The Welcoming Committee ☾ Vivi & Hélias

Par une nuit claire, Vivi s'était installée non loin des portes de la Cité pour patienter. Rien n'indiquait qu'une rafle aurait lieu ce jour précis si ce n'était son intuition. Juchée dans un arbre, elle n'avait pas attendu longtemps avant de voir passer un groupe comme elle en avait souvent vu. D'un pas volontairement lourd, elle se laissa tomber à terre, les alertant immédiatement de sa présence. Il ne leur en fallut pas plus pour l'arrêter.

La jeune femme n'avait connu aucun moment de répit depuis que, les mains en l'air en guise de capitulation, elle s'était laissée raflée. La nuit avait été particulièrement longue mais elle pénétrait enfin dans la Cité qu'elle avait tant évité. Suivant le petit groupe de raflé, elle soupira, priant pour avoir pris la bonne décision. Les risques étaient immenses, elle le savait, mais l'enjeu était d'autant plus grand.
Ils parvinrent jusqu'à un bâtiment, leurs nouveaux quartiers probablement. Le groupe fut scindé. Hommes, femmes et enfants furent séparés. Une série d'ordres lui fut lancée. Elle obtempéra sans mot dire. N'ouvrant la bouche que lorsqu'on lui demanda son nom. « Vivi. Vivi Aliko. » répondit-elle, une boule obstruant sa gorge. Elle inspira profondément, déglutissant avec peine alors que la personne lui faisant face lui intimait de poursuivre son chemin sans prêter davantage attention à sa personne.

Dans une pièce aux murs carrelés jusqu'au plafond, elle se déshabilla complètement, se retrouvant nue en compagnie des autres femmes. D'une main, elle cacha la cicatrice de sa brûlure, tenant ses bras croisés devant elle dans une certaine pudeur. La nudité ne l'avait jamais dérangée auparavant, elle se sentait davantage nu sans ses armes que sans ses vêtements, mais le lieu vide et froid l'intimidait.
Quelqu'un entra avec une chaise et lui fit signe de s'y asseoir. Peut-être qu'une part d'elle s'était voilée la face à ce sujet mais lorsqu'une main lui saisit sa longue natte, elle ne put que regretter son choix. Les mains sur son visage, elle ferma les yeux à se crever les orbites, priant sa mère de lui pardonner. Ses cheveux, sa vie, son bien le plus précieux après qu'elle ait perdu le carnet rédigé par sa mère. A voix basse, elle pria tandis que la lame raclait son crâne maintenant débarrassé du moindre de ses cheveux.

C'est une jeune femme fraichement lavée, les épaules voutées sous un vêtement trop grand et le regard creusé qui se présenta à son premier examen médical. La porte se ferma derrière elle la minute où elle mit le pied, seule cette fois, dans une pièce où perçait un peu la lumière du jour. Elle hésita en voyant une chaise avant de se mettre dans un petit coin de la pièce, observant les différents éléments qui la constituaient. Elle n'eut que peu de temps avant qu'un bruit de pas ne lui parvienne, une main s'attardant sur la poignée de la porte. Vivi se redressa, la tête haute, pour faire face à son prochain interlocuteur.

Helias ne savait pas trop quelle heure il était ni depuis combien de temps il était déjà au dispensaire. Il jeta un linge souillé dans une corbeille et récupéra le dossier suivant sans prendre la peine d'y jeter un œil.
Un arrivage de raffles, avec de futurs nouveaux enregistrés à accueillir : il y avait beaucoup à faire. Normalement, l'absence de temps morts n'était pas pour lui déplaire mais c'était le genre de journée, d'événements, qui ne pouvait que provoquer des sentiments ambigus chez lui. Et donc, avec eux, le lot de crispations qui lui étaient habituelles dès lors que les choses n'étaient pas simplement noires ou blanches. En effet, s'il est une chose que l'on peut dire d'Helias c'est qu'il n'aimait pas les dissonances. Ni plus ni moins que des troubles, elles étaient une perpétuelle source d'agacement. Et fidèle à lui-même, il ne tentait pas particulièrement de cacher son irritation générale.

Il pénétra dans la pièce d'un pas franc, la porte s'ouvrant en grand sans la moindre forme d'annonce préalable. Son regard balaya instinctivement l'espace pour se poser sur la figure placée dans le coin, qui le fixait avec de grands yeux noirs. Il y stagna un court instant avant que l'infirmier ne lâche un « Génial. » à moitié ronchonné avant d'expirer sa frustration et de faire aussitôt demi-tour.

La porte se referma ainsi sur lui.
Une minute, puis deux.
Trois.

Ce n'est pas que le sort de la jeune femme, laissée seule sans explications ou présentations, lui était indifférent mais il n'avait pas particulièrement pour habitude de justifier ses faits et gestes ou de les enrober dans un joli écrin pour qu'ils passent mieux. Il faisait simplement et directement ce qu'il avait à faire. En l'occurrence : récupérer désinfectant, tissus et compagnie. En profiter pour signifier à qui de droit qu'il était temps de faire bouillir le linge souillé avant qu'ils ne soient tous dans la merde, et s'arrêter deux petites secondes pour voler une demi douzaine de pions à son adversaire sur le plateau de dames qu'il partageait avec le docteur Ricart.

Quand il retourna dans la salle d'examen, il referma cette fois la porte derrière lui et s'approcha de la table pour y poser tout son bazar. Sans vraiment regarder la jeune femme -ses yeux plutôt occupés à suivre les gestes de ses propres mains- il ne put s'empêcher de commencer par un avertissement.

« Ce que je choisis d'écrire sur ton dossier décidera de si tu entres ou non dans la Cité. Sachant que ceux qui n'y entrent pas n'en ressortent pas pour autant. »

Malgré la dureté des mots prononcés, sa voix restait neutre, d'un ton qui aurait presque pu être agréable si le sens de ses paroles n'était pas si glaçant. Tous les nouveaux venus n'avaient pas droit à ce type de discours de sa part, loin de là. Mais il se trouve qu'on venait tout juste d'essayer de l'étrangler, n'en témoignent les griffures qui commençaient à gonfler sur son cou. Alors, s'il pouvait s'épargner de nouvelles idées du genre...
Tout en parlant, il préparait de quoi nettoyer puis désinfecter les vilaines plaies qu'il avait pu apercevoir sur le crâne fraîchement rasé de la jeune femme, d’une main visiblement habituée à l’exercice.

« Donc. » Il se tourna finalement pleinement vers elle, ses préparations en mains. « Viens t'asseoir. »

Un homme entra, la fixa une seconde, grommela quelque chose et reparti en fermant la porte. Elle eut tout juste le temps de l’observer avant qu’il ne fasse demi-tour, la laissant de nouveau seule dans la pièce. Grand, brun, le teint blafard et le regard fatigué, c’est ce qu’elle tira de sa première observation, rassurée d’avoir affaire à un humain plutôt qu’un vampire. La jeune femme ne put cependant s’empêcher d’essayer de se regarder, sans miroir, curieuse de savoir ce que lui avait valu cette réaction. Passant une main tremblante sur son crâne fraîchement rasé, elle ne bougea toutefois pas de sa place, allant jusqu’à tendre l’oreille pour tenter de percevoir son retour ou une quelconque arrivée.

Jusque là, le processus avait été plutôt millimétré. Une succession d’ordres. Aucune pause. Peu de temps laissé à la réflexion. Vivi se laissait faire, sans rien dire, obtempérant comme elle l’avait toujours fait quand elle était enregistrée. Alors se retrouver seule dans cette pièce pendant tout ce temps, - même si ce n’était peut-être qu’une minute ou deux, elle en avait perdu toute notion depuis la rafle - c’était presque un luxe.

Le bruit de pas se fit de nouveau entendre et la porte s’ouvrit encore une fois sur le même personnage. Mais cette fois-ci, la porte se referma derrière lui. Dès son entrée dans la pièce, elle ne le lâcha pas des yeux, observant le moindre de ses gestes. Elle acquiesça tandis qu’il lui donnait un avertissement, similaire à ceux qu’elle avait déjà reçus plus tôt, avant de réaliser qu’il ne pouvait pas la voir hocher la tête mais aucun son ne put sortir de sa bouche si ce n’était une légère quinte de toux qu’elle réprima de son mieux. Sa gorge était sèche. La boisson au goût et à la couleur douteuse qu'on lui avait fait boire en arrivant n’était pas parvenue à la désaltérer suffisamment et la douche glacée avait manqué de la rendre malade.

Son regard se porta sur elle, croisant brièvement le sien. C’est là qu’elle remarqua les traces dans son cou, ne pouvant détacher son regard de ces dernières. Elles étaient fraîches et elles étaient humaines, à n’en pas douter. Il profita de son attention pour lui demander de s’asseoir, ce qu’elle fit sans rien dire. Vivi s’adossa à la table avant de se hisser dessus, l’essuyant de son postérieur, ses pieds battant dans le vide.

Après une brève hésitation, elle se lança. « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » lui croassa-t-elle d’une voix cassée, levant sa main avant de la baisser, désignant finalement son propre cou. Son attention se reporta sur ses mains et les compresses qu’il tenait dans le but de la soigner, alors qu’il fixait manifestement sa tête. Son cœur se serra alors qu’elle reposait sa main sur la table pour se pencher en avant et lui offrir son crâne nu. Fermant fermement les yeux dans l’attente du contact. Elle inspira profondément, silencieusement, pressée que les soins se terminent. Si un contact par tissu interposé était plus facile à gérer qu’un contact direct, il n’en provoquait pas moins un sentiment de rejet. Elle lutta de tout son être pour ne pas se soustraire, se persuadant mentalement que c’était, pour une fois, pour son bien mais se sentit immensément soulagée lorsque ce fut terminé.

Vivi releva la tête, visiblement plus détendue.