In the middle of chaos | Circée

C’est officiel. Lucius a réussi. Je suis l’exclusive d’un immortel qui désire rester dans l’ombre. Qui paie une fortune pour qu'aucun autre ne puisse partager mon lit ou mon sang. Cette nouvelle place est à la fois très agréable et perturbante pour moi. Certains de mes plus réguliers clients n’ont pas accepté cela et sont allés voir un autre Péché dès que l’annonce a été faite. J’avoue que cette attitude m’a profondément déplu. Même si dans le fond, c’était parfaitement prévisible. S’ils ne pouvaient plus trouver plaisir avec mes faveurs, ils n’allaient tout simplement pas arrêter de venir. Et puisqu’ils ont choisi les membres de l’Elite de l’Oasis, j’en suis satisfaite. Je n’aurais sans doute pas apprécié qu’ils se tournent vers des prostitués de bas étage après moi.

Je me produis cependant toujours sur scène, comme certains autres danseurs exclusifs. Je n’ai pas changé ma façon de me mouvoir entre les clients, je leur apporte toujours autant d’attention, d’envie. Peut-être même un peu plus en sachant qu’ils ne pourront pas m’avoir. Ce jeu est dangereux, la limite est très délicate mais j’apprécie avancer sur ce fil. Que dirait Lucius s’il me voyait ainsi lécher le lobe d’un client ? Enragerait-il ? Cette idée, loin de me faire peur, accentue mon jeu, accentue mes attentions particulières sur ces immortels.

C’est avec ces pensées que je traverse les rues de la Cité, en cette nuit nuageuse. Je regrette presque de ne pas avoir une cape rouge sur les épaules. S’il paye pour mon sang, comme n’importe quel client de l’Oasis, ça n’a rien d’officiel aux yeux de la loi. Je n’ai pas ma place de Calice auprès de lui. Mon pas se fait instantanément plus brusque à cette pensée. Pourquoi est-ce que ça me dérange autant ? Parce que j’ai toujours pensé pouvoir obtenir l’une de ces magnifiques capes, celles qui montrent à tous que l’humain est chasse gardée. Et si je le suis entre les murs de l’Oasis, qu’en est-il réellement de l’extérieur ? Personne ne le sait. Je replace la plume en métal dans mes cheveux. J’ai pris la fâcheuse manie de jouer avec depuis qu’il me l’a offerte, notamment quand je commence à être agacée. Je soupire et refait rapidement mon chignon, qui n’a rien de sophistiqué.

Une fois de plus, je me rends auprès de lui, au Sanctuaire. Je fais le chemin pour venir le retrouver. J’aimerais qu’une nuit, il en fasse de même. Qu’il prenne sur lui pour se rendre à l’Oasis et venir me retrouver à son tour. Je soupire en éloignant ces pensées de mon esprit. Chaque chose en leur temps j’imagine.

Mais alors que j’arrive dans son antre, je ne le sens pas dans les parages. Je n’ai pas besoin de le chercher du regard pour savoir qu’il n’est pas là. Plus nous passons de temps ensemble et plus je parviens à discerner son aura parmi celles d’autres immortels. Je me rends également compte qu’il m’arrive parfois de la chercher. Comme pour confirmer ce que je pressens, l’individu qui aide très souvent Lucius vient me voir pour m’indiquer qu’il n’est pas là.

« Il est sorti. »

Il ne le dit pas à voix haute mais son regard m’ordonne presque de quitter les lieux. Il ne m’aime pas, probablement parce que je n’ai rien à faire ici, une fois de plus. Je ne cherche pas l’aide du conseiller. Mais je ne partirais pas. Je suis venu le voir.

Alors je tourne les talons pour aller m’asseoir dans un coin du Sanctuaire. Je prends sur moi pour observer tous ces gens et pour essayer de ne pas les vomir. Je tente de comprendre comment Lucius fait pour les côtoyer à longueur de temps, tous ces êtres pitoyables. Puis, mon regard est attiré par une jeune femme. Elle détonne dans le lieu. Elle semble savoir où aller, elle semble y naviguer comme si elle se trouvait en terrain conquis. Elle est jolie. Je n’aime pas ça. Qui est-elle ? Elle sort une clé pour passer une porte que je n’ai jamais franchie. Cette fois, je fronce les sourcils et sens cette douce colère m’envahir. Qui est-elle pour posséder un passe-droit que je n’ai pas ? Cette partie du Sanctuaire est privé, je l’ai compris depuis ma deuxième visite. Alors pourquoi y a-t-elle accès ? C’est une humaine, j’en suis sûre. Alors pourquoi ?

J’observe les environs pour trouver le meilleur moment où bouger. Quand tout le monde semble occupé, je me lève discrètement. Si nous apprenons à attirer l'œil en tant que Sept, il nous arrive aussi de savoir se montrer particulièrement discret. Je longe les murs telle une ombre que je n’aime pas être. Je préfère que l’on me voit. Mais j’avance sans m’arrêter jusqu’à la porte. Je pose la main sur la poignée et constate qu’elle n’est pas fermée. Une chance ? Je ne sais pas. Mais je ne me pose pas plus de question et j’entre.

Je ne prends pas la peine de détailler les lieux, tous mes sens sont rivés sur les sons environnants. Je suis en terrain inconnu, dangereux alors j’agis avec la plus grande prudence, prête à réagir au moindre problème.

Du bruit fini par me parvenir, des casseroles ? Je fronce les sourcils sans comprendre et continue mon avancée silencieuse jusqu’à arriver dans ce qui doit être les cuisines. Et je la vois elle, de dos. Elle s’affaire. A quoi ? Pourquoi ici ? J’entre dans la pièce avec la plus grande discrétion, essayant de discerner s’il y a une autre sortie, quelque part, puis je referme la porte derrière moi. Je la claque pour être précise. Pour attirer son attention. Pour qu’elle se retourne. Je ne devrais pas agir ainsi, ni en terrain inconnu ni face à une inconnue. Mais quelque chose a craqué dans un coin de mon esprit. Il n’est tout simplement pas question que je n’obtienne pas de réponse sur ce qui se passe ici. J’ôte la capuche de ma cape pour me dévoiler à elle, impérieuse, alors que nous savons toutes deux que je n’ai rien à faire ici. Et elle ?

« Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu fou ici ? » Ma voix claque, ordonne une réponse.

Et si elle ne veut pas m’en fournir ? Sans vraiment le décider, je m’avance déjà d’un pas dans la cuisine. Et si elle prend un couteau pour se défendre ? Ma main droite est déjà prête à se saisir de la plume en métal qui se trouve dans mes cheveux.

« Pourquoi une humaine se retrouve dans les parties privées du Sanctuaire ? »

Pourquoi une putain d’humaine a accès à ce que je n’ai jamais vu ?