CHAPITRE 5

Les lueurs du feu envoyaient de drôles d’ombres sur les visages fermés du clan. « Vous êtes bien sûrs de ce que vous dites ? » Un simple hochement de tête comme réponse de la part du premier étranger. Le second, plus petit par sa corpulence, reprit la parole. « Nous faisons partie des éclaireurs qui repèrent les alentours des Cités qui peuvent se trouver sur notre route. Des éclaireurs sont partis vers le nord et les Cités étaient trop éloignées, trop peu de nomades rencontrés sur la route pour grossir nos rangs… Notre armée s’est installée à une dizaine de jours à pied d’ici. Ils attendent notre retour pour savoir quelle décision prendre. Vous êtes nombreux ici, vous pourriez vous joindre à nous. »
Des regards s’échangeaient parmi ceux qu’on appelait les Sauvages, des hommes libres de toute entrave, sans maître, ayant renoncé à tout confort et toute soumission. Nul ne savait vraiment à quoi s’attendre. « Se joindre à vous, et puis, vous suivre ensuite et quitter ce que nous avons construit ici ? » Un sourire moqueur anima le visage de celui qui avait pris la parole avant. « Ce que vous avez construit ? Une vie menacée à chaque décision qui se joue derrière les murs de la Cité qui vous domine ? » Il venait de les vexer et n’avait aucune idée de ce dont le Sauvage parlait. Ils s’étaient installés, ici, pour donner un toit à sa communauté qui savait à présent chasser et cultiver la terre, avec les moyens du bord. « Si la décision est prise pour passer sur New Abbotsford, il ne restera pas grand chose de ce que vous avez construit ici… Vous vous joindrez à nous, et nous décrocherons ensemble les têtes des suceurs de sang de leurs épaules. » Un silence s’ensuivit, le chef finit par demander. « Combien êtes-vous ? » Le moins bavard des deux éclaireurs répondit simplement : « Trop pour être comptés. »


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« Tu es bien essoufflée ?! » constata le trentenaire en voyant arriver sa collègue postière, tandis qu’il fermait un sac empli de lettres à distribuer à la Tour. Les joues rougies par sa course, le souffle court, la jeune femme passa une main sur son front pour dégager les mèches de cheveux qui s’étaient éparpillées. « Je reviens de la Bordure… » confia-t-elle à demi-mot. Elle se mordit la lèvre, fuyant le regard de son collègue et ami qui poussa un long soupir tout en lui tendant le sac de courrier. « Qu’est-ce que tu es allée fabriquer encore là-bas.. ? » demanda-t-il un ton plus bas en préparant un second sac destiné à un autre lieu de distribution. « J’ai appris quelque chose, quelque chose d’important… Je dois aller voir quelqu’un. Tu peux me remplacer pour cette tournée ? Je t’en prendrai deux de plus la prochaine fois ! » demanda-t-elle, suppliante, ses grands yeux bleus pétillants d’excitation et de quelque chose qui se rapprochait de... la peur.
Un ricanement échappa au trentenaire qui laissa tomber un sac, posant ses mains sur les hanches. « Hors de question. Tu iras conter ton information cruciale à la fin de ta tournée… Exécution. » Winona lâcha un profond soupir désespéré, les paroles du jeune homme de la Bordure circulaient sans cesse dans sa tête. Elle ne voulait pas en parler à son collègue, pas avant d’en avoir parlé à quelqu’un parmi les Corneilles : elle ignorait si Wanda était disponible. Regardant le sac dont Elric l’avait chargée, elle vit que la destination du courrier était la Tour. Peut-être avait-elle une chance de voir la Conseillère pour lui parler de ce qu’on lui avait confié. Haussant les épaules pour elle-même, elle partit sans un mot de plus, et accéléra le pas dès qu’elle fut sortie de l’établissement postal.


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Un fin rictus étirait le coin de la bouche du roi Voltchenkov alors que les flammes s’approchaient dangereusement des doigts de Lucrezia après avoir dévoré la lettre qu’elle venait de lire à haute-voix, venant du souverain de New Bellingham. Un Ezéquiel inquiet si l’on en croyait les mots employés. « Quel triste personnage… » lâcha l’immortelle, restant d’abord face à l’âtre de la cheminée où disparaissaient les craintes posées à l’écrit par le souverain voisin. Reprenant son verre de sang à peine entamé qu’elle avait déposé pour se débarrasser de cette lecture, la Reine observait le liquide pourpre durant de longues secondes. « Es-tu soucieuse des nouvelles annoncées ? » questionna Dimitri, installé plus loin dans un fauteuil. Ils étaient seuls dans le bureau de la Reine. « Non. » répondit-elle sans tergiverser, sans l’ombre d’un doute dans la voix. « Ces humains auraient pris le dessus sur une Cité dans laquelle ils étaient déjà largement avantagés… New Princeton était réputée pour sa clémence envers eux. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils n’aient rencontré aucune difficulté à renverser le pouvoir en place. »
Un profond soupir d’ennui s’échappa d’entre ses lèvres. « Ezéquiel espère simplement qu’ils se dirigent vers nous plutôt que vers lui. Et il pense avoir fait preuve de bonté par ce courrier, alors qu’il est tout simplement en train de prier pour que nous devenions la cible de cette horde énervée. Peu importe. Qu’ils viennent. » Le regard du Russe changea, l’amusement naquit alors. « Nous commencions à manquer d’esclaves… » La souveraine tourna son visage dans sa direction, et ne put que lui accorder un signe de tête entendu, la satisfaction se lisant dans ses yeux. « Oui, il n’y aura plus qu’à se servir et couper court à leur fièvre. Il ne faudrait pas que nos enregistrés se sentent pousser des ailes lorsque la nouvelle se répandra... Cela pourrait leur donner des idées stupides. Je ferai passer une consigne : le moindre petit écart de leur part sera durement puni. »