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Bittersweet memories - Jaroslav



01.01.20 17:11

Invité
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Sa main joue avec le cordon de cuir qui lui passe autour du cou. Ses doigts glissent, s’entortillent, relâchent. Elle enserre au creux de sa paume le quartz qui trouve sa place au creux de sa poitrine. Ses yeux sont posés sur les lignes du livre qui repose sur ses cuisses, pourtant son esprit se retrouve incapable de faire preuve de la moindre cohérence pour donner du sens aux mots qui composent le texte. Cela fait une quinzaine de minutes que Wanda reste ainsi, quasi immobile, seule sa main mouvante rompt l’impression d’une statue. Son esprit est préoccupé. Depuis quelques jours, elle sait que l’un des infants Voltchenkov a rejoint toute la dynastie présente à New Abbotsford. Elle imaginait cela improbable, le voir apparaître entre les murs de la Cité sur laquelle règne à présent son créateur. Et pourtant… C’est bien son nom qui a circulé sur les lèvres de tous ceux qui ont eu vent de la rumeur. Jaroslav Zelivsky est arrivé en ville.
Les flammes crépitent un peu plus fort dans la cheminée lorsqu’un morceau de bois calciné s’effondre dans les braises. Ce son la rassure, la tire de ses pensées, lui faisant relever le visage vers la cheminée. Agatha, sa plus fidèle Corneille, en profite pour s’approcher doucement, lui offre un sourire avant de rajouter une bûche dans l’âtre. « Tu as l’air pensive… » dit-elle simplement en observant l’immortelle installée dans le salon. Cette dernière baisse un instant le regard, choisissant sa réponse. Evidemment, qu’elle l’est. « J’ai beaucoup de choses en tête. » se contente-t-elle de révéler, essayant de balayer la curiosité de l’humaine. Cette dernière connaît suffisamment la Conseillère pour sentir qu’elle n’a pas envie de s’étendre sur ce sujet, ni de révéler ce qui occupe son esprit. Elle la laisse ainsi, lui glissant tout en lui tournant le dos pour repartir : « Ne réfléchis pas trop Wanda. Tu as de l’instinct. » La brune pose alors un regard doux sur la silhouette qui s’éloigne, un fin sourire étire légèrement ses lèvres. Décidément, ces mortels arrivent encore à la surprendre.

Elle referme le livre, le laisse sur le canapé avant de se redresser, resserrant machinalement le lien autour de son peignoir. Il est tard dans la nuit, l’heure est propice aux sorties pour ceux de son espèce. Glissant un regard par la fenêtre, elle voit le croissant de lune, haut dans le ciel. Elle s’arrête un instant face au spectacle qui s’offre à elle. La nuit est claire, les étoiles tapissent l’obscurité de la nuit, lui donnant des reflets bleu marine magnifiques. Ses yeux suivent les torches allumées qui illuminent les grandes rues de la Cité, faisant grandir les ombres des vampires qui hantent les nuits de New Abbotsford. Un soupir. Il est temps de se préparer.

Elle échange son peignoir contre des vêtements plus seyants : chemisier et pantalon de cuir. Sa chevelure d’ébène est lâche, et camoufle la naissance de son décolleté. Elle habille ses yeux de noirs, s’appliquant sur le trait qui suit la ligne de sa paupière, lui donnant un regard de biche. La Conseillère s’observe un instant dans le reflet que lui offre le miroir. Tant d’années se sont écoulées… Alors qu’elle essaie de lutter contre les souvenirs, ceux-ci s’amusent à déferler dans son esprit, par vagues de plus en plus puissantes. Elle s’y refuse, chassant les images. Pourtant, à chaque fois qu’un souvenir disparaît, un autre remonte à la surface, sans qu’elle ne puisse empêcher ses pensées de s’amuser à creuser, sonder, fouiller un peu plus dans sa mémoire. Rien ne les arrête et bientôt elle se laisse porter par ceux-ci, se surprenant à sourire, ou presque. Un regard porté à sa montre lui laisse savoir qu’il est l’heure. Elle entend, dans le même temps, la porte d’entrée claquer, et reste attentive aux sons qui suivent : Crane. Wanda se présente à lui, arque un sourcil interrogateur sans mot dire et il réplique de la même façon, non sans l’avoir d’abord examinée de haut en bas. « On sort ? » demande-t-il de sa voix grave, un sourire en coin qui provoque l’identique chez elle. Elle s’approche, silencieuse et féline, et pose une main à plat, au milieu de son torse. Ses iris sombres trouvent les siens : « Tu es de repos cette nuit. » Elle le contourne, se dirige vers l’entrée de son vaste appartement, et s’empare d’une paire de bottes. Agatha apparaît alors, munie de la longue cape que l’immortelle a l’habitude de porter pour affronter les conditions hivernales et la tenir au sec, entre autres. « Minute. » Il insiste, elle feint l’ignorance jusqu’à ce qu’il vienne à elle. « Aine, qu’est-ce que tu mijotes ? » Un sourire amusé s’empare de ses lèvres alors qu’elle relève son visage vers lui : « Rien qui ne te concerne, n’aies crainte. Je vais souhaiter la bienvenue à une vieille connaissance… Espérons qu’il ne finira pas derrière les barreaux pour conduite déplacée. » Sur ces mots, elle passe la cape autour d’elle et s’enfuit avant qu’il ne la questionne davantage.

Elle a lancé l’invitation pour trois heures, il lui reste une dizaine de minutes avant d’être en retard, elle file à toute allure dans l’obscurité de la ruelle. La vampire a choisi un terrain neutre. Ni chez elle, ni dans l’établissement dans lequel Jaroslav a décidé d’investir. Cependant, elle ne l’a pas choisi au hasard.
Une odeur particulière et reconnaissable entre mille s’élève dans les airs : le foin, l’odeur des chevaux. Les écuries sont tout près à présent, elle ralentit le rythme de ses pas.
Parvenue à l’entrée, l’une des grandes portes est entrouverte ; elle se glisse dans la fente, ses yeux cherchant aussitôt une présence alentour. Plus loin, se dessine dans l’obscurité la silhouette d’un homme, postée près des box. Wanda s’immobilise un instant, certaine qu’il l’a entendue. La seconde suivante, elle avance d’une allure confiante vers lui. Se tenant à à peine deux mètres de l’immortel, elle l’observe en silence, jusqu’à ce qu’il tourne son visage vers elle. « Merci d’avoir accepté de me rencontrer cette nuit. » finit-elle par dire, brisant la quiétude des lieux. Un cheval sort alors sa tête de l’un des box, en quête d’attention. Elle pose la paume de sa main sur son museau, l’animal reniflant cette odeur inconnue pour lui, essayant de mordiller ses doigts, à la recherche d’un peu de nourriture. « Tu les aimes toujours, n’est-ce pas ? » La question n’en est pas vraiment une. Elle est persuadée que sa passion pour ces animaux lui est restée. Ses iris noirs se posent à nouveau sur la figure de son ancien amant ; son regard clair la trouble un instant. Les souvenirs qui se sont amusés à la hanter des jours durant étaient donc intacts, nullement abimés par le temps. « Ta venue a éveillé ma curiosité. J’ai beaucoup de questions à te poser… Si tu es d’accord. » annonce-t-elle, finalement, sans détour.
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18.01.20 20:45

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
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Wanda. Le souvenir est vif. La seule évocation du nom rouvre un livre de mémoires en quatre dimensions. C’est d’abord l’image, s’imposant à lui par bribes et détails sournois : ses yeux, noirs charbons, irrésistiblement gouailleurs, sa bouche, épaisse, s’étirant en un sourire bouleversant. Par extension, la bouche lie la gorge au son, et ranime la musique de sa voix, chaude, suave, charmante, s’élevant dans les airs et retombant sur la peau comme une pluie de lave. Son rire en cascade, repoussant les murs, fait jaillir un ardent soleil au beau milieu de la nuit. Il la voit, sur l’oreiller, soulevant le menton et exposant sa gorge gracile alors qu’elle s’esclaffe et fait rougir l’air. Qu’avait-il dit alors pour la rendre heureuse ? Elle se moquait très certainement de lui, encore. Elle s’étire comme sirène au soleil et roule par-dessus-lui en le surplombant. Sa chevelure glisse sur ses épaules et lui chatouille le nez. Alors vient l’odeur, sa peau, ses cheveux, là, juste derrière l’oreille, lui renvoient le parfum de son être entier, il ferme les yeux et se laisse enivrer. Il aurait pu fermer les yeux sur cette odeur indéfiniment pour ne plus les rouvrir. Et vient la quiétude. S’était-il davantage senti en paix qu’en recueillant dans ses bras le trésor rare que renfermait le corps de cette femme ?

Voilà deux jours qu’il est installé à New Abbotsford, les nouvelles eurent bon train, il sait à présent que tous ont eu vent de sa présence. Et déjà, il se voit confronté aux résurgences passées. Il s’y attendait, il avait souhaité ébranler les murs, créer des remous, attiser la curiosité des uns, la haine et la méfiance des autres. Il est prêt.

L’était-il ? Assis à son bureau, les yeux dans le vague dirigés sur l’écran de ses pensées, il tient dans sa main le papier plié où se dessinent les courbes déliées de ses lettres. Il pourrait se pencher, le porter à son nez et renifler la trace olfactive que ses doigts ont laissé sur les fibres. De son autre main, il caresse pensivement le coin de sa bouche.

Wanda. Son dernier regard, accusateur, triste peut-être aussi, ou l’imaginait-il ainsi ? L’odeur du sang, ferreux, rance, alors qu’il lacère les chairs d’un homme, un militaire. La guerre est déclarée, sa position s’affirme, et dans sa colère impétueuse, il la voit partir pour ne plus lui revenir. Pleine d’aplomb, pétrie de ses certitudes, il aurait dû se douter qu’elle puisse oser demander à le voir, elle la conseillère royale, qui n’avait daigné lui donner de nouvelles deux siècles durant. Qu’avaient-ils aimé l’un chez l’autre au juste ? Jaroslav ne s’était jamais reconnu en sa présence, lui qui rejetait les notions d’amour et d’attachement. Tout n’était dicté que par une nature biologique. Ainsi l’homme aimait sa progéniture, tout comme l’éléphant et la vache à l’inverse de la tortue. Imbécile, incapable et inutile, la descendance humaine ne pourrait survivre sans le concours d’une personne adulte. Pour assurer la survie de l’espèce, la nature a doté l’homme de mécanismes physiologiques entrainant la création d’une protéine, l’ocytocine, qui acheminée dans le système limbique et l’amygdale, stimule l’empathie, le lien affectif, l’attachement. L’effet anxiolytique de l’hormone achevait de faire croire au doux répit qu’offre la présence de la personne aimée. Voilà la supercherie naturelle inspirant à l’homme et la femme le sentiment d’amour. Assurément, un vampire ne pouvait s’encombrer d’une telle chimie des corps. Que restait-il dans leur cerveau mort ? Était-il possible qu’ils soient tous victimes des mêmes entourloupes, eux qui n’avaient plus la nécessité de s’aimer pour procréer ? Quant à Wanda, n’était-elle pas un illustre exemple du syndrome du sauveur ? Persuadée de naviguer au travers de lacs de son chagrin pour l’entrainer sur des rives plus amènes. Au diable ces grandes âmes qui se font une mission des défauts des autres ! À l’instar de son Sire, elle avait voulu tirer les fils de son destin.

Une rage insidieuse menace de poindre, quand le grincement de la porte le tire de ses rêveries. La jeune domestique – il a oublié son nom, ou n’a jamais souhaité l’entendre – le fixe de ses yeux atterrés, la bouche entrouverte.

- Pardon Monsieur, je suis désolée. Tout était silencieux et je pensais… je pensais que vous étiez déjà parti, vous n’êtes jamais là à cette heure-ci et je…  je vous laisse.
- Que faisiez-vous ?, dit-il puant de dédain alors qu’elle tourne les talons.
- J’allais remettre une buche pour la.. cheminée.
- Le feu s’est tari, observe-t-il.
- Il n’y a qu’à souffler sur les braises.
- Souffler sur les braises, répéta-t-il abscond.

Le temps semble s’allonger et la jeune femme en est mal à l’aise, ne sachant trop si elle doit partir ou si cela serait pris pour de l’impolitesse. Il se redresse alors lentement et se dirige vers la cheminée. Il plaque une main sur le parapet, saisit le tisonnier de l’ensemble serviteur et remue les cendres grises. Il se penche et saisit un morceau de charbon noir pour le lui tendre.

- Approchez, prenez-le. Il est tiède.

La jeune femme hésite mais s’exécute, s’approchant à pas prudents du maître de maison. Elle lui tend une main pâle et menue et reçoit le caillou noir dans le creux de sa paume. Elle en perçoit la chaleur à l’intérieur et lève des yeux noyés d’appréhension pour les plonger dans le bleu iridescent du vampire. Jaroslav la déshabille du regard, l’œil brillant, il dit :

- Soufflez.
- Monsieur ?
- Qu’avais-je mentionné au premier jour de votre office ?
- Encore une fois je m’excuse, je ne savais pas…

Il claque de la langue, impatient, et la jeune femme se reprend.

- Qu’il ne fallait pas faire de bruit, qu’il fallait faire en sorte que notre présence ne vous dérange pas, pas un rire, pas un pas, pas un… souffle, murmure-t-elle en réalisant.
- Bien. Maintenant puisque vous y teniez : soufflez.

Il quitte la maison bien à l’avance, incapable de supporter plus avant les gémissements involontaires de la jeune femme, ça n’était pourtant rien qu’une brûlure bénigne, elle en retiendrait dorénavant la leçon.

C’est une nuit sans lune, il se dresse sur le seuil de l’écurie, lève un coude et se penche dans le chambranle. Ses pensées se dérobent, le doute l’assaille. Il entre et le son de ses pas sur les dalles disparates lui parvient en échos lointains. Il jette un regard alentours, comme s’il voyait les lieux pour la première fois, remarquant des détails que son extraordinaire vision n’avait pas noté avant cela. Des ronds d’humidité tâchent les murs en un camaïeu de gris, la charpente, subissant la constante pression du bâtiment contre lequel le vent s’ébranle, craque ça et là, imperceptible aux oreilles humaines. Le temps s’égoutte. Il s’est à peine aperçu avoir avancé jusqu’au box de son hongre et celui-ci, reconnaissant là le bruit et l’odeur familiers de son compagnon de voyage, sort sa tête incurvée et fouille aux alentours de sa manche du bout du bout de babines mobiles à la recherche d’une friandise. Sans réaction de la part du cavalier, il le pousse de la tête en la remuant frénétiquement. Jaroslav tend une main abstraite et la plaque à plat sur son chanfrein. L’animal se calme et émet un sourd ronflement. Elle est là. Il se fige parfaitement, reste ainsi de dos, presque incrédule, puis se retourne lentement. Elle est si proche. Il la regarde comme un songe qui s’évapore au matin, entre illusion et réalité. Jusqu’à ce qu’il l’entende. Sa voix perce le silence comme une faux sous l’herbe.

- Comment refuser, répond-t-il impavide.

Ils se toisent encore un moment, auscultant la silhouette, les courbes, l’attitude, et notant les différences. Dans leur caractère immuable, seule l’âme, lotie dans fond des yeux, dénote du temps qui passe, exerçant sa force implacable sur une psyché fatiguée. S’il reste de marbre, il se réjouit en son for intérieur d’avoir la chance de poser à nouveau ses yeux sur elle. Il l’observe mettre en scène sa bonté d’âme envers chaque vivant foulant la terre, ne répond à sa question qu’en abaissant ses paupières pour les rouvrir sur un œil glacial et goguenard, de curieuses parenthèses indéchiffrables autour d’un mince sourire. Il apprécie certes l’animal, l’odeur, la vision et le bruit le rappelle à une époque lointaine et révolue qu’il ne haïssait finalement pas. À dire vrai, il est pourtant le symbole d’un homme ayant une fois de plus désiré s’accaparer les chemins de ses futurs. Elle fait fi de son silence entendu et reprend, révélant les véritables intentions de cette entrevue. Il baisse la tête un court instant, aigri, place ses mains derrière son dos puis redresse un menton fier pour s’approcher davantage d’elle, appuyant sur la pesanteur mesurée de ses pas. Parvenu légèrement derrière elle, effleurant son épaule de son torse, il penche la tête et murmure à son oreille, tout en la contournant, passant de l’une à l’autre, et glissant une main le long de son bras gracile pour survoler fugacement le plat de sa main avant de s’en détourner. L’espace d’une seconde, ils auraient presque pu s’enlacer.

- Mmmh, Wanda et ses éternelles questions, sa curiosité insatiable. Wanda traçant des fils de sa main jusque dans le cœur des hommes, pour mieux les étreindre, cruelle marionnettiste, et s’éloignant en lui tournant le dos, qui je suis, que suis-je devenu, quelles motivations m’ont conduit ici, suis-je toujours la main tributaire des Voltchenkov…

Il se retourne, abandonnant l’amorce ténue de la joie de la revoir pour une attitude tout à fait caustique et acerbe.

- Dis-moi, alors, quelles informations je puis te donner pour t’aider à mettre en place tes manœuvres au nom du bien commun ?

Elle décompose, analyse, place ses pions sur l’échiquier et connait la position de ses ennemis. Elle veut en avoir le cœur net. Lui accordera-t-il seulement ce plaisir ?


 


Little girl, little girl

You should close your eyes
That blue is getting me high
And making me low

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28.01.20 21:52

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Passer la porte de l’écurie a été la première étape. Il n’y a pas de retour en arrière possible à ce stade. Jaroslav est bel et bien venu suite à l’invitation qu’elle lui avait lancé sans trop tarder. Bien entendu, elle avait hésité en apprenant qu’il se trouvait au sein des murs de la Cité dans laquelle elle s’était établie depuis des décennies. L’information l’avait perturbée ; il surgissait tel un fantôme du passé. Son arrivée suivait une prise de pouvoir déloyale de son créateur. Le doute l’avait assaillie, laissant son esprit fomenter toutes les idées possibles quant à la raison de sa venue. Bien entendu, elle avait appris qu’il venait diriger l’Oasis Pleasure aux côtés de l’infant Di Conti, Dorian, qu’elle appréciait particulièrement. Que s’était-il donc passé pour que l’infant Voltchenkov décide de s’associer dans cette Cité en particulier..? Elle l’ignorait. Elle ignorait cela au même titre que tout ce qu’il avait pu faire depuis le jour où elle lui avait tourné le dos, lorsqu’il était allé trop loin à ses yeux.
Le souvenir était intact dans sa mémoire ; elle le voit encore s’en aller, furieux, après leur dernière dispute où elle tentait de le dissuader de prendre part au massacre qui se jouait entre mortels et immortels. Ils pouvaient très bien continuer leur vie, sans se mêler à cette guerre, trouver un endroit où cette opposition entre les races ne les atteindraient pas. Il avait refusé, voulant lui faire reconnaître la bêtise humaine et leur infériorité. Wanda n’avait pas quitté ses positions, ne l’agaçant que davantage. Il était parti au début de la nuit. Craignant le pire, elle avait fini par arpenter les rues, avant de s’éloigner du calme pour se mêler au carnage qui s’étendait. Elle repoussait les silhouettes, les évitait au mieux ; l’air empestait le sang, au point de la griser.
Elle avait fini par mettre la main sur lui, l’observant de loin, se déchaîner, déverser sa haine sur la moindre portion de vie qui se trouvait sur son chemin. Elle s’était alors approchée, déçue, démunie devant cette triste vision. Jaroslav avait retrouvé son instinct le plus animal, celui que son créateur avait exacerbé pendant de trop nombreuses années. Elle avait tenté de contrebalancer cela, en instillant en lui d’autres valeurs, en calmant ses envies sanguinaires, violentes. Mais celui qui avait mis la main sur lui le premier avait imprimé une trace si profonde… Elle en voyait le résultat. Sans un mot, elle avait alors quitté ce terrain imbibé de sang et de tripes, ne se retournant jamais, se refusant à croiser les iris clairs de l’être aimé.

Son visage tourne presque au ralenti dans son esprit. Elle discerne tous les détails de sa mâchoire, de ses tempes, ses pommettes ; tout est intact, identique au dernier souvenir conservé dans sa mémoire. Enfin son regard croise le sien. Le ton est calme et maîtrisé alors qu’il lui répond de façon succincte. Un ange passe.
Wanda ose une remarque sur son intérêt pour cette espèce d’équidés ; elle connaît ses passions d’antan, aussi bien que les sujets qui le désintéressent ou le révoltent. Il n’est pas question d’entrer en terrain miné. Mais elle n’est pas non plus venue pour l’amadouer. Inutile de tergiverser, la brune prend le taureau par les cornes, sa franchise prenant les devants. Elle expose et met à nue les raisons concrètes de sa venue. Elle omet volontairement de citer l’envie de voir ce qu’il est devenu ; plus encore, savoir quel effet la rencontre produit sur sa personne. Remuer les souvenirs, les fantômes du passé qui dansent dans sa tête, voilà une activité à laquelle elle s’adonne depuis quelques temps. Ses vieilles connaissances qui recroisent son chemin lui font revivre des instants oubliés, enfouis sous des décennies de mémoires.

Immobile, elle le voit approcher après avoir noté le changement de son expression. Que se passe-t-il dans son esprit ? Voilà qui l’interroge plus intensément. Si son visage ne bouge pas, son regard suit, autant qu’il le peut, la silhouette qui la contourne lentement. C’est d’abord le souffle qu’elle sent, puis les mots qu’elle entend, et enfin sa main qui la touche. Un fin sourire s’étire sur ses lèvres, une seconde à peine, invisible aux yeux clairs, avant de retomber aussi rapidement. Elle écoute attentivement.
Jaroslav comprend bien vite la manœuvre de la Conseillère ; malgré toute sa bonne volonté, il ne peut s’empêcher de trahir son aigreur à son encontre. La mention du bien commun dans sa bouche suffit à Wanda pour comprendre qu’il a rejeté tout ce qu’elle avait voulu lui montrer, par le passé. Il s’est éloigné. Ignorant le cheval qui renifle plus fort pour se faire remarquer, elle pivote sur elle-même, pour faire face à l’infant Voltchenkov.

« On dirait que la curiosité sonne comme un défaut, dans ta bouche. » constate-t-elle, le fixant, sans pudeur. Elle ne répondra pas à sa remarque, la qualifiant de marionnettiste. Il semble s’être fait un avis sur la question ; sans doute les années ont recouvert les meilleurs souvenirs pour mettre en lumière ce qui le dérangeait le plus dans leur relation. Peut-être n’a-t-il toujours pas accepté avoir faibli pour un autre être ? Elle aimerait presque creuser dans son esprit. Cependant, ce n’est pas le moment. Un silence de courte durée s’établit alors qu’elle fait un pas vers lui, réduisant l’écart qu’il a voulu instaurer : « Dis-moi plutôt ce que tu es prêt à me révéler. » Elle rétorque, le regard brillant, presque joueuse, elle s’approche encore un peu, l’observe.
Un soupir lui échappe, avant qu’elle ne se décide à lui laisser savoir le fond de sa pensée. « Toi venant ici… Alors que ton créateur vient de mettre la main sur la Reine, sur la Cité, sur le trône… Ca m’interpelle, Jaroslav. » Croisant les bras sur sa poitrine, son regard se porte sur la structure du bâtiment, s’égare ici et là, sans vraiment tenir compte des détails que sa vision capte. Son esprit lui dicte mille choses à la fois ; tant de questionnements. Elle ne sait plus vraiment qui se tient en face d’elle. « Je veux savoir qui tu es aujourd’hui, oui. » lâche-t-elle finalement, poursuivant ensuite : « Tous les Voltchenkov sont ici, réunis, s’établissant. S’imposant. » Une famille royale quasi complète qui s’établit sur une Cité prise par ruse. Elle ne s’étale pas en explication, elle sait pertinemment que le tableau laisse entrevoir tout ce qu’il y a à craindre. Ses iris sombres se posent à nouveau sur le visage de l’immortel. Elle s’apprête à lui révéler ce qui, au-delà de l’intérêt pour cette Cité qu’elle affectionne pour diverses raisons, l’inquiète le plus : « Ne me dis pas que tu es de nouveau à sa botte. » Elle refuse d’entendre ça ; pas en sachant de quelle manière l’être qui se trouve face à elle a été gâché par la barbarie d’un homme trop avide de pouvoir.
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05.03.20 14:23

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
https://lrth.forumactif.com/t1375-jaroslav-zelivsky#30534 https://lrth.forumactif.com/t1376-jaroslav-zelivsky
Il la maintient volontairement dans l’incertitude, bassesse vengeresse. Il serait pourtant si simple de lui faire part de ses plans et d’œuvrer de concert. Assurément leur concours leur promettrait plus de certitude quant à la réussite de la protection du royaume. Il semble que l’excellente mémoire des vampires ne leur obtienne pas la chance de pouvoir laisser s’écouler paisiblement l’eau sous les ponts. Qui eut pu présumer que les âges ne puissent délaver la couleur rancœur ? Les larmes et la colère, sont des fleurs qui poussent en toutes saisons. Cette femme a été le récif auquel il s’est accroché, s’épanchant en détails et confidences sur sa vie humaine, sans en avoir l’air, sans se rendre compte qu’ils seraient un jour amenés à haïr ce qu’ils considéraient chez l’un et l’autre comme leurs respectifs défauts.

- Ah, les défauts des uns ne sont que les qualités exacerbées des autres, répond-t-il nonchalamment.

Il n’est plus l’heure de parler émotion, la conseillère est remontée à l’étage de ses fonctions, elle intellectualise, visualise, se prépare en conséquence. Elle s’approche et le questionne sur ses intentions, une lueur qu’il lui reconnait bien dans l’ovale de ses yeux, mutine, gouailleuse, et dans le corps une vague roulante rendant fluide le moindre mouvement, elle se coule, serpente aux écailles de plomb. Même en temps de mer d’huile, immobile, son élément lui confère la grâce du porté : c’est son cou fin, d’où saillit la ligne d’une mâchoire en diamant, l’angle est beau. Il est aisé de se laisser séduire. Il calcule l’amplitude de son pouvoir sur elle à mesure qu’elle révèle l’étendue de son ignorance, et savoure cet état de fait. Comme un danseur gesticulant autour d’un aveugle.

- Il semblait qu’après des années de plein ennui, New Abbotsford devenait la ville de toutes les conjonctures. Je ne voulais pas risquer de manquer toutes les réjouissances.

« Ne me dis pas que tu es de nouveau à sa botte ». Ô vilénie ! À ces mots, Jaroslav cède un bref instant à un accès de colère, déformant un centième de seconde ses traits placides en une grimace agacée digne d’un mascaron. Il ne dit mot, laissant aux bruits alentours, tamisés par l’atmosphère délétère, le soin de répondre à sa place. Les chevaux, sensibles aux variations d’humeur, tendent les oreilles, attentifs, aux aguets, et se réfugient dans le cocon protecteur de leur boxes. Une foule de mots fend la toile de son cerveau, sans pour autant briser le mur de la voix. Il a soudainement envie de se servir un verre d’un alcool fort pour brûler les invectives qui giclent et noient son œsophage jusque dans l’espace concave de son gosier. Jaroslav n’a jamais été homme à laisser parler son cœur, lui préférant l’esprit, stratégique, politique, atone, là où l’émotion n’entrait plus. Il se reprend, lentement. Cela fait des siècles qu’il n’a pas été soumis aux fluctuations dangereuses de son émoi. Les sédiments de son être roulés par l’eau se sont agglomérés dans le feu de son ire, et sous le souffle froid du temps et de la solitude, ont refroidi, laissant une roche, un marbre, lisse et solide, stable et lourd, centré sur son centre de gravité. Il met un temps à le retrouver. Elle est une réminiscence, et sa soudaine instabilité un dommage collatéral et temporaire de leurs retrouvailles, une feuille arrachée au livre de son passé, révolue, qu’il s’attache à mâcher, digérer, annihiler.

- Quelle tragédie, dit-il enfin avec emphase, après des siècles de vie, nous pourrions prétendre à plus de sagesse, ne crois-tu pas ? La seule femme que je n’ai jamais aimée, et à jamais diamétralement opposée à moi.

Parcourant les quelques pas les distançant, il parle. Ses mots traitent d’amour mais le ton, grave, est celui du deuil. Noir est l’habit qui pare son laïus. Il tend le bras, brave l’effigie du cœur asséché par le temps et touche la braise du doigt, comme pour s’assurer qu’après tant d’années, il demeure bel et bien invulnérable à l’épreuve du feu. Il plonge la main sous la chevelure, apposant ses doigts de métal sur sa peau de velours, caresse la joue du pouce, cette joue mille fois embrassée et adorée, et ultime défi, s’accorde le temps de l’envisager d’aussi près qu’il lui est possible de faire, flirtant avec les barrières de l’intime. C’est là, les yeux plongés dans le cœur ardent de son âme, qu’il lui dévoile sa vérité.

- Dimitri n’est pour rien dans mes convictions. Elles m’ont toujours habitées, et ce depuis mon humanité. Il n’a fait que les exploiter. Que dire de nous ?, laisse-t-il entendre.

C'est une turlutaine antédiluvienne. Se figurer de changer l'être aimé pour qu'il nous ressemble. Elle est grande, l’était d’autant plus en 1570 se figure-t-il. Une trouée soudain, dans le ciel constellé de ses ballots de coton gris, laisse l’astre nocturne diffuser son mince rayon blanc par une lucarne étroite, n’éclairant que son visage, lui demeuré dans l’ombre. Déjà-vu narquois, effet de cinéma dramatique d'un Sîn facétieux.



~~~~~ flashback ~~~~~


Elle est étendue. Les lueurs d’une lune pleine peignent du bout de rayons vaporeux un halo argent sur ses formes courbes. Tout est rondeur cette nuit-là, placée sous le signe de Venus. Son caractère magique en vient à élimer les angles obtus des esprits. Il la contemple, paisible, amoureux. Par endroits ses membres, un bras, une cuisse, se fondent sous une fourrure blanche déposée sur le lit, bleuie par la nuit. Tous les éléments s’allient dans une évocation à la douceur et à la volupté. Il est allongé à ses côtés, un genou plié, une jambe étendue, accoudé sur un avant-bras, allégorie de la Garonne. Il caresse d’un doigt humble cette ligne sublimée par ce dégradé de lumière et récite des vers qui furent comme écrits pour elle.

- Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Oeuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois.

Hélas, ne risqué-je, Mégère libertine
Soûl de ta lymphe, égaré dans tes parois,
Me livrer allègre aux moires assassines


 


Little girl, little girl

You should close your eyes
That blue is getting me high
And making me low

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21.03.20 20:27

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Elle déteste la sensation qu’il instille en elle à cet instant précis : la manœuvre lui donnait l’ascendant, elle a posé les questions les plus ouvertes de sorte qu’il lui réponde comme il le souhaitait. Mais le voilà qui s’enorgueillit, jouissant de la laisser dans l’incertitude, profitant de cet état où les rôles tombent dans le déséquilibre. Figure de marbre, l’impassibilité devient plus ardue à maîtriser, mais elle s’applique encore.
Patiemment, elle attend qu’il daigne lui offrir quelques informations qui lui serviront d’assurance pour la suite des événements. Tout dépend s’il se révèle allié, ou non. Elle ne compte pas révéler ses intentions s’il est retourné se ranger parmi ceux de cette dynastie envahissante. A-t-il retrouvé une place qu’elle s’était appliquée à anéantir ? Lorsque leurs chemins se sont croisés, il n’était que le prolongement de la main de Dimitri ; ce dernier ne se servant de son infant que pour réaliser les plus infâmes tâches. Il lui avait suffi de gratter la surface du bout de l’ongle, de retirer le vernis qui avait camouflé la personnalité, l’identité même de l’être qu’était Jaroslav. Elle avait découvert alors tout un panel d’émotions, de connaissances, d’intérêts divers et variés. Peut-être avait-il œuvré de la meilleure des façons en tant que bourreau, peut-être exécutait-il les demandes sans réfléchir, tel le bon petit soldat qu’on avait fait de lui, mais il s’était révélé bien plus face à elle. Elle qui avait pris soin de glorifier cet aspect qu’on avait voulu oublier, si ce n’est lui ôter. L’esprit de son ancien amant était vif, sa verve, sa répartie l’avaient séduite de la meilleure des façons. Se liant à lui, elle avait mis un point d’honneur à l’arracher à la prise de son créateur, dont elle avait pu percevoir très nettement les contours de sa noirceur et les dégâts faits sur l’être aimé. Elle avait voulu l’en détourner, répandre en lui bienveillance, compréhension, indulgence… Wanda avait souhaité créer un équilibre ; avait-il seulement voulu essayer de l’écouter..?

Alors elle lâche ces mots, rendant publique sa crainte : avait-il consenti à effacer d’un simple revers ce qu’elle avait tenté lui transmettre des siècles plus tôt ? Ses yeux perçoivent soudain le bref changement dans l’expression du Tchèque. Elle obtient sa réponse aussitôt ; l’expression n’avait rien d’un sourire. Elle vient de faire remonter à la surface cette condition qui lui avait été imposée durant tant d’années. Cependant, elle ne montre rien, ne relève pas, volontairement. L’heure n’est pas à la gloire, ou à la provocation. Elle n’a rien gagné ; elle n’a simplement pas tout perdu. Le silence perdure en ces lieux, le regard sombre observe avec attention la silhouette masculine. Dans son attitude, il semble soudain moins raide, reprenant contenance. Ces années passées à ses côtés sont maintenant lointaines, pourtant, l’immortelle décrypte encore les signes qu’il laisse à sa portée.
Ses mots, choisis avec soin, viennent percuter la brune qui n’oscille pas. Quel est donc le message qu’il souhaite lui faire passer à présent ? A-t-il pris sa remarque pour un coup bas ? Il n’en était rien. Jaroslav s’approche, elle répond : « Que comptes-tu me faire croire ? Que tu ignorais nos différences à l’époque ? » Le ton est amer.

Maintenant tout proche, elle relève le menton de sorte à croiser l’azur de son regard. De sa main, il s’empare de son minois. Une doucereuse impression de chaleur ravive ses sens à son toucher. Le geste la ramène des vies auparavant ; intriguée, le trouble la gagne l’espace d’un instant. Durant leur romance, Jaroslav s’était toujours montré tendre, par ses paroles et ses attitudes à son égard. Elle avait été considérée comme une Reine dans son monde, et lui, ne pouvait encore se douter de la place unique qu’il avait occupée dans toute l’existence de la Polonaise. Elle ignore le but de la manœuvre, restant attentive. Ses yeux, inquisiteurs, cherchent les réponses avant qu’il ne reprenne la parole. « Dimitri n’est pour rien dans mes convictions. Elles m’ont toujours habitées, et ce depuis mon humanité. Il n’a fait que les exploiter. Que dire de nous ? »
Elle réagit par un mouvement de recul à peine perceptible, mais sans doute l’a-t-il senti sous ses doigts apposés à sa joue. Il joue avec elle, elle le sent. Tel le chat avec sa souris, il a mis la patte sur sa proie, prêt à la tourmenter à son bon plaisir. Remuer de vieilles dissonances qui ont eu raison d’eux, voilà le divertissement auquel il souhaite s’adonner. Malgré elle, un rictus empreint de tristesse et de déception étire le coin de ses lèvres avant qu’elle ne lui réponde dans un murmure : « Tu ne te résumes donc qu’à ça..? » La proximité lui permet à son tour d’appuyer sur certains points qu’elle connaît, et à la fois, d’être aux premières loges pour savoir si tout cela n’est qu’une façade, un tour de passe-passe sur lequel il souhaite miser sa stabilité face à elle et aux souvenirs qui semblent envahir l’espace. « Sois sérieux, Jaroslav, toi et moi savons pertinemment que ce n’est pas le cas. »

Sa main s’empare de son poignet, retirant son emprise sur son visage, dans un geste doux. Ses doigts se saisissent des siens, qu’elle presse un instant dans le creux de sa paume. « Ne deviens pas insultant en comparant notre ancienne relation à celle qui te lie à Dimitri. Elles n’ont rien à voir, et tu le sais. » Toujours avec douceur, elle plaque sa propre main sur son torse, relâchant sa prise, et trouve l’opportunité de se libérer de son ascendant, rééquilibrant les postures, les attitudes. Quel est donc son but cette nuit ? Sans détour, elle a dévoilé les raisons qui l’ont menée à le rencontrer au plus tôt, après des siècles sans nouvelles. Mais lui semble avoir également certaines attentes, prêt à les emmener sur une pente glissante vers laquelle elle n’ose jeter un regard. « J’ai posé mes questions, si tu souhaites m’orienter davantage, c’est à ta guise… Tu ne m’as pas répondu lorsque je… » Un bruit se fait entendre, un grincement de porte, l’arrête dans sa lancée ; les sens aux aguets, elle jette un regard par-dessus son épaule, son ouïe essayant de se focaliser sur les sons qui troublent le calme régnant. Des pas, une respiration, des battements de cœur… Fronçant les sourcils, elle échange un regard avec Jaroslav, avant de se diriger vers le fond des écuries sans attendre davantage. Un humain est venu se perdre ici en pleine nuit. Une quinte de toux rauque couvre alors le bruit des pas de la Conseillère sur les pavés, indiquant qu’elle s’approche de l’âme en perdition.  

L'homme s'est effondré contre des bottes de pailles, essayant de se redresser, ouvrant grand la bouche pour chercher l'air entre deux quintes qui semblent lui couper la respiration. Wanda se penche au-dessus de la silhouette au sol, découvrant une forme de panique dans ses yeux, ignorant si c'est son état maladif qui la provoque ou ce face-à-face auquel il ne s'attendait pas. Sa mine trahit sa pensée : est-il un nouveau contaminé du mal qui s'abat sur les humains de la Cité ? Elle s'accroupit : « Essaie de te calmer... » D'un geste naturel, sa main glacée se pose sur le front du mortel. Il est brûlant. Soudainement, se sentant observée, elle tourne son visage pour découvrir Jaroslav, impassible, qui l'a rejointe, se tenant droit, près du malade. « Il doit être emmené au dispensaire. » lâche-t-elle finalement.
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10.05.20 23:21

Jaroslav Zelivský
֎ Diem natalis : Célibataire
֎ Officium : Cillian Murphy
֎ Nuntium : 1210
֎ Adventus : 19/12/2019
Jaroslav Zelivský
https://lrth.forumactif.com/t1375-jaroslav-zelivsky#30534 https://lrth.forumactif.com/t1376-jaroslav-zelivsky
Seul existe ce que l’on nomme, ce dont on parle et ce que l’on décrit, c’est un fait établi, largement reconnu et consensuel. Plus pernicieux et moins accepté, est le phénomène qui, dans la singularité d’un individu plutôt qu’un autre, prêterait des mots propres aux choses communément vécues, leur faisant prendre des tours bien différents d'une bouche à l'autre. Ce phénomène rend grâce à l’adage « il n’y a pas qu’une seule vérité ».

Car un évènement, s’il est vécu à deux ou à plusieurs, peut selon la lecture personnelle du présent devenir deux scènes totalement différentes. L’être résulte moins de son passé que de son interprétation immédiate de ses souvenirs. Un souvenir, n’est ni plus ni moins qu’un vécu qui n’est plus là. Chaque film inscrit dans la mémoire individuelle est malléable, passible d’être reconstitué, telle une statue d’argile dont la forme initiale serait identique à chacun, mais sur laquelle le temps et la subjectivité imprimerait d’autres formes par les mains de son sculpteur. Donner d’autres formes et d’autres descriptions de ces souvenirs, est une tâche que le cerveau accomplit quotidiennement et de façon autonome.

Pis encore, afin de répondre au mieux à ce que l’on se fait d’un souvenir ou encore pour soutenir une croyance, le cerveau occulte, opère des dissections de mémoire, pour mieux correspondre à nos idéaux, car cette machine à créer des êtres, ne souffre pas la dissonance. Des moments vécus peuvent être enjolivés, ou encore relativisés, jusqu’à être parfaitement inventés. S’il peut subsister une conscientisation de cette transformation abusive, le simple fait de se le répéter, inscrit durablement un souvenir et en fait la réalité. Le cerveau est accoutumé à combler les blancs, imaginer, recréer. À l’instar de cette mémoire collective qu’il est si facile de manipuler à son gré. L’effet Mandela, en est un exemple. Cette représentation subjective outrageante du cerveau aura nourri de nombreuses expériences, notamment celle d’Elizabeth Loftus mais aussi d’inventives théories du complot. Oui le cerveau est un formidable outil de déconstruction et de construction, en témoigne le phénomène physique du point aveugle : cette section de la rétine dépourvue de photorécepteurs et dont le cerveau comble l’image en copiant le motif jouxtant l’invisible. Terrible est la question qui s’impose mais que le cerveau balaye bien vite : peut-on se faire confiance soi-même, quand cette entité manipule arbitrairement nos propres certitudes ?

Que dire d’individus immortels, ressassant, éternellement, de vieux souvenirs ? Jaroslav a retourné les siens, suspendu les incohérences, atténué ses tourments et son désarroi, en les modulant à son gré, niant quelle importance, quels sentiments amoureux, forts et ne s’embarrassant pas de raison, cette femme dans son existence avait pu faire naître. La mémoire est trompeuse, certes, mais fort heureusement, certains déclencheurs, olfactifs, sonores et physiques, ont raison de ces manipulations cognitives. Il la sent reculer sous ses doigts, d’abord réfractaire à l’insulte de ses paroles, puis peinée, touchée. Il oppose un visage de marbre, sans réactions, affirmant par son seul silence la force de ses certitudes. Pourtant l’image fugace de cet éclair de tristesse dans ses yeux continuera de le hanter bien des jours pour torturer ses convictions. « Tu ne te résumes donc qu’à ça..? ». Subtile et avisée, le pronom seul l’accuse lui, uniquement lui, d’avoir ainsi impunément sali la mémoire de leur relation. D’une injonction, elle balaye son plaidoyer en le rendant caduque, dérisoire « Sois sérieux Jaroslav ».

- Je suis on ne peut plus sérieux, rétorque-t-il froidement.

Impénétrable homme de pierre au cœur amputé. Son visage fermé dresse des remparts à toutes les flèches de l’angelot archer. Elle saisit pourtant sa main, démantèle, brique par brique et avec douceur, ses monstres d’échafaudages. Pauvres hommes, dépourvu du langage de l’amour, assoiffés, errant dans la violence et dans la frustration, incoercibles fous, dont les rares traces et manifestations de sentiments, se voient imputables au sexe faible, sorcières habiles, sirènes manipulatrices. Que de malheureuses désignations pour avoir commis le crime d’extérioriser ces transgressions émotives. Sa main enserre la sienne, le presse à se souvenir, à reconnaître l’injustice, rend sa mémoire à l’amnésique. Un morceau de son âme se répand, traverse sa peau et remonte, comme un courant électrique, de la main jusqu’à l’épaule, de la nuque jusqu’au sommet du crâne, transperce la boîte crânienne et s’en va réveiller quelques synapses éteintes. Quelque chose s’abandonne en lui, une tristesse évanouie s’allume. La lassitude d’une solitude rudement éprouvée, jamais admise, compensée en charnelles aventures, dociles, accortes, sexes béants avalants dans leur cavité le désespoir sempiternel de ses abîmes, entre deux blanches cuisses à la peau souple sur fond de taffetas de soie et velours pourpres. Luxures succédanées, compensatoires.

Sa main sur son torse rend à son propriétaire l’organe arraché. Elle s’en était donc en allée avec, ou au moins la moitié. Il ferme les yeux, soudain bercé par des tambours fantômes. Ciel ! ce qu’un cœur est lourd à porter ! « J’ai posé mes questions, si tu souhaites m’orienter davantage, c’est à ta guise…».  Une souffrance délavée trouve le moyen de fendre un cri en lui. Il pose sa main sur la sienne et l’en écarte de son corps. Vilaine, reprends avec toi tes mignardises pénibles. Il s’éloigne et se retourne, et dos à elle, peut à loisir recouvrer l’âpreté réservée de son caractère solennel. Wanda s'est interrompue, détectant la présence impromptue, pourtant lui, emporté par sa diatribe, ne prend pas garde aux stimulus alentours.

- Tu n’espérais pas, en me donnant rendez-vous ici dans le seul but de lever le doute sur mes accointances, que je me réjouisse de nos retrouvailles ? T’imaginais-tu qu’après des siècles de silence, je puis me livrer à toi sans résistance ? Tu oses prétendre mieux comprendre ce que nous fûmes, quand tu ne t’embarrasses pas même de formules de circonstances, exposant de but en blanc les raisons politiques de cette entrevue. Eh bien, je te le dis, déclare-t-il en faisant volte-face, si Lucrezia désire s’enquérir de mes allégeances, nul besoin d’une …

Il perçoit soudainement les raisons de son silence. Le regard de Wanda en dit long. Une toux, un sifflement pénible bruit au fond de l’écurie, elle s’y dirige derechef et dispose déjà de l’impudent. Consterné d’être ainsi interrompu, Jaroslav fulmine en dedans. Levant les yeux au ciel, il la rejoint et jette un regard méprisant sur la vermine. L’homme est à bout de souffle, hagard et fébrile. L’approche de Jaroslav ajoute une ombre sur ses craintes, malgré le contact rassurant de la main prévenante de Wanda sur son front. « Il doit être emmené au dispensaire. », dit-elle, s’adressant à lui. Qu’entend-t-elle par-là ? Jaroslav accuse le coup d’un air compassé, lève un sourcil circonspect, outré. Elle n'est tout de même pas sérieuse ? Quelques secondes précieuses passent, Jaroslav repose ses yeux sur le malade, la vue de son visage émacié, d'où saillent deux cernes creuses, le rappelle à d'anciens souvenirs.

La grippe espagnole, qui n’avait véritablement rien d’hispanique car nulle n’en désignât proprement l’origine, avait sévit à la fin de la première guerre mondiale. Il avait onze ans, alors. La Tchécoslovaquie en ce temps, était en grande liesse et rien n’aurait pu entacher la joie de son indépendance, pas même les plus de soixante-quinze mille malades qui s’entassaient dans les hôpitaux déjà mis à mal par les nombreux blessés de guerre. Son grand-frère, Ludvík, alors apprenti médecin, racontait chaque dimanche aux réunions de famille, à quel point les Tchèques ne mesuraient pas la gravité de cette épidémie. Il était fatigué, le moral battait de l’aile. Quelques semaines plus tard, lui-même était tombé malade. Jaroslav se souvient brièvement lui avoir rendu visite sur son lit d’hôpital, accompagné de son père et de sa sœur, ne comprenant pas réellement que son frère avait bel et bien frôlé la mort. Car ce curieux mal, tût par les médias opprimés par la censure de nombreux pays, touchait d’abord les plus jeunes : les systèmes immunitaires réagissant exagérément à la présence du virus et endommageant jusqu’à la mort souvent leur organisme.

Devant l'implacable attitude de la belle, il devine de plus graves enjeux, comprend enfin quels dangers un virus pour la cité peut représenter. Serrant la mâchoire, il consent et s’agenouille, saisit l’homme et le porte, notant au passage la cadence anormale de son rythme cardiaque. Le bougre n’avait aucune chance, songe Jaroslav.

- Bien, pressons, dit-il non sans manifester son agacement, l’enjoignant d’un hochement de tête à le précéder.

Quittant les odeurs de campagne de l’écurie, ils marchent ensemble dans l'inconfortable silence qu'avait laissée leur entrevue, sur fond de râles souffreteux.

- J’ai toujours aimé nos rendez-vous, tu n’as pas ton pareil pour attirer les miséreux, plaisante-t-il amer.

Sur ce, le gredin pense trouver parfait moment pour décocher une toux d’enfer, borborygme gutturaux pouacres, d’une bouche béante cherchant de l’air. Soudain jaillit un dégueulis putride de sang, tâchant les vêtements de son porteur, qui dans un rictus écœuré, fait tout son possible pour ne pas laisser choir le malotru.


 


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26.07.20 22:21

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Elle ne trouve rien à lui rétorquer lorsqu’il affirme à nouveau pouvoir comparer la relation qui les a tous deux liés des années durant, à celle, toxique, qu’il a partagé avec son créateur, ce roi envahisseur. Seule la déception l’envahit, laissant un goût amer dans sa bouche, obligeant son cerveau à refermer les tiroirs pleins à craquer de souvenirs qui menaçaient de ressurgir. Elle veillera à ce qu’ils restent invisibles à son esprit et ses moments d’égarement, que son regard sur le passé partagé devienne aveugle. Malgré elle, ses pensées filent à toute vitesse, et les questions émergent aussitôt concernant l’homme qui lui fait face. Reste-t-il un semblant de celui qu’elle a connu, ici ? Il lui faudrait davantage de temps pour s’en assurer, bien qu’elle imagine sans peine qu’il ne se montrerait pas coopératif concernant cette étude à son sujet. Jaroslav veut se tenir hors de portée, sous les mots prononcés, c’est cette déclaration qui prime.

Le calme de leurs retrouvailles se retrouve entaché de l’ambiance pesante qui règne entre eux, tel l’orage d’un été touchant à sa fin. Il se détourne, elle l’imagine rassembler ses idées, choisir ses mots avec soin : ses talents d’orateur demeurent bel et bien en place. Tout dans son attitude démontre qu’il n’a pas perdu de sa superbe. Il semble même avoir gagné en orgueil, en confiance. Les yeux noirs décrivent la silhouette et l’attitude qui ne semblent pas mentir. Seul le ton de sa voix semble le trahir : ses paroles sont teintées d’une colère froide, d’une rancœur perceptible à l’oreille de la Conseillère. Elle ne l’interrompt pas, mais son attention est troublée : un souffle rauque lui parvient, un palpitant battant la chamade de façon irrégulière détourne sa concentration qui était jusqu’alors vissée sur son ancien amant. Ses mots l’atteignent d’une bien drôle de façon, à présent que l’inquiétude la gagne : elle voudrait qu’il arrête de parler, se taise un instant, qu’il reprenne plus tard. Elle lui accordera le temps qu’il faudra pour qu’il dépeigne tous ses travers, ses torts, qu’il prenne un malin plaisir à lui faire croire qu’elle serait la seule fautive de l’histoire, quand ils étaient tous deux acteurs de leur romance. Wanda résiste à la tentation de le confronter à ses formes d’affirmations basées uniquement sur ses sentiments, ses humeurs. Mais quelque chose de plus grave que leurs états d’âme est venu jusqu’à eux. Il n’est pas l’heure de se confronter, et de souffler la poussière sur les vieux souvenirs : leur entrevue privée est écourtée.
Lorsqu’il daigne finalement se tourner vers elle plutôt que de lui présenter son dos, il se tait, captant, reconnaissant l’expression qui anime le visage de la brune. C’est là qu’il prête attention à leur environnement et se rend finalement compte qu’ils ne sont plus seuls, ici dans ces écuries. Sans hésiter plus, elle les abandonne, lui et sa rancœur, filant porter secours à l’humain qui se meurt.

Par des paroles et des gestes doux, elle tente vainement de le calmer. Son état lui paraît critique, elle imagine déjà le pire, mais ne peut s’y résoudre, pas sans avoir essayé d’abord. Elle ignore qui il est, qui est son maître et ce qu’il fait à cette heure-ci dans les parages ; tout cela lui importe peu. L’urgence est évidente, le danger imminent. Elle se doute que les mots adressés à celui qui lui tient compagnie n’auront peut-être pas l’effet escompté : à l’expression de Jaroslav, elle imagine que leur entrevue s’arrêtera maintenant, qu’il optera pour un demi-tour et la laissera ici, avec ses bonnes intentions et l’importance qu’elle accorde à ceux qu’il s’est toujours plu à mépriser. Ils font de nouveau face à leurs différences, faisant revivre les raisons de leur rupture passée. Combien de fois se sont-ils abimés ainsi avant qu’il ne finisse par dépasser les limites de sa tolérance ? Wanda a oublié de les compter. Le regard bleu glacier se pose sur la silhouette dont l’état se dégrade à vue d’œil : qu’attend-il à présent ? Les secondes s’égrènent jusqu’à ce que, contre toute attente, il se penche auprès d’elle, s’agenouille à ses côtés. Son attitude trahit sa surprise ; elle l’observe faire, attraper le corps brûlant et se hisser sur ses deux jambes en le portant. Elle se redresse à son tour, incapable de trouver les mots face à sa réaction, l’aide qu’il daigne alors apporter. C’est lui qui brise le silence entre eux, balaie les commentaires tus de la Conseillère en une brève injonction. Elle lui répond par un regard appuyé, avant de prendre les devants comme il lui a indiqué, tirant la porte, le laissant passer avec le fardeau entre ses bras.

A grandes enjambées, ils se dirigent vers le dispensaire, leur cadence rythmée par une respiration bruyante et saccadée. Elle s’ose à quelques regards tournés en sa direction, dans la plus parfaite discrétion : elle ne sait que dire en cet instant. Il l’a prise au dépourvu, après qu’elle l’ait vexé dans leur dernier échange. La situation est désagréable ; ses mains s’enroulent autour de ses bras croisés sous sa cape, ses doigts enserrent si fort que ses ongles enfoncent le tissu dans ses chairs. Puis, ses paroles fendent l’air, le sarcasme présent dans la voix, mais rendant cependant le moment moins pénible. « J’ai toujours aimé nos rendez-vous, tu n’as pas ton pareil pour attirer les miséreux » Un sourire en coin, impossible à réprimer, vient à Bożena. « Je ne vois pas de quoi tu parles… » rétorque-t-elle, feignant l’ignorance, regardant ailleurs. Le mortel se trouve pris de quintes de toux, impossibles à maîtriser. Les sourcils de la Conseillère se froncent aussitôt ; il est plus mal en point qu’elle ne l’aurait cru et la pensée se confirme lorsqu’il se met à répandre sur Jaroslav un liquide immonde dans lequel se mêle du sang. Si l’infant Voltchenkov demeure muet, elle n’a aucun mal à deviner le fond de sa pensée. Il doit probablement la maudire, elle, et puis sa bienveillance, sa volonté de bien faire… Les lumières du dispensaire apparaissent au bout de la rue, ils ne sont plus très loin. Quelques minutes qui semblent s’éterniser les séparent de l’endroit. Consciente que l'humain qui se meurt sera bien incapable de retenir et encore moins de transmettre des mots qu'il pourrait entendre, elle en profite pour s'adresser à Jaroslav. « Je ne t'ai pas proposé cette rencontre sous la demande de Lucrezia... Si mes questions t'ont paru trop directes, j'en suis navrée. Je voulais simplement avoir un aperçu de qui tu étais après tout ce temps. Tu seras d'accord que ton arrivée en temps que co-gérant d'un bordel de luxe a pu générer quelques interrogations de mon côté. » Lorsque l'information lui était parvenue, un simple sourire en coin avait animé son visage : le souvenir de sa rencontre, ce moment où il n'avait osé dévier son regard de son visage alors qu'elle quittait ses vêtements, avait ressurgi, créant un contraste, mettant en relief des crevasses nouvellement formées entre celui qu'elle avait connu et celui qu'il était devenu.

Traversant la cour, et rejoignant le bâtiment, elle ouvre la porte, et cherche aussitôt un soignant disponible afin de confier le malade le plus rapidement possible. Une jeune immortelle s’approche d’eux, son regard auscultant d’abord l’état pitoyable dans lequel se retrouve le patron de l’Oasis Pleasure, avant de courber légèrement le minois lorsqu’elle reconnaît celle qui siège près de la Reine au Conseil. « Prenez le en charge, faites au mieux. » Un autre soignant vient porter secours, récupérant le malade qui semble proche d’un état inconscient à présent et débarrassant enfin Jaroslav. Wanda les regarde s’éloigner, puis elle s’attarde sur l’alignement des brancards chargés des patients. Le constat l’inquiète, et ses épaules s’affaissent face au spectacle. Sans un mot de plus, elle se tourne vers celui qui l’a accompagnée et d’un signe de tête indique la sortie.
Une fois à l’extérieur, elle se tourne vers celui qui fut sa moitié, jadis : « Je ne vais pas te retenir plus longtemps, j’ai suffisamment usé de ta bonté pour cette nuit. Merci pour ton aide… Nous nous reverrons certainement dans la Cité, puisque tu sembles poser tes valises ici. » Ses yeux se posent sur sa tenue à présent souillée. « C’était le pire parmi les miséreux, tu le concéderas… » dit-elle, revenant sur sa précédente réflexion. Reculant d’un pas, marquant la séparation qui se montre nécessaire à présent, « Jaroslav, sois prudent. On connaît bien le personnage qui s’est établi ici. » glisse-t-elle, s’éloignant encore un peu, avant de faire demi-tour pour rejoindre sa demeure.

Les images de l’homme, atteint par cette maladie, la hantent tout au long du chemin, angoissée à l’idée que les humains vivant sous son toit puissent se retrouver dans cet état. Il lui faudra leur rappeler de prendre toutes les précautions possibles. Puis ses pensées glissent doucement vers les retrouvailles de cette nuit, sur ce qu’elle a appris, sur ses ressentis personnels, sur l’impression que Jaroslav lui a laissée. Elle ne sait que penser, se retrouve un brin tourmentée par la rencontre. Lorsqu’elle arpente les escaliers qui la mènent à ses appartements, elle trie encore les informations avant de replacer sur son visage une expression impassible, ne permettant à quiconque de deviner ce qui se passe dans son esprit.
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02.12.20 19:34

Jaroslav Zelivský
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  Moins que dire   
  et se taire à rien de rien   
  voilà ce qui nous attend...   

Vladimir Holan


Poison de l’âme que le silence, la frustration du mot qui s’étiole avant même de naître. Les non-dits. À chaque pas, ils rongent de l’intérieur, dissolvent les sentiments, grignotent l’os, jetés en pâture à l’orgueil. C’est une boule de feu torpillée dans un espace trop étroit, elle tournoie furieuse sur son axe et consume tout sous l’épiderme, aspire en son centre les entrailles convulsées comme dans un trou noir. C’est un tronc frappé par la foudre dont il ne reste plus que l’écorce, dure, griffée par le temps, blessante. Il attend après elle, amant difficile, passif agressif, sans consentir à s’adoucir et libérer ses tourments dans une intelligente vulnérabilité. L’homme n’est pas prompt à la faconde. Il juge en avoir assez dit. Il marche droit et fier sans un regard en arrière, ni trop vite, ni trop lentement. Le pas est calibré et rude, rythmé, lourd comme une procession militaire. C’est la marche implacable de l’homme confiant dressé vers ses secrets desseins, rejetant de sa superbe tout ce qui pourrait l’en distraire. C’est un leurre, une façade. Tout son corps communique la solennelle détermination, il est pourtant lésé de plombeuses amertumes. Le fardeau de l’homme malade entre ses bras est une plume sur la balance de ses contrariétés. Son discours demeuré en suspens, interrompu par l’infortune cruelle, il attend. Milles offenses lui traversent la moelle, sont réprimées dans l’isthme du gosier, s’étouffent sous la langue. Milles douceurs narguent sa froideur, sont rejetées, dissoutes dans l’acide du ventre. Il opte pour l’humour, acerbe et sec. Cela arrache à sa compagne, le temps d’un moment de grâce, le sillon d’un sourire qui l’enorgueillit malgré lui. Mais la légèreté passe comme écrasée sous une chape beaucoup trop dense pour en percer la sphère, et l’armistice tendu devient une porte lointaine dans un couloir à sens unique passé trop vite.

Les secondes s’égrènent comme autant d’occasions manquées. Tout semble prétexte à prolonger le temps, donner une chance au miracle de voir se faire profiler une ouverture qui craquèlera le masque lisse des jeux de pouvoir. C’est une marche aveugle et inutile, où chacun n’ose glisser un regard vers l’autre de peur de ne trop perdre. À croire qu’un seul contact, même impalpable, un seul regard à croiser l’âme de l’autre pourrait bien les trahir, leur faire perdre la face, avalée dans une tornade de yeux verrons.

Y a-t-il seulement assez de temps ? Ou trop ? La mesure est faussée, comme deux protagonistes plongés en plein sommeil paradoxal. Ils rêvent depuis des heures, quand ils n’auront dormi que quelques secondes. Les choses semblent ralenties et accélérées à la fois, l’est autant le clivage entre le rythme physique de leurs pas, lent, mesuré, et la danse des pensées, incessante, envahissante. Il brûle de lui demander des comptes, qu’elle lui répondre enfin ! Mais refuse de trahir ses opiniâtres promesses. Il faudrait bien intervenir enfin ! Sans quoi comment ces siècles d’absence termineront-ils ? Dans le soupir taiseux du regret, encore ?

Le son trébuchant de talons lancés à vive allure, rebondissant en échos métalliques contre les murs rompt la mesure cyclique de leurs pas. Une jeune femme fait irruption d’une ruelle, avise soudain le curieux cortège et se fige derechef. Nulle réaction des deux vampires. La jeune femme les regarde passer, hébétée, frappée par la vision de ce couple impressionnant de beauté et d’autorité. Elle contemple muette l’apparition fantastique et ne reprend sa course qu’une fois la curieuse procession hors de vue. Tout au long de leur ascension, ils intiment respect et silence. D’aucun aurait pu jurer, vu de l’extérieur, que ces deux-là avançaient comme mu par un seul esprit. Les apparences sont trompeuses.

Crachat vermillon sur la laine du trench. Coup de sang invisible sur le visage blême du vampire, sinon l’impression que l’austérité de ce visage taillé à la serpe se fasse plus rude et plus fermé qu’il ne l’est d’ordinaire. La mâchoire est serrée, serrée sur ces mots qui s’étouffent. Il n’est nulle parole pour alléger l’embarras, seulement le silence. Et le dispensaire se profile à leur horizon.

Encore quelques pas. Elle lui abandonne le courage de quelques mots. Mais la colère l’empêche de lui témoigner de retour. Il ne lui oppose que son silence. Parvenus au dispensaire, Wanda prend les choses en main avec efficacité et douce autorité. Elle s’entretient avec le personnel et délivre ses ordres auxquels il n’entend rien. Il reste sur le seuil, planté sur le plancher comme un damné repoussé par la magie blanche d’une terre sainte. Ici n’est pas son monde, c’est celui des gens de bien qui ont choisi de mettre leur vie au service de l’humanité. Le malade est retiré de ses bras, transporté sur une civière loin de sa portée et de sa sollicitude, disparaissant hors de son champ de vision sans qu’il n’en prenne seulement conscience. Seul lui reste le sang gluant qui lui colle à la peau. L’odeur lui pique le nez et le répugne, ça sent la viande avariée. Sa gorge l’irrite comme si l’odeur s’était déposée en goût acre et putride par le nez. Il en aurait vomi s’il avait pu. Mais il ne peut pas, de cette bouche ne vomissent ni sang ni mots. Elle le congédie, le met gentiment en garde. Il reste coi, la regarde froidement comme si elle n’était pas tout à fait là, le regard vissé sur elle, et pourtant si lointain. Il la voit s’éclipser, indolent, la fuite dans les idées. La porte se referme, et il demeure idiot et seul devant cette porte insignifiante.


- Certaines choses sont immuables. Tu es toujours aussi obstinément altruiste, et toujours aussi désespérément belle. Tu dois être sorcière un peu, pour tourmenter l’âme éteinte d’un bourreau, une fois de plus. Mettons de côté la politique, veux-tu ? Passons une soirée hors du temps, comme nous seuls en avons le secret.

Cela aurait pu être si simple, quelques mots, tant d’enjeux. Mais il n’est plus le temps, elle n’est plus là, et aucun de ces mots n’auront été dits. Auront-ils seulement traversé sa conscience ? Impossible de le savoir, seulement qu’ils n’auront jamais été dits. Non, ils n’auront jamais été dits. Il recule d’un pas, de deux, puis comme une ombre disparait, évanouit dans les ténèbres de la nuit comme un spectre sans consistance.

Une infirmière se précipite à petit pas et s’engouffre dans le dispensaire pour prendre sa relève, inconsciente de profaner l’autel consacré du silence, là devant cette porte bêtement blanche, où la vie reprend son cours, indifférente, où deux amants perdus se sont tus.



TOPIC TERMINÉ


 


Little girl, little girl

You should close your eyes
That blue is getting me high
And making me low

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