Feel so untouched right now. (Seraphina)

hiver 2390 | Oasis Pleasure - salle commune

Beaucoup le voyaient encore comme le monstre sanguinaire que certains êtres humains considéraient être en dépit des bonnes manières qu’il tentait de faire régner à tout dissident. Beaucoup le voyaient comme cet être de pouvoir dont l’ambition débordante n’avait que d’égale mesure la volonté de ruiner le plus petit de leur plaisir. Beaucoup de ses hommes le voyaient en cet ascète dédié à l’ordre moral de la Cité pour lequel il avait prêté fidélité. Et pourtant, en dépit de son immortalité, en dépit des siècles qu’il avait vu passé avec indifférences, en dépit de la température glaciale de son coeur, il n’en restait pas un homme. Un homme avec des envies. Un homme avec des besoins. Un homme avec des désirs. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que ce soir, après la longue journée de travail enfermé sous les épais velours sombres de son bureau, il ne franchisse les portes de l’Oasis Pleasure. Depuis son mariage avec Mélanie, il était demeuré fidèle à cette dernière jusqu’à son dernier souffle. Il l’avait juré : jusqu’à ce que la mort les sépare. Et cette dernière avait oeuvré en ce sens. Beaucoup estimaient qu’il n’avait pas à suivre de période de deuil, ne s’agissant que d’une humaine. Mais il était de la vieille école. Et depuis lors, il n’avait pas eu la moindre relation charnelle. Ou presque. Mais ce presque était remise dans un coin de son esprit, dont le verrou avait été clos à double tour et jeté au plus profond de l’océan.

L’odeur de stupre, d’alcool et d’opium l’envahirent immédiatement sitôt qu’il mit le pied à l’intérieur. Par déformation professionnelle, il s’arrêta quelques instants sur le seuil de la porte pour apprécier le spectacle qui lui était offert, promenant sur la foule un regard aussi expert qu’inquisiteur. Les discussions allaient bon train entre les clients et les danseurs au bar sous le regard blasé du barman qui lui adressa un signe de tête auquel le Conseiller répondit discrètement. Sur scène, Paresse et Avidité se prélassaient dans une danse sensuelle rythmée par les mouvements lents de l'orchestre qui les accompagnaient. Des verres s’entrechoquaient alors que les regards concupiscents ne se lassaient pas du spectacle qui leur était offert. La nuit était déjà bien avancée et si certains semblaient revêtir le halo des désirs satisfaits, d’autres étaient encore envieux de l’atteindre. Finalement, il se glissa dans la foule, ombre parmi d’entre autres, et sans se préoccuper davantage des clients présents, il se dirigea du pas sûr et assuré de l’habitué des lieux. Cela faisait des années mais, pour un vampire, cela représentait tout au plus quelques semaines.

Il se dirigea vers le carré VIP, profitant d’une loge laissée à disposition des membres les plus importants du nouveau gouvernement de la Cité, et se laissa tomber dans les fauteuils confortables des lieux. Il avait ouï dire que des changements s’étaient opérés depuis le départ de la famille royale. Il était curieux de voir lesquels. Mais plus encore, il était dans l’attente d’un charmant minois qui réveillerait ses désirs ardents qui ne demandaient pourtant qu’à s’exprimer.

HIVER 2390 | OASIS PLEASURE - SALLE COMMUNE
Pendant que Paresse et Avidité éveillaient les sens et les appétits, Luxure, elle, guettait sa prochaine proie. L'Oasis Pleasure était un lieu de découvertes constantes. Un lieu propice aux plus lubriques et cruelles des expériences, aussi. Chaque fois qu'il lui était donné de satisfaire clients ou clientes, elle découvrait et s'adonnait à de nouvelles manières d'exprimer ce qu'elle estimait être, au plus profond de sa chair. Mais sa réputation commençait à se préciser, et les clients réguliers devenaient coutume. Cette fois-ci, elle était en quête de chair fraiche.

Par chance, ses vœux furent exaucés. Aussitôt qu'elle repéra cette silhouette masculine s'installer dans le carré VIP, elle ne le quitta pas des yeux. Auparavant isolée du reste de la salle par un rideau, derrière lequel elle patientait en attendant le moment opportun pour faire son apparition, Serafina quitta sa cachette et profita de l'effervescence générale pour se faufiler au plus près de lui.

Il était bel homme. L'espace d'un instant, elle s'imagina à ses pieds, ou bien à califourchon sur ses cuisses. Elle s'imagina possédée et implorante, ou au contraire autoritaire et dominatrice. Elle se demanda quelles étaient ses préférences, et tout ce qu'elle imaginait contribuait à attiser son intérêt pour lui. Oh, il n'y avait rien de tel que la nouveauté ! Et un nouveau client, ou du moins un client qu'elle ne connaissait pas, l'émoustillait toujours, volage et avide qu'elle était.

Elle traversa les vapeurs d'opium, inspira les parfums, les odeurs de transpiration et de stupre, et dévoila ses dents insolemment blanches en un sourire enjôleur. Apparaissant derrière lui, elle se permit de poser une main aventureuse sur son épaule, laissant glisser ses doigts sur celle-ci avant de mettre fin au contact pour se placer face à lui. En chemin, elle avait saisi un verre sur le premier plateau venu, et le lui tendit sans manquer de plonger son regard brûlant dans le sien. Luxure était en chasse, et lorsque tel était le cas, son regard ne se détournait jamais vraiment de sa cible.

« Je me souviendrais de si jolis traits », le complimenta-t-elle sur le ton du badinage. « Or, je n'ai jamais eu le plaisir de vous voir ici. Nouveau client ou ancien habitué ? »

Avec les vampires, il fallait s'attendre à tout. Ce qui lui paraissait être une éternité pouvait passer en un clin d'œil, pour eux. Elle l'avait appris à force de conversations et d'expériences, et laissait désormais sa curiosité s'exprimer avec une relative sérénité. S'il faisait partie de ces brutaux qui ne discutaient pas et se contentaient de passer à l'acte, elle saurait composer avec.

Sans vraiment attendre son aval, entreprenante comme le lui dictaient ses envies libidineuses, elle prit place sur ses cuisses, à califourchon, entourant son cou de ses bras. Un éclat malicieux passa dans son regard tandis que ses yeux se baissaient sur les lèvres du vampire.

« Que pensez-vous du spectacle ? » souffla-t-elle ensuite, charmeuse.

hiver 2390 | Oasis Pleasure - salle commune

Les images se superposaient bien malgré lui. Les danses sensuelles auxquelles se prêtaient sur scène, telles de véritables sirènes attirant les malheureux matelots sur des récifs mortels, les deux humains le renvoyait au dernier spectacle lascif dont il avait été le spectateur. Un frisson le parcourut alors que reprenant possession de lui, il extrayait fermement les images de New Bellingham. L’issue ne serait pas la même pour les représentants des pêchés mortels faits de chair. Il y veillerait personnellement quant bien même cela ne fasse plus réellement partie de ses attributions, du moins de manière directe. Il avait pris cette nuit pour lui. Sa période de veuvage était désormais terminé, il avait bien fini par l’admettre. Sans compagne, sans même d’enregistré personnel, il avait bien l’intention de se laisser séduire à nouveau et de profiter des jouissances d’une vie d’immortel. Délié de son serment de fidélité, il pouvait à nouveau se permettre de jouir de sa liberté à plein poumons et redevenir ce galopin qui ne demandait qu’à ressortir de son uniforme dès que les ténèbres nocturnes l’entouraient.

Attrapant son verre de sang frais sur la gauche qu’une main charitable avait prédisposée sitôt qu’il avait posé un pied à l’intérieure de l’antre de luxure, il sentit tout d’abord son délicat parfum avant qu’une main délicate ne se pose sur son épaule. Il suspendit son geste pour glisser son regard d’ébène sur cette dernière, remontant le long du bras de sa propriétaire pour en découvrir la silhouette affriolante. Un léger sourire en coin l’accueillit tandis qu’il observait avec appétence son visage de porcelaine. De grands yeux bleus dans lesquels il serait si facile de se noyer. Des lèvres roses qui se faisaient promesses de milles plaisirs. Des longues boucles blondes dans lesquels ses doigts ne demandaient qu’à se perdre. Des traits dont la perfection n’avait rien à envier des oeuvres du Bernin. Indubitablement, Luxure n’avait pas volé son rang.

Le sourire du Régent s’accentua avec chaleur, appréciant la démarche de séduction de la belle. Si elle ne semblait pas le connaître, il était du devoir de l’ancien Lieutenant-Colonel de tout savoir des êtres peuplant la Cité à laquelle il avait juré fidélité et qu’il n’avait jamais trahi. “A votre avis ?” lui répondit-il, écartant les bras pour accueillir avec emphase son rapprochement des plus agréables. Avec une aisance déconcertante, il utilisa sa main libre pour caresser du bout des doigts le dos de la belle, appréciant le contact de l’épiderme brûlant en comparaison du sien. Il prit une gorgée de son breuvage avant de reprendre la parole. “Cela fait bien longtemps que je n’ai franchi ces portes. Si j’avais su qu’elles renfermaient un tel trésor, j’aurai pu renoncer à mon abnégation bien plus tôt.” Poursuivant ses arabesques vers la chute de rein absolument divine de la tentatrice, il posa sa tête en arrière pour lui permettre de l’observer avec plus de facilité, permettant à la faim qui lui tordait les boyaux de se refléter dans ses pupilles.

“Bien trop sage pour le moment.” répondit-il. Il fit glisser sa main de bas en haut, la pulpe de ses doigts s’arrêtant un court instant sur son cou gracile avant de replacer une mèche de cheveux blonds qui l’empêchait d’apprécier ce visage qu’il souhaitait inspecter sans la moindre barrière. “Mais il devient plus intéressant chaque seconde qui passe.” Sa main redescendit sur son cou s’arrêtant précisément là où se terminait la gorge et où commençait la poitrine. “Et j’ai le sentiment que tu n’y es pas étrangère.” souffla-t-il, suspendant son geste avant de laisser son index courir sur le galbe de son sein droit. “Luxure, si je ne me trompe ?” Il connaissait la réponse évidemment mais il n’en demeurait pas moins un exemple de politesse.