" And when the light has long since gone…. I will be there in the darkness holding what remains, quite simply because I cannot let go. "– Ranata Suzuki
1.
Né hors-murs, Helias a passé toute sa jeunesse à contribuer à la survie de son petit clan. Que ce soit par le ramassage de petit bois ou la pose et la levée de pièges étant petit, ou les travaux plus demandants physiquement la chasse un peu plus tard. Il fut élevé dans la crainte des rafles et des enragés, dans le travail pour une cause collective, mais aussi dans la camaraderie et les bêtises entre jeunes.
2.
Les enragés, justement. Ce sont eux qui décimèrent son clan. L'attaque avait commencé par un simple cri, une chaude et humide soirée de début d'automne. Un cri devenu chorale, muant les voix chéries d'êtres aimés en éclats horrifiants qui sonneraient longtemps à ses oreilles.
3.
Il s'était résigné à mourir lorsque l'homme avait posé son regard froid sur lui. Helias ne savait pas exactement comment il était arrivé là, ni où il se trouvait exactement, mais sa fuite effrénée semblait déjà appartenir à une autre réalité. Il était las pour ne pas dire épuisé, sonné, et n'avait nulle part où aller à présent. Il ne fit aucune résistance et fut amené à New Abbotsford.
4.
Nourri, tatoué, logé. Il n'était certes pas remis de ses émotions - les cauchemars toujours bien présents - mais étrangement il était moins à plaindre que ce qu'il aurait pu anticiper à priori. Pour le moment, tout du moins. Les examens médicaux, la quarantaine, puis une mise sur le marché et il changea aussitôt de décor, de mains.
5.
La maisonnée était propre et bien tenue, spacieuse et calme. Elle ne ressemblait pas vraiment à ce qu'il avait connu jusque-là. Il parlait peu, se tenait raide et regardait d'un air perplexe les tentures pendues aux murs ou les couvertures de cuir alignées les unes à côté des autres dans la bibliothèque. Parfois, il gromellait quelques râleries inintelligibles sans qu'on n'en puisse deviner la cause ou sursautait pour un rien. On pensa donc qu'il était quelque peu stupide, et étant donné qu'il ne semblait pas non plus avoir de force physique singulière ni être particulièrement doué de ses mains, on lui assigna des tâches simples. Du ménage à faire, des stères de bois achetées en prévision de l'hiver à empiler, des chevaux à nourrir, etc.
6.
Helias avait déjà passé la vingtaine quand il fut envoyé à l'école pour y combler ses plus grosses lacunes. Courtoisie de son maître qui avait finalement entrevu chez lui des dispositions insoupçonnées de prime abord.
Il avait en effet appris qu'Helias avait dit à Anna, une autre humaine de la maisonnée, de faire passer un fil et une aiguille dans son ampoule pour la drainer pendant la nuit. Et, après investigation, avait découvert que l'humain avait vu cela dans un des livres de la bibliothèque, dont il ne pouvait pourtant que consulter les images, à défaut d'avoir jamais appris à lire. Le vampire ne savait pas ce qui l'intriguait le plus, le fait qu'un illettré perde du temps dans sa bibliothèque, ou le fait qu'il soit parvenu contre toute probabilité à en comprendre et retirer quelque chose d'utile.
7.
Leur relation, plus que distante pour ne pas dire inexistante jusque-là, se renforça subitement par la suite. Helias demandant des définitions aux mots incompréhensibles dont il avait déchiffré les syllabes dans la bibliothèque pendant le jour. Son maître laissant certains ouvrages particuliers à son attention pendant la nuit. Puis finalement, l'amenant avec lui lors de ses gardes à l'auspice, où il était médecin. L'humain n'hésitant pas à lancer des remarques piquantes lorsque les choses l'agaçaient. Le vampire s'amusant de son nouveau projet.
8.
Il n'était rien de plus que cela, un projet. Il était idiot d'en attendre plus, d'y voir plus que cela. Et surtout, il était impensable d'en avoir le désir. Étrangement, la pensée le rendait irascible, mais elle le poussait également à commettre des sottises juste pour le plaisir de l'attention et celui de la répartie. Le poussait à faire crier Anna plus fort encore pendant leurs ébats pour le caprice de troubler son sommeil. A briser un bécher en le regardant dans les yeux pour le frisson de la punition. Et au détour d'une joute de trop, d'un acte de trop, réaliser qu'avec du temps...
9.
Ils n'avaient pas eu de temps. Un enragé dans la cité, la prise par New Winnipeg. La fièvre rouge. Les dernières années avaient été trop mouvementées, d'autant plus avec ce poste gagné à l'auspice qui l'avait certes placé aux côtés de son maître mais aussi en première ligne. Tout était passé trop vite, et tout cela n'est plus qu'un lointain souvenir. Le problème de l'immortalité, c'est qu'on ne pense jamais que ça peut se terminer. Une expérience qui avait mal tourné dans la quête au remède contre les enragés, disait la rumeur.
Helias, vide de toute émotion et la tête haute, avait été amené dans les dortoirs communs de la cité. Aucune trace de résistance ni d'affect, si ce n'étaient les monceaux de vaisselles éclatées et tentures mises à terre ici et là dans la maison qui témoigneraient plus tard d'une houle restée muette.
Helias officie toujours au dispensaire, y enchaînant même plus d'heures qu'il ne le devrait. Le manque de personnel au dispensaire, suite aux ravages de la fièvre rouge, lui donne la parfaite excuse pour y rester plus que de raison, et s'occuper à des tâches familières. Traiter les petits bobos, prétendre s'énerver contre le docteur Ricart et son flegme légendaire, préparer des décoctions en avance, se plonger dans certains ouvrages, etc.
Remis aux enchères toutes les semaines, il y darde un regard agacé -si ce n'est énervé- sur ceux qui s'y trouvent. Quelques murmures, parfois, rappellent qu'il vaut peut-être mieux choisir tel ou tel autre humain disponible ce jour-là. Plus malléable, plus jeune, plus poli, plus fort, plus obéissant. Bref, simplement moins chiants.