Bad bitch on the side (Seraphina)

Février 2390 | Coulisses de l'Oasis Pleasure

Une trahison de plus. Un abandon de plus. Qui Ephraim devait-il blâmer ? Varro qui avait été le premier d’une longue liste de déception et à qui, malgré lui, malgré tout, il ne pouvait s’empêcher de demeurer attaché comme s’il était une partie indissociable de lui ? Travis qui, par deux fois, lui avait promis de le protéger et de veiller sur lui comme une maman louve veille sur la chair de sa chair, quitte à se mettre en danger et qui, par deux fois, avait renié sa propre parole ? Dorian qui lui avait promis monts et merveilles, à qui il avait fini par ouvrir son coeur sans condition et dans lequel il s’était perdu pour que celui-ci arrache métaphoriquement son coeur et le dévore tel un ogre cruel ? Ou lui même d’avoir caressé l’espoir malgré lui d’une vie meilleure ? Tobias, malgré ses promesses, ne manquera sans doute pas d’être l’un de ceux qui l’abandonnerait à nouveau. Le jeune homme, malgré les couronnes qu’il rapportait à son établissement, malgré la foule qui se pressait devant sa chambre pour n’avoir ne serait-ce qu’un regard du pêcheur, ne valait pas grand chose. Lui qui incarnait dans toute sa superbe l’Orgueil. Lui qui s’était fait mission de devenir l’astre solaire brillant dans l’obscurité d’une nuit sans fin. Lui qui ne souffrait pas qu’on lui manque de respect ou qu’on pose les yeux et les intérêts sur un autre que lui lorsqu’il entrait dans une pièce. Le voilà qui était touché dans son ego le plus ronflant. Le voilà qui ravalait des larmes aussi brûlant que l’acide qu’on utilisait pour les latrines ou pour se venger d’une concurrente un peu trop ambitieuse. Le voilà qui se terrait dans sa chambre, refusant de sortir et de se mêler aux autres danseurs de l’Oasis Pleasure sous couvert d’un caprice mais qui dissimulait une plaie béante que rien ni personne ne pouvait désormais plus combler. S’en était terminé, il se laissait dévorer par le monstre froid et carnassier qui prendrait possession de son corps et qui serait bien plus impitoyable que ce que l’on racontait du roi Ezechiel.

Mais pour le moment, il se laissait tout de même aller à son vague à l’âme. Après tout ce qu’il avait traversé, il avait bien le droit de s’accorder un peu de temps pour lui. Pas longtemps, sinon Lysander ne manquerait pas d’utiliser cette faiblesse momentanée contre lui. Installé dans les coulisses de la scène, alors que la salle commençait doucement à se préparer à une nouvelle nuit de folie, le jeune danseur meurtri faisait des essais maquillage, accentuant ses traits de peinture dorée. Il avait eu l’idée d’une nouvelle tenue qui lui permettrait d’exciter les appétits en ne montrant rien tout en ne dissimulant rien. De la pointe de son pinceau, il glissa un trait de khôl sous ses yeux, se concentrant malgré la couleur rouge de ces derniers, témoin silencieux de son occupation journalière. Un bruit derrière lui suivi d’un parfum particulier le tendit et manqua de lui faire manquer son geste. Il releva les yeux dans le miroir qui lui faisait face et qui révélait la silhouette chaloupée et sensuelle de Sera à qui il adressa un sourire de connivence. Elle était l’une de ses co-danseuse favorites, ayant remplacé la défunte Darcie dans le rôle de blonde sensuelle au plus profond de son coeur. Il fallait dire que son péché était des plus alléchants et que les doux traits de la belle ne permettaient pas de détourner le regard.

“Luxure…” la salua-t-elle, lui adressant un clin d’oeil par reflet. Il ne pouvait cependant dissimuler l’étincelle de vie qui s’était éteinte en lieu. Maussade, il reporta son attention sur ses essais maquillage avant de soupirer. “Tu as quelque chose de prévu ce soir ? Orgie ? Soirée privée ?”

FÉVRIER 2390 | COULISSES DE L'OASIS PLEASURE
L'émulation qui précédait chaque soirée était devenue si familière qu'elle lui était désormais très agréable, comme un rituel dont elle ne parvenait pas à se lasser. Certains danseurs avaient cette émulation en horreur, puisqu'elle annonçait des activités que certains n'avaient pas choisi. Mais Serafina, elle, se donnait chaque soir corps et âme non seulement pour ses danses, mais aussi et surtout pour ces types de danses bien plus intimes et sensuelles qui la liaient aux plus privilégiés des clients. Elle ne redoutait plus de faire un tel usage de son corps. Ce dernier lui avait sauvé la vie, elle l'honorait en retour en s'acharnant à plaire, toujours plus.

Mais même si elle appréciait l'excitation précédent les soirées, Luxure appréciait d'autant plus ces émotions fortes lorsqu'elle pouvait les partager. Pour cette raison, elle se mit en quête d'un semblable capable de comprendre ce qu'elle ressentait. L'un ou l'une des Sept. Et celui qu'elle trouva était précisément celui qu'elle avait en tête en cet instant. Pourtant, d'un simple coup d'œil, elle constata que quelque chose… était différent, chez Ephraim. Son regard manquait de l'éclat qu'elle lui trouvait habituellement, et ce constat l'attristait terriblement.

Alors, d'autorité, elle prit place sur le siège à côté de lui. Le corps tourné vers Ephraim, elle le dévisagea un instant avant de tendre une main vers lui. Puis, avec douceur, elle glissa les doigts sous son menton, dirigeant son visage vers le sien. Plongeant ses yeux clairs dans les siens, elle lui adressa un regard chaleureux, un regard qui ne manquait pas de clairvoyance. L'humeur maussade de son cher ami l'affectait, elle aussi. Par compassion, elle voulut lui remonter le moral. Lui offrir un peu de ce soutien dont ils manquaient tous cruellement sous ce toit.

Alors, optant pour le langage du corps plutôt que pour le langage verbal, elle caressa sa joue de l'index avant de saisir entre ses doigts le pinceau qu'il utilisait plus tôt. Appliquée, elle passa le pinceau sur la peau de son visage, cherchant à le sublimer. Même l'Orgueil pouvait bénéficier d'un regard extérieur, de temps à autres.

« Une orgie », lui répondit-elle enfin avec un sourire. Son excitation à l'idée de la soirée qui l'attendait était palpable. Elle s'efforça toutefois de se concentrer sur le jeune homme, continuant à l'aider à se maquiller. « Et toi, mon tout beau ? Qu'est-ce qui a bien pu troubler ton humeur et te plonger dans un tel état ? »

Elle laissait rarement sa curiosité s'exprimer aussi ouvertement, mais il était rare qu'elle s'inquiète pour qui que ce soit d'autre qu'elle-même. Aussi, et parce qu'ils avaient pour le moment le luxe d'être seuls, elle en profitait pour lui permettre d'exprimer autant de vulnérabilité qu'il le souhaitait.

Février 2390 | Coulisses de l'Oasis Pleasure

Il était toujours curieux d’être seul lorsqu’on aimait tant être le centre de l’attention. De se sentir solitaire alors que tous les regards, toutes les attentions qu’on cherchait à attirer étaient effectivement tournés vers soi. C’était un numéro d’équilibriste qu’Orgueil faisait sans parfois même le réaliser. Enfant choyé par les prostituées qui s’étaient progressivement effacées, remplacées par les beautés plus jeunes et plus lumineuses qui allaient et venaient sans cesse en ces lieux. Étoile montante qui ne souffrait pas la contradiction et qui n’avait décidé d’arrêter sa course que lorsqu’elle parviendrait au sommet. Incube déchu dont le visage angélique n’avait pu le protéger de la chute irrésistible qui suit souvent l’atteinte des sommets. Le danseur avait fini par réaliser qu’il était désormais sur la pente descendante. Aimé par un Prince. Abandonné par son seul amour. Il lui était bien difficile de reprendre une vie quotidienne qui lui paraissait si fade par rapport à ce qu’il avait vécu et qu’il aurait pu continuer de vivre si la jalousie ne s’était mêlée de son égo surdimensionné. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même d’avoir eu des réflexes de Gourmandise en développant un appétit plus grand que son estomac ne pouvait le supporter.

Suspendant son geste, il se tourna vers la belle et sensuelle Luxure dont le visage aux traits parfaits se reflétait dans le miroir. Sans qu’un mot n’ait eu besoin d’être prononcé, il compris vite que ses talents d’acteur ne parviendraient pas à berner la belle. Il ne chercha alors pas davantage à se retrancher derrière ce rôle bravache qui avait fini par le caractériser, s’accordant un instant de répit protégé par les secrets d’alcôve entre artistes. Il ferma lentement les yeux, appréciant la caresse aussi légère qu’une plume et qui déclencha un sourire apaisé chez le jeune homme, puis il la laissa prendre le relais de son maquillage. Le coeur n’y était pas ce soir mais la présence douce et chaleureuse d’une de ses complices sur scène ne pouvait que l’aider à aller de l’avant et avancer d’un pas de plus à l’opposé du chemin parcouru avec Dorian. “Mmmmh, charmante perspective.” répondit-il, sa voix légèrement rauque par le silence que ses larmes lui avaient imposées toute la journée. “Privée ?” Une orgie était toujours l’une des meilleures manières de passer une nuit au sein de l’Oasis Pleasure ou ailleurs. La sensualité des corps emmêlés, quel que soit la race, l’origine ou la morphologie. Tous et toutes étaient unis dans un océan de plaisir, sans avoir à penser ou questionner. Il ne s’agissait qu’une question de sensation et d’action. Le reste passait à la trappe.

“Colère a encore mis du poil à gratter dans mes strings à paillette.” répondit-il en haussant les épaules, les vilaines entourloupes de ce dernier étant connu de tous au point qu’il était curieux qu’il n’ait pas récolté le titre d’Envie. Il poussa un profond soupir, ayant d’ores et déjà conscience que la jolie blonde ne tomberait pas dans un piège aussi flagrant. Baissant les yeux, il finit par admettre la cause de ses tourments : “Parfois, je me dis que tous les conseils des anciennes n’étaient pas à jeter. J’aurais dû les écouter davantage.” Même si avec la fougue de la jeunesse, il pensait toujours tout savoir. “L’amour, ce n’est pas pour les gens comme nous. J’ai été un idiot de penser que je pouvais tout avoir.” Même s’il était encore jeune et désirable, il savait qu’il avait perdu de la valeur marchande. “Tu pourras me le rappeler la prochaine fois qu’un beau brun aux yeux verts franchira la porte de ces lieux ?” plaisanta-t-il en fronçant son nez de manière complice avant de rebondir. “Tu n’as jamais craint de te laisser enflammer et de t’y brûler les doigts ?” Il était encore jeune, trop jeune pour accepter les nuances.