Tout ne va pas si mal [PV Tiago]

Une nuit de travail comme une autre, quoique celle-ci fut relativement tranquille, presque paisible pourrait-on dire. Il n'y avait pas eu de grande réparation à faire, pas de grosse intervention nécessitant de commander la fabrication d'un élément complexe, rien que des petites vérifications et quelques menues réparations. La dernière demande qui parvint alors que le matin approchait avait été de changer quelques ampoules dans une auberge tenue par un immortel, un homme au sourire omniprésent qui avait accueilli Lyn en lui parlant chaleureusement comme s'ils étaient égaux. Il avait beaucoup bavassé, la suivant le long des couloirs jusqu'aux pièces où elle devait changer les ampoules, lui posant beaucoup de questions sur sa vie au sein de la cité, lui racontant qu'il venait de la "grande époque" juste avant que la guerre ne ravage ce monde. Aimable, le patron prénommé Erwin lui avait tiré plusieurs fois quelques rires en racontant des plaisanteries qui, si elles furent parfois un peu douteuses, n'en demeuraient pas moins drôles, à croire qu'il s'ennuyait un peu avec les "rabats-joie" qu'il croisait un peu trop souvent à son goût. Un drôle de phénomène que ce vampire-là, assurément. Malheureusement l'heure tournait et l'aube approchait, si bien qu'il avait finalement fait appeler un de ses Enregistrés pour venir prendre le relais.

- Tiago mon grand ! Tu voudras bien t'assurer que Miss Hawkins puisse finir d'accéder à toutes les pièces et lui donner sa paye ?

L'immortel avait tendu à l'humain de haute taille une bourse dont le bruit du contenu ne laissait aucun doute quant à ce qu'elle contenait.

- Je dirais à votre chef que vous avez été aussi professionnelle qu'aimable, ce fut un plaisir miss. Tiago, je te confie le reste, moi il faut que j'aille dormir. Bonne journée les enfants !

L'aubergiste s'était emparé de la main de l'humaine pour y déposer un baiser, ses yeux noirs se rivant aux siens par en-dessous avec un léger sourire charmeur au coin des lèvres puis, à la vitesse d'un courant d'air, il s'était éclipsé immédiatement, telle une pile électrique pressée de retrouver son chargeur, son agitation laissant place à un grand vide et à un silence surprenant, lui qui n'avait cessé de parler et s'agiter durant la demi-heure qui venait de s'écouler. La jeune femme se retrouva ainsi en compagnie d'un grand brun qui ne semblait pas être tout à fait à son aise et dont la haute taille l'obligea à lever la tête car, si le patron n'était pas bien grand pour un immortel, son Enregistré lui était d'un tout autre acabit.

- Hum... bonjour. Je suis Lyn Hawkins, électricienne de la cité.

Elle tendit la main avec un sourire chaleureux et avenant, ses grands yeux noisettes scrutant le dénommé Tiago avec bienveillance.

- Je dois encore changer plusieurs ampoules qui ne fonctionnent plus, je vais finir le tour avec vous du coup.

C'était un peu cavalier comme façon de passer le relai, mais bon, elle avait vu pire comme excentricité et elle ne se sentait nullement menacée dans cette auberge ni non plus en compagnie d'un autre Enregistré. Passant brièvement la main sur son cou, là où demeurait la cicatrice de l'année passée, quand ce vampire ennemi avait voulu lui arracher la gorge, elle sourit à Tiago et reprit sa marche dans le couloir, lisant le petit papier que Erwin lui avait donné et sur lequel figurait les numéros des chambres où il fallait encore changer des ampoules. Une chance qu'ils en aient eu suffisamment en stock au moment de sa demande, sans quoi il aurait fallu utiliser des bougies en attendant d'en ravoir... et tout le monde savait que des bougies dans une auberge accueillant des clients vampires était un risque trop grand.

- Vous travaillez ici depuis longtemps ? Votre Maître a l'air... gentil.

Demanda poliment Lyn afin de faire un peu la conversation, n'ayant pas trouvé de meilleur qualification pour décrire l'immortel qui venait de les laisser seuls. Elle ne se serait pas permise de dire qu'elle l'avait trouvé extrêmement bavard et agité, peut-être aussi un peu étrange et décalé, car après tout il lui avait gentiment parlé et c'était là tout ce qui lui importait. Tiago lui en revanche semblait très différent du patron des lieux, à croire que les immortels avaient une préférence pour leurs opposés.


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Une semaine seulement ? Voilà donc d'où lui venait cette impression du dénommé Tiago dont l'attitude montrait clairement qu'il n'était pas à son aise. Il fallait toujours du temps pour s'habituer à de nouvelles conditions de travail et à un nouveau maître, même si en ce qui la concernait Lyn n'avait jamais eu ce problème, ayant la chance d'être au service de Thebes depuis ses quinze ans et de n'avoir jamais été revendue à un autre.

- Et vous vous plaisez ici ?

Demanda-t-elle tout naturellement, profitant qu'ils soient seuls dans la chambre pour converser d'humain à humain tandis qu'elle allait à une lampe, vérifiant l'ampoule, cherchant à l'allumer et, voyant que cela ne fonctionnait pas, entreprit de la dévisser prudemment tout en continuant de discuter avec ce sympathique...

"Ce n'est qu'une façade. La gentillesse."

La main de l'électricienne cessa de bouger, suspendant son geste alors qu'elle tournait la tête vers le grand brun, l'air passablement étonnée à voir ses yeux noisettes s'ouvrir en grand.

"Les vampires ne sont pas nos alliés, pas nos amis. Tôt ou tard, ils nous trahiront."

Ah ben ça... La jeune femme cligna des paupières en entendant un tel discours, son esprit faisant rapidement le lien entre le fait que l'individu était là depuis une semaine et son aversion évidente pour les immortels. Il s'agissait probablement d'un...

"J'imagine que ça a déjà été le cas pour toi."

Soufflée, Lyn demeura muette durant deux bonnes secondes, les lèvres entrouvertes sous le coup de la stupeur, avant de prendre une inspiration et d'afficher un sourire doux et bienveillant.

- Ce n'est pas ce que vous croyez.

Elle reporta son regard sur l'ampoule qu'elle termina de dévisser, la posant sur le meuble avant de pivoter vers Tiago, réfléchissant rapidement à la meilleure façon de lui présenter la chose... non, les faits se suffisaient à eux-mêmes, pas besoin de les tourner autrement.

- La Cité a été attaquée l'an passée par des vampires qui voulaient tous nous asservir et nous tuer. C'est l'un d'eux qui m'a fait ça.

Elle désigna la cicatrice à son cou, son sourire glissant au coin de ses lèvres avec un mélange d'amusement et de fierté.

- Et je peux même te dire que je l'ai tué moi-même, mais à l'inverse, mon Maître lui ne m'a jamais frappé, il n'a jamais levé la main sur moi et n'a jamais été méchant, au contraire il m'a toujours protégée et pour ça je lui en serais à jamais reconnaissante.

L'électricienne sortit de sa sacoche une ampoule neuve, se tournant de nouveau vers la lampe pour commencer à visser l'élément de remplacement, sa voix se faisant aussi paisible que ses propos. Loin d'elle l'idée d'obliger le brun à adhérer dans l'instant à ce qu'elle lui expliquait, mais elle tenait à rétablir la vérité concernant les immortels.

- Tous ne sont pas des monstres assoiffés de sang et de violence, beaucoup veulent vivre en paix avec les humains. En échange de leur protection contre les Enragés, donner son sang une fois par mois n'est pas cher payé, vous ne croyez pas ?

Elle finit de visser l'ampoule et pressa l'interrupteur, la lumière jaillissant dans la pièce, faisant s'agrandir le sourire de Lyn qui l'éteignit pourtant rapidement afin de l'économiser, reportant son attention sur Tiago avec un air confiant.

- Suivante.

Dit-elle sur un ton enjoué, se dirigeant vers la porte avec le grand brun, nullement inquiétée de quoi que ce soit. Peut-être était-il un homme libre de la Bordure qui avait été raflé de force, soumis à l'autorité des vampires de la cité contre sa volonté. C'était une façon de procéder bien cruelle, la jeune femme le concédait, mais pour autant elle ne parvenait pas à ne pas comprendre la nécessité de faire venir à l'intérieur des murs de nouvelles personnes pour aider au fonctionnement de la cité, les pertes de l'année passée ayant été si terribles qu'une pénurie pourrait s'avérer catastrophique pour tout le monde, humains comme immortels. Mais d'un point de vue émotionnel, ça restait quelque chose de très dur à encaisser, même s'il fallait vivre avec.


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"Tu lui en es reconnaissante d'être une esclave ?"

Vu comme ça, évidemment, il y avait de quoi s'étonner, pour autant loin de se démonter, Lyn avait au contraire eut un bref sourire amusé.

- Non, je lui suis reconnaissante de me traiter normalement et non comme une esclave, justement.

"Car c'est ce que tu es. Ce que je suis, ainsi que les autres humains."

Elle avait légèrement soupiré, ne pouvant nier cet état de fait et ce qui se passait au sein de la Cité. Ils appartenaient tous à la Reine Lucrezia qui avait droit de vie et de mort sur eux, c'était dur, mais c'était la réalité et il ne servait à rien de se voiler la face.

"Non, ils nous traitent comme des esclaves, comme de la marchandise. Ton...maître est peut être gentil avec toi. Erwin est... Gentil aussi j'imagine."

La jeune femme avait haussé un sourcil, hésitant entre s'accorder le droit de sourire et le fait de se retenir face à la gravité dont faisait preuve Tiago. De toute évidence il souffrait de son statut d'Enregistré et, quand il évoqua des éléments douloureux de son passé, l'électricienne su qu'elle avait bien fait de ne pas prendre son comportement à la légère.

"Mais ils n'étaient pas là quand ma famille s'est faite tuée par des enragés, en revanche quand ils ont eu besoin de sang, ils savaient où nous trouver."

- Ils sauront toujours où nous trouver. Croire qu'on peut leur échapper, c'est comme croire que le soleil ne va jamais se coucher.

Elle termina son travail sur l'ampoule puis lâcha son "suivante !" avec une bonne humeur faite pour dédramatiser un peu la situation, en vain.

"On est rien pour eux, à part de la nourriture et de la main d’œuvre."

Cette fois Lyn se tu, son expression s'assombrissant alors qu'elle voyait parfaitement où ce genre de conversation menait. Elle avait déjà eu des accrochages avec des sauvages récemment arrachés à leur liberté et Tiago avait le mérite de ne pas l'avoir insultée ni craché dessus, ce qui était déjà bien plus que nombre de ceux qu'elle avait croisé. C'est ainsi qu'elle se dirigea avec lui vers la pièce suivante qui avait besoin qu'on change une ampoule, recommençant les mêmes gestes, attendant qu'ils soient de nouveau dans la pièce porte fermée pour reprendre leur conversation, histoire que des oreilles indiscrètes n'entendent rien.

- Il existe des maîtres violents et il en existe des bienveillants, tout comme il y a des humains bienveillants et d'autres mauvais. Je ne crois pas que ça soit leur nature qui font des vampires des êtres cruels, mais plutôt ce qu'ils ont vécus, ce qu'ils vivent encore, la façon dont on les perçoit, dont on les traite...

Ses yeux noisettes se perdirent dans le vide l'espace d'une seconde, ses mains suspendant leurs mouvements sur l'ampoule qu'elle dévissait, puis un léger sourire étira ses lèvres et elle se remit en action.

- J'ai vu mon maître pleurer parce qu'il avait du chagrin, je l'ai vu se mettre en colère parce qu'on avait voulu me faire du mal. Pas parce qu'il ne pensait qu'à lui ou au fait qu'il pourrait perdre une marchandise, mais parce qu'il tient sincèrement à moi. Il lui a fallu du temps pour m'accepter, parce que pour eux nous ne sommes que de passage. Imaginez un peu que vous puissiez vivre à jamais, vous imaginez ce que ça fait de perdre tous ceux que vous aimez ?

L'ampoule changée, la jeune femme se redressa, dardant sur Tiago un regard à la fois plein d'espoir et de chagrin.

- Vous aussi vous avez perdu des proches, vous savez la douleur de voir ses parents mourir devant ses yeux, alors imaginez... revivre ça une deuxième fois, puis une troisième, une quatrième... Imaginez aimer quelqu'un plus que votre vie, et le voir mourir... Voilà à quoi je pense quand je vois un vampire, voilà ce qu'il doit éprouver, et certains deviennent cruels ou froids, parce qu'ils croient qu'il ne leur reste que ça mais... moi je veux croire en eux, en leur humanité.

Elle porta sa main gauche à son poignet droit, là où un fin bracelet d'or brilla l'espace d'une seconde sous l'éclat de la lumière électrique, sa main le serrant avec force tandis qu'elle fixait le brun avec calme et conviction.

- Cela n'excuse pas la cruauté, la violence, et les vampires qui le sont méritent d'être punis, mais tous ne doivent pas être condamnés à cause des erreurs de certains, sinon autant condamner tous les humains pour les crimes qu'une poignée d'entre eux ont commis.

Et de cette logique, de cette certitude affirmée d'une voix douce et tranquille, il était évident que Lyn ne démordrait pas, mais pour autant elle n'irait pas à la confrontation avec Tiago, car il avait autant de raisons qu'un autre de détester les vampires, tout comme elle, c'était plutôt...

- Moi ce sont les enragés que je déteste, ce sont eux le véritable danger. Eux, et la peur de l'autre, de l'inconnu, de ce qui est différent. Être différent, c'est bien aussi, ça apporte du changement et un peu de couleur à la vie.


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"Je ne vois pas pourquoi je m'intéresserais à leur tristesse, ainsi qu'au reste alors qu'ils nous infligent les mêmes choses. Ils n'ont qu'a rester entre eux dans ce cas, entre immortels ça ne devrait pas poser de problème non ?"

Il y avait tant de colère et de souffrance dans son regard et dans sa voix, tant d'émotions fortes et douloureuses, et une si grande volonté de lutter, de faire face à l'adversité, de survivre envers et contre tout... Lyn le comprenait, quelque part, elle le comprenait même mieux que ce que Tiago pouvait croire, parce qu'elle savait qu'une épée demeurait au-dessus de sa tête, qu'à n'importe quel moment, d'un claquement de doigts, des ordres pouvaient être donnés et qu'elle serait emmenée, jetée au cachot ou dans un clapier, et ni son Maître, ni le Commandant et ni le Prince ne pourraient rien y faire. Pour autant il était une chose que le brun ne semblait pas comprendre, ou ne pas réaliser, quelque chose qui faisait pourtant toute la différence dans ce monde dans lequel ils évoluaient, eux, les simples mortels.

"Ils ont juste besoin de nous parce qu'ils ne veulent pas s'abaisser à faire toutes ces tâches là comme nettoyer et tout le reste. J'imagine que tu es là depuis longtemps non ?"

- Ils ont besoin de nous pour se rappeler ce que cela fait d'être humain.

Affirma la jeune femme avec un sourire bienveillant, hochant la tête à sa question.

- Je suis native de cette cité donc oui, je suis ici depuis longtemps et, non, je ne te donnerais pas mon âge.

Un sourire amusé éclaira son visage alors qu'elle tentait une fois encore de dédramatiser un peu le ton de leur conversation, cherchant par petites touches à insuffler un peu de joie de vivre à l'homme qui lui faisait face et qui ne semblait vivre qu'au travers de sa rancune et de sa hargne. N'avait-il donc aucun espoir ? N'avait-il pas des rêves et des aspirations ? La vie était rude au-dehors, impitoyable et sauvage, mais les hommes libres devaient bien rêver à quelque chose non ?

"Ils t'ont retourné le cerveau, t'ont fait croire toutes ces choses là. Mais à la fin de la journée on est toujours enfermés, sous leur joug."

Soupir de l'électricienne dont les épaules s'abaissèrent un peu face à cet aveuglement, fut-il partiellement réaliste. Comment lui expliquer ? Comment lui ôter ces œillères qui l'empêchaient d'avoir une vue d'ensemble de la situation ?

- Il est vrai que je ne peux quitter la cité sans y être autorisée, et c'est vrai aussi que je reste au service de la Reine qui peut faire ce qu'elle veut de moi et de ma vie. Elle pourrait me faire emprisonner, exécuter, torturer, mais à moins de lui donner une raison de le faire, de la défier ouvertement, de l'insulter, de trahir la cité, pourquoi le ferait-elle ? Comme tu dis, nous leur sommes plus utiles au sein de la cité et pour notre sang que juste pour leur bon plaisir.

Finissant de s'occuper de l'ampoule qui s'alluma sans difficulté, elle l'éteignit et rangea celle qui n'était plus utilisable dans son sac, suivant Tiago en direction de la porte en s'arrêtant dans ses paroles pour éviter que celles-ci ne résonnent dans le couloir.

"Tu as eu de la chance peut être...moi aussi d'ailleurs, un autre vampire voulait m'acheter."

Il s'était arrêté, la main sur la poignée, et Lyn s'arrêta aussi, à deux pas à peine derrière lui. Lorsque le brun se retourna, elle du lever les yeux pour le regarder en face de par leur différence de taille, chose à laquelle elle était heureusement habituée.

"Et ce n'était pas pour nettoyer une auberge ou faire la cuisine. Il en avait après autre chose, Erwin m'a...acheté..."

Elle fronça les sourcils, pressentant la suite des paroles de Tiago mais le laissant continuer.

"...pour m'éviter ce sort là. D'autres n'ont pas eu cette chance."

La gorge de Lyn se serra en songeant aux autres en question, et son regard noisette se voila de chagrin et de compassion en imaginant parfaitement, hélas, le sort qui attendait ceux qui avaient été achetés à la place du brun.

- Tous n'ont pas notre chance je sais...

Il ferma les yeux et laissa échapper un soupir à fendre l'âme, le cœur de la jeune femme se serrant à cette vision alors qu'elle se rappelait tous ceux et celles qu'elle avait si souvent réconfortés, tous ceux qui avaient pleurés, avaient été malmenés, blessés. Oui, les immortels pouvaient être aussi cruels que les humains et vice versa, c'était là l'envers du décor au sein de la cité, quelque chose qu'elle n'avait pas vu à New Riverlake et qu'elle avait même apprécié. La cicatrice à son cou se rappela à son souvenir en un chatouillement désagréable et elle déglutit, prenant une inspiration pour chasser cette humeur maussade qui s'insinuait dans son esprit.

"Si c'est la vie qui m'attends, alors je ne sais pas si elle mérite d'être vécue...Lyn."

L'homme ouvrit la porte et se décala pour la laisser passer la première, l'électricienne faisant un premier pas avant de s'arrêter, sentant monter un début de colère qui déversa immédiatement son énergie dans ses veines, ses muscles se crispant soudain. Sa main se leva pour saisir le battant de la porte qu'elle claqua devant eux, la refermant sur le couloir avant de pivoter vers l'ancien sauvage, levant le nez vers lui, l'air mécontente et chagrine à la fois, furieuse et pourtant compatissante dans le ton de sa voix qui résonna avec détermination.

- Comment peux-tu dire une chose pareille ?! Tu n'as pas le droit !

Ses poings fermés se posèrent sur ses hanches alors qu'elle se redressait, défiant de sa taille plus petite un Tiago qu'elle fixa d'un regard noisette brillant d'intensité, son menton relevé avec cet air inconscient et défiant qu'elle avait parfois eu à l'encontre de certains immortels, au risque d'endurer leur colère voir leur violence. Comment pouvait-il dire cela ? Comment osait-il ?!

- C'est comme ça que tu saisis ta chance de vivre ? En songeant à en finir ? Pense un peu à tous ceux qui sont morts avant nous, pense à ceux qui ont été achetés par des maîtres cruels qui les ont brisés ! Pense à ceux qu'on a obligé à se prostituer, à être fécondé dans les clapiers ! Pense à ceux qui sont morts quand la cité a été attaquée ! Tu ne crois pas qu'ils auraient préférés être à ta place ?! Pense à ceux qui ont été achetés à ta place ! Tu crois que c'est une façon de leur rendre hommage ? Tu ne crois pas qu'ils en auraient voulu, eux, de cette place ?!

Lyn fit un pas, toute proche de l'homme, le fixant avec ce mélange de colère et de chagrin alors que remontaient à la surface les souvenirs de ceux qui n'étaient plus, celui aussi, fugace, de ses parents sur l'échafaud.

- Nous sommes encore en vie Tiago, et c'est ça le plus important ! Peu importe ce qui peut arriver, on doit s'accrocher, on doit continuer d'avance, parce si on meurt rien ne changera, mais si on vit, on pourra peut-être faire la différence, même à notre niveau, on peut aider à faire de cette cité un meilleur endroit, convaincre les bonnes personnes, soutenir nos Maîtres pour qu'eux aussi, ils arrivent à convaincre les autres.

Le ton était redescendu, se faisant moins véhément sur les derniers mots, moins tendu alors qu'elle levait la main pour la poser sur l'avant-bras du brun, lui adressant un sourire doux et gentil qui vint étirer légèrement ses lèvres.

-Tu sais c'est facile d'être un martyr, mais c'est bien plus dur d'être un survivant. Vivre est un cadeau Tiago, il faut profiter de chaque instant et continuer d'aller de l'avant parce qu'un jour, nous aussi, nous pourrons aider quelqu'un et si on s'entraide tous, si on se soutient tous...

Elle haussa légèrement les épaules, sa main retombant alors qu'elle souriait un peu plus, le regard brillant.

- Le monde finira un jour par devenir meilleur.

C'était certainement là une pensée trop utopiste aux yeux d'un ancien sauvage, ou à tout le moins trop optimiste, mais c'était ainsi que Lyn avait toujours pensé et ce malgré sa conscience aiguë de sa condition d'esclave privilégiée. Elle avait failli mourir égorgée, dévorée, elle avait été violentée, menacée, insultée, mais elle n'avait jamais dévié de sa ligne de conduite, parce qu'aussi sûrement que l'ombre existait, la lumière, elle aussi, demeurait, et c'était à cela qu'elle se raccrochait et qu'elle luttait, et lutterait toujours, envers et contre tout. Elle espérait seulement, à cet instant, que Tiago ne cherche jamais à en finir avec la vie et qu'il parviendrait à comprendre l'importance de changer le système de l'intérieur, plutôt que de lutter aveuglément contre lui sans espoir de vaincre.

- Et puis il y a une chose que tu ne dois pas oublier : tu n'es pas seul. Nous sommes nombreux, et il y aura toujours quelqu'un pour te comprendre. La preuve, moi je suis là.

Léger sourire de l'électricienne qui observait à présent le brun avec une bienveillance toute amicale, sincère dans ses mots autant qu'elle l'avait été dans son indignation à l'idée qu'il puisse baisser les bras. Ensemble, était toujours plus facile que seul.


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C'était vrai, elle n'avait connu que ça, elle n'avait jamais connu que ça jusqu'à l'attaque sur la cité, jusqu'à-ce qu'elle manque de mourir, jusqu'à-ce qu'elle décide de partir presque une année entière pour échapper aux pensées et aux cauchemars qui hantaient son esprit. New Riverlake avait été une terre d'accueil, là-bas les humains vivaient différemment de New Abbotsford, là-bas mortels et vampires pouvaient vivre côte à côte avec plus d'équité qu'ici... alors pourquoi était-elle revenue ? « Vous n’avez rien à faire ici. » C'était ce que son Maître lui avait dit lorsqu'il était en proie au chagrin, au désespoir et à la colère, mais une part de Lyn s'était alors posé la question : pourquoi était-elle revenue ? La réponse n'avait été qu'une évidence d'une simplicité troublante : parce qu'elle l'avait voulu. L'électricienne n'avait rien contre donner son sang chaque mois, elle ne souffrait pas d'une quelconque maltraitance grâce à Thebes et, même si elle demeurait la propriété de la Reine et que le malheur pouvait s'abattre sur elle à chaque instant, elle considérait que sa vie était ici, avec les gens qu'elle aimait, avec ceux à qui elle tenait plus qu'à sa propre sécurité, probablement même plus qu'à sa propre vie. Tiago le comprit, quelque part, lui rappelant alors que tous ne voulaient pas vivre ainsi, soulignant ce que la jeune femme savait déjà, une part de lui espérant sans doute après un avenir différent... jusqu'à-ce qu'il évoque le fait qu'une telle vie ne méritait peut-être pas d'être vécue. La douceur et la bienveillance laissèrent soudain la place à l'indignation et à la colère, telle une tempête portée par un vent violent qui assombrit soudain le ciel, transformant le jour en nuit, faisant tonner un orage furieux qui déversa une pluie battante et glaciale destinée à refroidir les ardeurs autodestructrices du grand brun qui faisait face à Lyn. L'inquiétude finit par dissiper ce bref éclat de colère, la tempête s'apaisant aussi vite qu'elle s'était levée, alors que les yeux de l'ancien sauvage s'embuaient après avoir encaissé une si implacable vérité que celle de ne pas avoir le droit d'abandonner la lutte, de continuer à se battre, fut-ce de l'intérieur même du système. La main qui fut posée sur le bras était douce, les yeux noisettes levés vers le visage à l'air vulnérable se faisant bienveillants alors que l'Enregistrée de Thebes sentait son cœur se serrer en entendant les paroles lâchées du bout des lèvres par l'homme qui lui faisait face.

- Ce n'est pas trahir que d'attendre le bon moment pour agir.

Une chance qu'ils soient seuls dans cette chambre, à une heure où les immortels dormaient déjà tandis que le soleil s'était levé quelques instants plus tôt au-dehors, sans quoi de telles paroles auraient pu être interprétés bien différemment une fois sorties de leur contexte. On aurait pu croire qu'ils conspiraient contre le système en place, et il n'y avait qu'un seul sort qui attendait ceux qui osaient faire une telle chose. La larme qui roula sur la joue de Tiago fut un autre déchirement pour le cœur encore trop tendre de la jeune femme qui, pourtant, sentit son sourire revenir en entendant le mot de remerciement du brun.

"On...on devrait continuer."

- Oui.

Un simple mot, énoncé d'une voix au ton chaud et réconfortant, tout comme le regard que l’Électricienne porta sur l'Enregistré d'Erwin avant qu'elle n'aille ouvrir la porte, sortant de la chambre pour emprunter le couloir d'un pas tranquille, soupirant un peu pour évacuer toute cette tension accumulée juste avant.

"Je crois que... j'ai besoin de temps. Je n'ai jamais vécu dans la Cité, je n'ai jamais connu... tout ça. Je peux pas juste oublier d'où je viens. Qui je suis."

Elle cligna des paupières et leva la tête vers Tiago qui marchait à côté d'elle, le fixant avec une certaine gravité tandis qu'il l'emmenait à la dernière pièce contenant une ampoule défectueuse.

- Et il ne faut pas le faire, jamais. C'est en sachant qui l'on est et d'où l'on vient que l'on sait qui l'on veut devenir et où on veut aller. Ce n'est pas de moi, mais je trouve ça très vrai... J'ai eu du mal à savoir qui j'étais vraiment et ce que je voulais, en-dehors d'aimer l'électricité et de vouloir que tout le monde soit heureux.

Lyn rit légèrement, se rappelant combien elle avait jadis fait tourner en bourrique sa mère qui n'avait cessé de se demander où irait donc sa fille à force de penser comme elle le faisait et d'avoir des rêves plein la tête. Le souvenir de celle qui n'était plus fit passer un bref air triste et serein à la fois dans son regard, avant que son sourire ne s'étire un peu plus.

- Tu es né libre, Tiago, et tu ne dois jamais l'oublier. Tu as vécu des choses que la plupart des gens comme moi ne connaîtrons jamais, ça t'a permis de devenir quelqu'un de fort, un survivant, et ça ce n'est pas rien. Tu réussiras à t'adapter à cette vie j'en suis sûre, tu trouveras un moyen de faire ton chemin, de trouver ta voie...

Elle hocha la tête, l'air convaincue par ce qu'elle disait, son visage s'éclairant davantage encore alors que son sourire se faisant plus grand et un rien amusé.

- Qui sait si tu ne feras pas de grandes choses un jour ? Nul ne peut connaître son destin avant que celui-ci n'arrive, mais ce qui est sûr c'est qu'il faut tout faire pour s'accrocher à ses rêves et ne jamais perdre espoir.

Lyn s'arrêta et leva un index à hauteur de regard comme pour signaler quelque chose, tel un point d'exclamation destiné à attirer l'attention de Tiago.

- Si on croit en quelque chose suffisamment fort et qu'on ne cesse jamais d'avancer, alors ça finira par arriver.

Telle était sa philosophie de vie, telle était la façon dont la jeune femme avait décidé de vivre la sienne, aussi courte et éphémère puisse-t-elle être comparée à celles des immortels, et ce fut avec un sourire satisfait et heureux qu'elle se détourna du brun, lui adressant un clin d’œil complice destiné à l'encourager avant de reprendre sa marche en direction de l'escalier qui allait les mener à l'étage où se trouvait la dernière ampoule hors service. L'espoir, à jamais, devait briller, telle était la leçon de Lyn.


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"Comment as-tu su ?"

Ah, l'éternelle question qu'on lui avait toujours posé dès lors qu'elle avait pu affirmer qu'elle voulait faire une chose et pas une autre. Lyn aurait aimé répondre à Tiago qu'il le saurait le moment venu, qu'alors tout lui paraîtrait aussi clair et limpide que si aucune autre solution ne lui avait jamais semblé être la bonne mais... Elle savait aussi que chacun était différent, que là où certains comme elle avançaient droit devant sans se retourner, d'autres avaient besoin de peser le pour et le contre avant de se décider, aussi ne voulait-elle pas angoisser l'homme avec une idée qui le perturberait là où cela serait censé être plus simple. La jeune femme se contenta de hausser les épaules et de lui adresser un sourire, bifurquant sur un autre sujet de conversation, l'écoutant lui dire que c'était compliqué de devoir s'adapter et... Ce quelle aurait fait, si elle était née dans la Bordure ?

- Je ne sais pas, ma vie aurait sans doute été très différente, mais comme ce n'est pas arrivé, je n'ai pas besoin de me poser la question, j'ai juste à continuer d'avancer.

Répondit avec sincérité l'électricienne, le sourire au coin des lèvres, ravie de le voir enfin esquisser l'ombre d'un sourire à certains moments, percevant cette légère inclination de son humeur qui tendait enfin vers un peu plus de positif même si on était encore loin du compte. Lorsqu'elle lui énonça sa vision des choses, la façon dont elle percevait l'existence et le fait de devoir vivre pour que l'on puisse avoir une chance de changer les choses, elle vit clairement qu'elle avait enfin fait mouche et en fut intérieurement satisfaite, montant à l'étage jusqu'à gagner la porte de la dernière chambre que Tiago lui ouvrit, la laissant passer non sans lui parler avec ses mots à lui, un peu maladroitement peut-être, mais avec une sincérité qui réchauffait le cœur.

"Je dois avouer Lyn, que tu es très surprenante pour une humaine ayant vécu et grandit ici, esclave des vampires."

- Drôle de compliment venant d'un sauvage de la Bordure, mais je le prend quand même avec fierté.

Elle rit un peu, passant à côté de lui en lui adressant un clin d’œil avant d'aller droit à la lampe qui était posée sur un meuble, réitérant les mêmes gestes que les fois précédentes, la force de l'habitude se percevant très nettement. Il y avait beaucoup de choses qu'elle aurait aimé pouvoir dire à Tiago, des choses communes que tout le monde savait, des choses plus personnelles aussi même si elle lui avait déjà donné beaucoup d'exemples du genre pour soutenir ses propos, mais au final elle savait surtout qu'il faudrait du temps à l'homme pour s'habituer à sa nouvelle condition, pour parvenir à trouver un équilibre entre sa soif de liberté et la nécessité de plier pour pouvoir vivre et survivre au sein de la cité.

- C'est la dernière ampoule.

Précisa-t-elle doucement en remplaçant celle qui ne fonctionnait plus par la nouvelle, la vissant avec précautions avant de l'allumer, un sourire satisfait étirant ses lèvres alors que la lumière jaillissait. Elle s'empressa de l'éteindre pour l'économiser, rangeant la défectueuse dans son sac avant de se tourner vers Tiago sans se départir de son sourire.

- Et voilà, mission accomplie !

Elle hésita brièvement, puis vint poser sa main sur l'avant-bras du brun, l'observant avec un regard attentif.

- Je suis contente de te connaître Tiago, je suis sûre que tu parviendras à te faire ta place et à tracer ton chemin.

Lyn ôta sa main et sortit de la chambre, s'arrêtant dans le couloir en jetant un regard à la ronde, percevant le calme qu'un début de journée pouvait générer dans un établissement où se reposaient des immortels. Parfois, l'envie lui prenait de faire comme eux pour pouvoir suivre plus facilement le rythme de son travail, mais bon, les humains n'étaient pas fait pour vivre la nuit alors mieux valait éviter si elle voulait rester en bonne santé.

- Si jamais tu passes par la Tour, peut-être qu'on se croisera. Ou même au marché, j'y fais souvent mes courses quand la nuit vient de tomber, c'est là qu'il y a le plus de choix. Tu te rendras vite compte que tout est plus vivant la nuit, c'est là qu'on est tous le plus actifs.

Sans doute parce que c'était à ce moment-là que les Maîtres et Maîtresses de chacun s'éveillaient et qu'ils avaient besoin que leurs Enregistrés accomplissent certaines tâches, même si en journée aussi les humains s'activaient pour pouvoir tout préparer avant le réveil des vampires.


@Tiago Alvarez