'est-ce que tu fais ? », demanda Dorian interloqué par le geste de son partenaire alors que ce dernier détachait de son cou sa chaîne en argent agrémentée d'une croix chrétienne pour l'accrocher au sien.
« Je te protège de toi-même. Il veillera sur toi si je ne peux le faire », lui répondit-il naturellement et de manière on ne peut plus sérieuse. Ne pouvant s'empêcher de lever les yeux au ciel, exaspéré par ces douces paroles, il était partagé entre l'agacement et une profonde tendresse à son encontre. Au cours de sa vie humaine et encore plus depuis sa transformation, le beau brun avait eu bien des relations. La plupart du temps simplement charnelles, il lui était pourtant arrivé d'aimer mais jamais aussi longuement et assurément que Marius. Vampire d'origine française rencontré à New Bellingham pendant son séjour là bas, il avait fini par tomber sous le charme de cet aîné à la chevelure ébène. Un sentiment réciproque qui avait poussé l'ancien habitant de l'hexagone à suivre l'excentrique par de là les contrées afin de créer une toute nouvelle cité. Un havre de paix aux idéaux portés par la créatrice de l'anglais. Hélas, face à l'apocalypse qui avait pris place sur terre, il était nécessaire de se battre pour permettre à ce futur cocon de prendre vie. Un projet, un rêve pour lequel les deux immortels étaient prêts à lutter corps et âme.
« Mon cher et tendre Marius, j'entends bien que l'idée de me perdre dévasterait ton précieux monde mais tu sais que je ne crois pas en toutes ces conneries de tout puissant nous jugeant de là haut. Le pauvre si c'était le cas il aurait déjà fait une syncope me concernant », lui avoua-t-il sans mâcher ses mots tandis que de sa main il venait caresser affectueusement la joue de son interlocuteur. Épris de son bellâtre, il lui était impossible de ne pas dévisager chacun de ses traits alors que l'on aurait pu croire qu'il se moquait de la situation. Ce qui en soit n'était sans doute pas entièrement faux. Après tout Dieu et lui n'avaient jamais été en très bon terme.
« Je sais que tu n'y crois pas mais ma foi reste intacte. C'est important pour moi. Je me sentirai mieux si tu gardes cette croix près de toi », poursuivit le strigoï au physique raffiné tout en prenant la main du brun dans la sienne. Soupirant, Dorian afficha une moue boudeuse en laissant son regard émeraude parcourir le signe ostentatoire tombant sur son torse tatoué.
« Ce n'est qu'un bijou Marius.. ».
« Alors dans ce cas tu ne verras aucun inconvénient à le porter avec le reste de ta panoplie ». Un ton cynique qui toucha droit au but.
« Marius.. ».
« Dorian ». L'infant Darras roula des yeux avant de finalement céder face à sa revendication.
« Bon très bien. Tu as gagné. Après tout comment dire non à une bouche aussi alléchante ». A ces mots l'éphèbe se colla irrésistiblement à son semblable, histoire de faire naître un certain désir et lui signifier déjà le sien.
« Cette bouche tu pourras l'utiliser comme bon te semble une fois tout cela fini », lui promit le français non sans titiller l'appétit déjà grandissant de Dorian.
« Oh mais quelles paroles outrancières pour un homme aussi pieu que toi. Je pourrais en être choqué.. si je n'étais pas aussi excité par ta simple présence ». Son visage se rapprocha un peu plus du sien si bien que leurs lèvres se frôlèrent quelques secondes avant que la sangsue extravertie ne vienne lécher du bout de sa langue la lippe supérieure de sa moitié.
« Et puis tu sais ce qu'on dit, il n'y a que les voies du Seigneur qui sont impénétrables ».
« Tu es irrécupérable ma parole ».
« C'est pour ça que tu m'aimes chéri ».
[…]
La construction de la cité n'était pas chose aisée, notamment en ce qui concernait l’élévation des remparts et la sécurité des entrées. Pour cela il était nécessaire de combattre les enragés se trouvant dans la zone, venant sans cesse assaillir les lieux dans l'espoir de se repaître. Une nuit, une troupe de vampires se porta volontaire pour éradiquer la meute de créatures accolées au mur des prémices de New Abbotsford. Dorian et Marius en faisaient parti. Ils étaient prêts, anéantissant de leur arme, coup après coup, tous les monstres affamés sur leur passage. Cependant un deuxième groupe de ces bêtes carnassières surgit dans la pénombre, mettant à mal les combattants si bien que les rangs se réduisirent parmi les immortels. Luttant pour parvenir à se sortir de ce chaos, le reste du bataillon parvint finalement à quasiment enrailler leurs assaillants. Exténué et pris par surprise, Dorian faillit se faire dévorer sans l'aide in extremis de son compagnon qui décapita de son épée l'enragé se tenant au dessus de lui.
« Tu te laisses vraiment enlacer par n'importe qui. Tes goûts deviennent de plus en plus douteux mon ami », balança Marius sur un ton moqueur alors qu'il essuyait sa lame ensanglantée contre son pantalon. Le visage recouvert d'éclaboussures noirâtres coagulées, Dorian se dérida aussitôt face au cynisme de son amant, soulagé d'être encore en vie.
« Que tu es mignon quand tu es jaloux. ». D'un revers de main il s'essuya une partie de l'hémoglobine présente sur ses joues alors qu'il se relevait doucement en position assise.
« Et dire que tu m'as coupé en plein élan, alors que j'étais à ça de conclure ». Le français retint un gloussement affectueux avant de regarder autour de lui.
« Autant pour moi, je devrais sans doute me confondre en excuses pour avoir osé te déranger ». Il resta silencieux l'espace de quelques secondes, guettant le moindre mouvement pour reporter finalement ses yeux sur ceux de sa moitié.
« Je crois qu'on est venus à bout de ces démons, on va pouvoir.. ». Mais Marius ne put finir sa phrase car dans l'ombre, sorti de derrière un immense rocher, un de ces êtres immondes se jeta soudainement à son cou, lui arrachant alors la jugulaire de sa mâchoire aiguisée.
« Non ! Marius ! », s'égosilla Dorian, les yeux écarquillés par l'horrible spectacle. Comme ensorcelé, il se releva en un éclair et son sabre indien s'enfonça dans le crâne de l'enragé pour le faire lâcher prise, tombant alors inerte au sol. Paniqué, il retint le corps de Marius afin de l'empêcher de s'écrouler alors que ce dernier cherchait à respirer dans un râle lugubre. Hoquetant, s'étouffant avec son propre sang, il semblait possédé par ces spasmes incontrôlables, sous les mirettes mortifiées de l'anglais.
« Mia amore, je suis là, je suis près de toi. Reste avec moi.. je t'en prie.. », le supplia-t-il, ses mots s'engloutissant dans des sanglots qu'il ne parvenait nullement à arrêter, bien trop conscient de la situation. A genoux, les bras sous le corps dénaturé de son sauveur, des rivières de larmes de sang vinrent inonder ses joues tandis qu'il cherchait à garder un semblant de sourire pour lui, pour l'apaiser alors qu'il le sentait partir. Il caressa ses cheveux ébènes une dernière fois avant de partager une ultime respiration. Les iris figées dans un mouvement d'effroi et rivées vers le ciel, Dorian vint poser son front contre le sien, anéanti par la perte de cet amour inexprimable. L'escadron avait accompli sa mission, la construction pourrait continuer. Cette nuit là, seuls une douzaine de vampires retournèrent dans les entrailles de la Cité contre trente à la base. On entassa tous les corps de ceux tombés au combat pour les brûler et éviter toute prolifération. Un bûcher qu'il entreprit à contre cœur, restant jusqu'à ce que l'enveloppe charnelle de Marius ne devienne un temps de cendres.
La vie après cet épisode fut difficile pour l'oiseau chanteur que Dorian était. Il mit un certain temps à retrouver sa joie de vivre et ne plus constamment penser à lui. Gardant toujours fermement contre lui, comme une promesse, la croix de Marius qui l'avait protégée lors de l'attaque, il repris consciencieusement son rôle d'infant et aida sa créatrice dans la construction de New Abbotsford. Voyageant vers d'autres cités pour parfaire les relations entre la Reine et les autres villes, profitant de nouveaux paysages et de nouveaux visages, le vampire rentra en panique vers on foyer en apprenant que tardivement l'attaque de ce dernier. Après seulement deux ans d'absence, il rejoignit Lucrezia, heureux de la savoir en vie mais beaucoup moins concernant ses fiançailles avec Dimitri Voltchenkov. Conscient de l'homme ambitieux qu'il est et des rumeurs courant à son sujet, il ne voit pas d'un très bon œil cette future union, inquiet du sort réservé à sa Reine dans cette alliance.