1574, Cracovie.Elle observait ses mains, encore tremblantes. La nuit avait pris le pas, laissant la Lune diffuser sa lumière sur la ville qui dormait. Son regard recommença à se porter sur son buste immobile, la faisant déglutir ; elle eut l’impression d’étouffer et prit une grande inspiration qui lui était inutile, elle le savait. Mais comment expliquer qu’elle se sentait mieux lorsque ses réflexes de mortelle venaient la frapper en pleine crise d’angoisse suscitée par sa nouvelle condition ? Wanda se retint de pleurer. Le sel de ses larmes n’était plus : seul le sang colorait ses joues et la plongeait à nouveau dans sa torpeur. Elle se retint donc, et tourna aussitôt sur elle-même lorsqu’elle entendit la porte grincer laissant apparaître la femme qui venait d’entrer. D’instinct, elle recula d’un pas ne quittant pas du regard celle qui avait fait d’elle… une créature. Un monstre incapable de se montrer en plein jour sous peine de brûler, que le bruit des cœurs battants rendait dangereux au point de mettre en pièces le premier individu, voire le premier animal, qui lui passerait entre les mains.
Silencieusement, la brune qui lui faisait face déposa un bol plein de liquide carmin qui réveilla soudain des sens nouveaux chez la Polonaise. Elle luttait de toutes ses forces pour ne pas s’en approcher, conservant son regard posé sur cette silhouette immobile. «
Il faut te nourrir. N’aie crainte… Je m’appelle Elizabeth. »
Wanda fronça légèrement le nez, inclinant son visage et approchant à peine ; une seule inspiration anodine suffit à déclencher une faim irrépressible. L’odeur ferreuse enflamma ses sens, et les pupilles rétrécies malgré l’obscurité, elle se jeta sur le bol, but goulument le liquide sans se poser davantage de questions ; seul l’instinct guidait ses actes. Une sensation d’apaisement l’envahit tout entière lorsqu’elle eut terminé de se nourrir, comme une énergie salvatrice qui circulait dans ses membres et son esprit.
Elle était prête à écouter ce que cette Elizabeth avait à lui dire. Leurs échanges avaient été succincts jusque là, Wanda refusant toute interaction. Elle se sentait si différente, elle regardait son corps sans avoir l’impression de le reconnaître ; parfois il semblait même que ses pensées n’étaient plus les mêmes. Mais une question lui brûlait les lèvres depuis plusieurs jours sans qu’elle n’ose la poser. Il était temps. «
M’avez-vous maudite ? » Ses yeux noirs observaient le faciès gracieux qui détenait les réponses. Elizabeth semblait être une statue, immobile, comme si elle n’avait pas entendu la question. Wanda faillit la répéter mais la femme balaya sa tentative d’un geste de la main. «
Tu as tant à apprendre. » Elle s’approcha d’elle, et cette fois-ci, la nouveau-née ne recula pas. Elizabeth fit le tour de la silhouette élancée. «
Te souviens-tu où je t’ai trouvée ? » Son esprit chercha alors, à quel moment ce minois lui était apparu pour la première fois. Ce furent d’abord des sensations qui lui revinrent, de la douleur, la peur… Un fin sourire étira les lèvres de celle qui lui avait posé la question et Wanda hocha légèrement la tête. «
Je vais te raconter notre histoire. »
...
2386. New Abbotsford.Huit-cent-vingt-deux ans depuis cet événement. Wanda venait d’entrer dans ses appartements, accrochant sa longue cape au mur, se débarrassant de ses bottes et posa un regard observateur sur l’ensemble de la pièce. A chaque fois qu’elle entrait ici, elle semblait vérifier que rien n’avait bougé, n’avait été touché. Pendant quelques instants, elle demeura immobile, puis se dirigea sans un bruit vers le salon où elle laissa tomber une flopée de lettres sur le fauteuil. Lecture de fin de nuit avant de mériter son repos au lever du jour. Elle s’empara d’abord d’un verre dans lequel elle versa du sang. Puis après l’avoir déposé sur la table au centre de son salon, elle alluma quelques bougies. La brune resta longuement à observer la flamme faire fondre la cire, la voir s’étirer et rapetisser dans des mouvements irréguliers. L’image lui rappelait alors les brasiers récemment mis en place, où les corps des humains enregistrés dans la Cité avaient été entassés, brûlés au plus vite afin d’épargner, au peuple abîmé, une épidémie. La guerre avait frappé NewAbbostford quelques semaines auparavant. L’ennemi avait abattu les portes, forcé la Reine à s’échapper pour sa propre survie, sans quoi, la Cité n’aurait pu être récupérée. De longs jours et nuits avaient passé avant qu’elle ne revienne délivrer son domaine. Un temps fou à combattre, être enfermé.
Wanda ferma les yeux, voulant faire cesser le défilé de ces images sordides. Elle soupira faiblement, puis s’empara de son verre et s’installa dans son fauteuil, après s’être saisie des lettres. Les éparpillant sur ses genoux, elle les tria minutieusement. Les comptes rendus des missions de la Milice étaient nombreux. Elle découvrait jour après jour tous les rouages de sa nouvelle position au sein de la Cité et prenait ses marques, au fur et à mesure. Lucrezia se montrait d’une aide précieuse pour lui faciliter son intégration au sein du Conseil et la familiariser avec son nouveau statut.
Elle mit de côté les comptes rendus auxquels elle s’attendait pour laisser sa curiosité parler et donner la priorité à ces lettres dont elle ne savait encore rien. Les sceaux provenaient de la Cité. Elle en ouvrit quelques unes qui lui étaient adressées afin de lui souhaiter la bienvenue à son nouveau poste. Les attentions à son égard la laissaient de marbre. Elle avait suffisamment côtoyé les habitants de NewAbbotsford, et en particulier ses propres congénères, pour savoir que rien n’était gratuit ; et ces quelques mots qui se voulaient bienveillants lui inspiraient des réclamations à venir de la part de leurs auteurs. Plus tard… Elle jeta négligemment les lettres au sol, et se saisit de son verre en contemplant les autres enveloppes cachetées.
Les ombres projetées sur le mur par les bougies attirèrent son regard. Quelques minéraux traînaient dans un bol de céramique entouré de bougies éteintes. La Lune n’était plus pleine depuis deux nuits. Ses rituels étaient terminés pour quelques jours ; les iris sombres contemplèrent le pendentif qui ornait une longue et fine chaîne autour de son cou. Celui qu’elle aimait appeler son talisman. Ses doigts jouèrent autour de la pierre pendant quelques minutes ; ses pensées fuyaient vers d’autres horizons. Elle entendit alors un léger coup sur sa porte, juste avant que la poignée ne s’abaisse, laissant entrevoir l’un de ses humains. Un fin sourire flotta sur ses lèvres colorées de rouge, alors que la jeune femme lui fit un signe de tête en guise de salutations, puis ramassa les armes déposées à l’entrée, les mit dans un sac épais et repartit sans plus de cérémonie. Les lames avaient besoin d’être affutées.
Wanda retourna à sa contemplation des ombres sur le mur qui lui faisait face ; combien de fois était-elle restée ainsi, plongée dans cette vision envoûtante ? Elizabeth lui avait enseigné tant de choses. Toutes ces années passées à ses côtés avaient forgé l’immortelle qu’elle était à présent. Son savoir, ses croyances, ses perceptions… Tout était lié à sa créatrice. Ses pensées naviguaient régulièrement vers elle ; des questionnements suivaient, souvent. Aurait-elle dû reprendre la route, une fois la bataille terminée, au lieu de s’ancrer plus profondément dans cette Cité ? Elle se sentait parfois perdue, même après tous ces siècles vécus, sur la route à prendre, les choix à faire. Alors, régulièrement elle se référait à ses dieux et ses déesses. Ils savaient la guider au mieux, comme la brebis égarée qu’elle pouvait avoir le sentiment d’être, de temps à autre. Elle s’en trouvait apaisée, mais pas totalement libérée de ses interrogations qui avaient la fâcheuse tendance de revenir.
Se saisissant de son verre, et glissant les enveloppes encore fermées sous son bras, elle prit la direction de sa salle de bains, se faisant couler un bain. Elle alluma quelques bougies dans la pièce, qui dégagèrent instantanément cette lumière particulière, rassurante. Quittant ses vêtements un à un, elle ouvrit les enveloppes restantes, en sortit les lettres avant de se glisser dans l’eau chaude ; elle lâcha un soupir de bien être et ferma les yeux quelques instants. Elle prit ensuite la première lettre à sa portée, et en lut les premières lignes qui la satisfirent. Le compte-rendu lui donnait les informations dont elle avait besoin, pour confirmer ses pensées. Il faudrait s’occuper de tout cela à la nuit prochaine. Alors qu’elle laissait retomber la lettre sur le carrelage pour en lire une seconde, elle entendit la porte de ses appartements s’ouvrir. Immobile dans son bain, elle reconnut au pas qui était sa visiteuse. «
Je prends un bain. » lança-t-elle, les yeux rivés sur la porte, attendant que celle-ci s’ouvre. La silhouette de Rowan prit place en face d’elle, s’asseyant sur le rebord de la baignoire. Wanda la regarda plonger sa main dans l’eau, sans un mot. Les iris clairs se posèrent enfin sur elle, tandis que la main produisait un léger mouvement dans l’eau. «
Que me vaut cette visite ? » Les yeux noirs auscultèrent le visage porcelaine de sa complice. «
Tu es tellement prise, que seuls les moments où tu es inaccessible aux autres deviennent ceux durant lesquels je peux te voir. » La brune hésita un instant mais resta là où elle se trouvait, tendant simplement la main vers la lettre qu’elle avait reposée. «
Et ce sont des moments où je travaille encore. » répondit-elle avec amertume, passant la lettre devant son visage. «
Joins-toi à moi. » - «
Pour t’aider à lire ton courrier ? » Mais malgré sa remarque, elle quittait déjà ses vêtements avant de se plonger entièrement dans le bain. Imperturbable, Wanda poursuivit sa lecture, moins satisfaite par ce qu’elle lisait : aucune conclusion amenée à ce qu’elle souhaitait savoir. La mission n’avait pas été correctement remplie ; il faudrait revoir tout cela prochainement. Elle vit Rowan se saisir d’une lettre, mais ne fit rien pour l’en empêcher. Elle prit le dernier message qui traînait à côté d’elle, s’attendant à ce que son amante ne lui tende le courrier qu’elle lui avait pris et dont elle ne saisirait pas les tenants et les aboutissants. «
Ce n’est pas signé. Mais tu auras de la visite. » Cela suffit à tirer la brune de sa lecture, alors que Rowan haussait les épaules, lui tendant la lettre du bout des doigts. Puis cette dernière s’approcha un peu, voyant la curiosité de la Polonaise piquée. Elle en profita pour dispenser des caresses qui n’avaient rien d’innocent. Wanda y prêta à peine attention, plongée dans cette lecture qui attira toute sa concentration ; cette écriture lui était intimement familière, et les quelques mots qu’elle put lire à la fin du message confirmèrent sa première pensée : Elizabeth était en route pour NewAbbotsford. Un sourire anima le visage de la Séide qui déposa soigneusement la lettre sur le meuble jouxtant la baignoire, et reporta son attention sur l’immortelle qui partageait son bain. «
Elizabeth. » annonça-t-elle simplement, avant de plonger vers les lèvres de Rowan.
...
1545 à 1574 – naissance de Wanda à Cracovie.
• Au cœur d’une Europe bientôt bouleversée par la Réforme protestante.
• Mariée à un homme qu’elle n’a pas choisi, le voisin qui avait quelques terres et un gros faible pour la boisson de mauvaise qualité. Il la bat régulièrement, fâché qu’elle n’arrive pas à lui donner d’enfant.
1574 à environ 1800 – transformation par Elizabeth : la vampire la retrouve inerte, ensanglantée et battue quasi à mort à l’arrière d’une cour.
• Wanda apprivoise sa nouvelle condition petit à petit.
• Elizabeth lui enseigne les premiers savoirs du Culte.
• Son infante s’y intéresse assidument et découvre toutes les possibilités de faire le bien quand elle ne voit en elle que le démon (dans ses premières années d’immortelle).
1807 – Départ en solitaire, Wanda quitte le nid en tant que Séide, ne passant pas l’épreuve pour devenir Prêtresse, comme l’avait envisagé Elizabeth.
• Se déplace à travers l’Europe, puis pousse à l’est, jusqu’à l’extrémité de l’Asie, se faisant discrète mais prêchant pour sa paroisse dans des communautés isolées.
• Rencontre d’autres Séides avec qui elle voyage pour un temps.
• Revient en Europe au XXe siècle, là où une plus grande communauté d’immortels semble être présente.
2023 – Guerre ouverte entre vampires et mortels.
• N’y prendra part que pour détruire les premiers enragés qui en découlent.
• Peu de temps après, se déplace sur le continent américain, là où les ravages sont encore plus impressionnants.
2027 – Solitaire en Amérique du Nord.
• Constat désolant : les enragés se multiplient et le monde est ravagé.
• N’a plus besoin de se cacher et prêche à nouveau au nom de son Culte.
• Prend connaissance des toutes premières cités qui se bâtissent pour s’isoler des monstres.
2166 – Première installation dans une Cité, New Bellingham.
• Première sédentarisation, alors qu’elle est accompagnée d’une autre vampire, Rowan, qu’elle a trouvé blessée sur la route, et dont elle s’occupe.
• Découvre les rouages de cette Cité qui ne correspond pas à ses aspirations, et s’en ira sans demander son reste quelques années plus tard.
2170 – Migration dans une autre Cité.
• Cité humaniste, les humains sont traités de façon égale face aux vampires.
• Est envoyée en tant qu’émissaire pour la Cité de NewAbbotsford.
• Quelques temps plus tard, elle apprend que les humains ont pris le contrôle, les menant plus tard à leur perte. (soif de pouvoir qui va les condamner)
2221 – Met un pied à NewAbbotsford.
• Une fois sa mission effectuée, Wanda est rapidement enrôlée dans la Milice.
• Grimpe les échelons au fil des années.
• Retrouve Rowan ici.
2386 – Attaque de NewWinnipeg.
• Suite à la victoire et au départ de la Commandante de la Milice, Wanda prend sa place et siège à présent au Conseil.