And the fallen crow soars down (Aloysius)

Février 2390 | Sous l'Auberge du Miel Bleu

Il existait une sorte d’excitation latente chez la calme domestique depuis que les contours de sa mission avaient été précisées. Elle avait l’agréable sensation d’être un rouage essentiel d’un mécanisme dont elle ne tenait pas tous les tenants et aboutissants. Chacun d’entre eux possédait une mission précise qui, prise en elle-même, paraissait sans grand danger et sans grande suspicion mais qui, elle en était persuadé, entrait dans le plan secrètement mise en oeuvre par les Mères. Seules ces dernières et leur dieu tout puissant disposaient de la cartographie complète du chef d’oeuvre qui les conduirait à la victoire. Et elle attendait cette dernière avec toujours plus d’impatience tant le contact prolongé des immortels la salissait et s’infiltrait en elle au point de lui faire régulièrement rendre sa bien maigre pitance. Elle n’avait sans doute pas tellement à se plaindre : elle disposait du toit, des toilettes et d’une nourriture facile à obtenir de par son statut de Nouvelle Enregistrée. On lui dispensait même une éducation qu’elle n’avait pas connu dans la Bordure. Et par son statut de bien de la Cité, elle ne craignait pas un Maître cruel qui porterait atteinte à sa vertu. Il demeurait que la haine qu’elle ressentait au fond d’elle causait moultes vagues et sursauts dès qu’elle était en présence de ces monstres sanguinaires.

Les sourcils froncés, elle jeta un coup d’oeil par dessus son épaule quand elle entendit un bruit derrière elle. Sa première existence et les leçons apprises auprès de Skaen lui avaient permis de développer une ouïe fine s’exerçant au delà des battements de son propre coeur. Les ombres projetées par sa torche confirmèrent son sentiment alors que des petits couinements s’élevaient jusqu’à ses oreilles. De simples rats qui batifolaient dans un environnement sombre et répugnant que seuls les souterrains de la Cité pouvaient offrir. Entre égoûts et secrets, la blondinette continuait d’évoluer, cherchant ce qu’on avait exigé d’elle. Un endroit suffisamment grand pour accueillir de 30 à 50 personnes. Un endroit suffisamment sec pour que des provisions ne soient pas gâchées par l’atmosphère putride des lieux qui pouvait s’insinuer dans le moindre interstice. Un endroit suffisamment abandonné pour que personne ne puisse tomber fortuitement sur ce dernier sans le chercher précisément. Un endroit placé sous l’auberge du miel bleu.  

Selon ses calculs et son sens de l’orientation issus de ses parties de chasse, si elle prenait à droite à la prochaine bifurcation, elle pourrait trouver pareil endroit. Alors qu’elle errait dans les couloirs sombres, elle remarqua un renfoncement particulièrement ténébreux qui l’attira, la contraignant à traverser le ruisseau malodorant. Ne suivant que son instinct, elle suivi un couloir creusé à même la roche qui aboutissait une large pièce. Un léger sourire se dessina sur ses traits alors que les toiles d’araignées et l’absence de poussière témoignant d’un passage régulier lui confirma qu’elle avait peut-être trouvé ce qu’elle cherchait. Des bruits de pas résonnèrent cependant derrière elle, la contraignant à se dissimuler dans un coin de la pièce et à dissimuler sa flamme. Elle demeurait son seul rempart contre les dangers que les lieux pouvaient dissimuler et l’espace d’un instant elle craignait d’entendre les rugissements d’Enragés dont on lui avait conté les horreurs.

Février 2390 | Sous l'Auberge du Miel Bleu

Elle avait cessé de respirer. Elle ne le réalisa pas tout de suite mais lorsqu’elle reprit son souffle en voyant le faciès de l’inconnu dont elle avait entendu les pas résonner dans les couloirs vides. Même si l’aspect répugnant de son apparence et l’odeur déplaisante qui émanait de ce dernier, elle fut soulagée l’espace de quelques instants en constatant qu’il n’était qu’un humain et non pas l’une de ces créatures démoniaques dont elle avait juré la perte. On lui avait également conté les horreurs anatomiques qui se baladaient également entre les lieux, témoins aveugles d’expériences ratées par quelque savant fou. Il n’en semblait pas davantage. Ses yeux la voyaient. Sa bouche s’exprimait. Il se tenait debout sur deux jambes et tenait à son tour une flamme protectrice des abysses. La blondinette demeura cependant sur ses gardes. Il n’avait pas l’air d’un monstre mais elle avait appris aux dépends de certains de ses frères et soeurs que les autres mortels n’étaient pas davantage dignes de confiance.

“Et pourtant, vous vous y attardez.” fit-elle remarquer, en haussant un sourcil ne parvenant pas davantage à déterminer la raison de sa présence en ces lieux comme il semblait ignorer l’origine de sa venue. Se pouvait-il qu’il s’agisse de l’un de ses Frères ? Nombreux au cours des décennies précédentes avaient été les sacrifiés à la Cité. Le plan des Mères avaient débuté bien avant sa naissance et au vu du visage émacié et âgé qui lui faisait face en comparaison de son apparence encore juvénile, il était possible qu’il ait été désigné pour oeuvrer avec elle sans qu’on ait jugé utile de l’en informer. Ce ne serait pas la première, ni la dernière fois tant ils représentaient tous un simple rouage d’une machine bien plus imposante et importante qui n’avait d’autre but que d'annihiler les démons qui couvraient la terre de leur présence impie.

Méfiante, elle l’accueillit d’une prière qui lui permettait de savoir s’il s’agissait d’un des leurs ou non. “Et lorsque sur le monde tombe la nuit aux yeux d'étoiles…” Elle se mordilla la lèvre inférieure en attendant sa réponse, récitant intérieurement la suite de cette dernière : tu perçois tout en bas les racines et les confins de l'univers puisque tu es début et puisque tu es fin de toutes choses.