Retrouvailles de courtoisie [Erwin King]

Et puisque tout le monde adorait le vert en ce moment, par une convergence évolutive que le Conseiller ne pouvait pas s'expliquer, uniquement constater, soit : il avait testé l'acquisition d'un costume vert sombre assorti d'une cravate noire aux reflets mordorés... il ne se sentait pas à l'aise du tout là-dedans, mais c'était une sorte de courtoisie qu'il faisait aux nouveaux visages qui partageaient sa non-vie et au nouveau Tommen qui émergeait de ses cendres mentales, et si le vert devait être sa couleur, eh bien, il n'y avait pas à lutter contre les décisions du destin.

Il était arrivé devant l'auberge avec l'impression de rabâcher les mêmes pages de sa vie encore et encore, et une sorte d'espoir de faire mieux au bout de la troisième tentative, une habitude qui s'installait, comme à la danse. Il ne ressentait pas de crispation particulière cette fois en se présentant à l'entrée pour demander si le patron de l'auberge était présent, en donnant son nom et en faisant savoir qu'il avait juste un petit conseil à lui demander, encore une fois. Il pouvait repasser ultérieurement, bien sûr.

En patientant, il prit place contre l'une des poutrelles de bois et observa l'ambiance environnante, tâchant de s'en inspirer. Voyons, il sentait bien que quelque chose fonctionnait dans cet agencement, mais quoi ? Cela ne tenait pas à l'architecture du lieu, pas uniquement. Il y avait quelque chose... Ah, ça lui échapperait probablement toujours. C'est pour ça qu'Erwin était là. Il avait de ces intuitions, de ces talents, et il pourrait le conseiller. Comme promis, Tommen était à la recherche d'un nouveau logement.

Il était hostile à d'inutiles dépenses tant qu'il habitait seul, mais apparemment il n'allait plus avoir le choix.

Tout à coup, il sentit sa résolution tomber au fond de ses chaussettes. C'était peut-être la perception de la présence d'Erwin dans les environs immédiats, avant même de le repérer dans l'espace. Une sorte d'anxiété qui prenait le dessus sur ses bonnes résolutions. Car il allait devoir parler, et en parlant, le sujet allait tomber sur la présence d'un enregistré à son domicile, les conflits qu'il avait eus avec lui, à répétition, et les accords passés qui aboutissaient à cette recherche d'un logement plus appropriés. Et il ne savait pas ce qu'il allait dire, au juste.

Il lui fallait une nouvelle demeure et il avait besoin de conseils pour la choisir et l'aménager. Est-ce qu'on ne pouvait pas en rester là ? Neutre, efficace, désincarné. Des chiffres bien rangés et des lignes droites. Non, bien sûr, ça n'allait sans doute pas être possible. Il s'était bercé de cette illusion le plus longtemps possible, mais il ressentait l'afflux d'énergie empathique qui accompagnait l'aubergiste et... non, ça n'allait pas être possible du tout.

Il se prépara à l'impact en regardant le bout de ses souliers, faisant mine de ne remarquer rien ni personne et d'être perdu dans ses pensées. Il avait toutes les raisons de l'être, après tout, et ce n'était pas totalement hypocrite. Et s'il avait voulu ramener la conversation à des sujets plus sombres, plus sérieux et moins embarrassants, il aurait eu de quoi bavarder politique, le politique ayant évolué récemment dans la direction du militaire, de façon assez vertigineuse. Mais pas ici, bien sûr.

"Avant toute chose," commença-t-il en rassemblant l'assurance dont il était capable, arborant la bouteille qu'il avait apportée comme un gage de sa bonne volonté, "je suis venu m'excuser de ces enfantillages dont je vous ai importuné lors de notre dernière rencontre. Il n'en sera pas question cette fois, n'ayez crainte."
On pouvait toujours espérer.