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Les yeux noirs (Ft. Hwang Ji Ok)



17.09.22 22:26

Invité
Anonymous
Invité
Dans tes grands yeux noirs,
Je me suis perdu,
Jetant un regard,
Le coeur suspendu,
Je t'aime tellement fort,
Toi qui me fait peur,
Est-ce un mauvais sort ?
Ou la mauvaise heure ?


Il n'aimait pas particulièrement la difficulté. Non, en fait, il préférait naturellement quand tout allait dans son sens.

Ce client n'allait jamais dans aucun sens. Il était simplement là. Son visage taillé dans le marbre ne s'animait que trop rarement, et son regard ne semblait plus luire des intensités qu'il pouvait encore voir sur les jeunes vampires. Ou les plus vicieux. Comme, tenez, Dorian, prince ravageur de l'Oasis Pleasure.

Comme une bouée en pleine mer, il se faisait parfois attraper par la houle d'un prostitué téméraire, ou un client luxuriant. Et revenait, à chaque fois intact, retrouver son siège favori. Commander le même verre. Regarder le ballet incessant qui se déroulait entre les murs feutrés et enfumés de la maison close.

Le Métronome. Lysander l'appelait ainsi, dans son esprit. Le Métronome était toujours élégant, le Métronome était beau, et son regard semblait transpercer plus qu'il ne regardait. Régularité oblige, lui se tordait en cinq, en dix, depuis des mois, à son service. Les verres étaient préparés en avance, la place gardée avec férocité, les mots à peine murmurés, bas et légers.

Avait-il seulement remarqué le moindre de ses efforts ? Ou bien pensait il que l'animal de compagnie était un peu mieux dressé que les autres ? L'avait-il vu ?

C'était agaçant. C'était un bouton qu'il ne pouvait pas gratter, une gêne dans l'oeil. Même maintenant. Alors qu'il étirait son corps à la discrétion des secondes parties de revues, celles déjà noyées par la luxure et les substances, et qu'on le regardait. Certes. Certes. Tout avait sa progression, et lui ne pouvait pas encore tout offrir aux planches et aux lumières de l'Oasis, de crainte qu'on lève peut-être un sourcil suspicieux à ce soudain retournement de situation.

Entre lever des verres et lever des cuisses, il y avait un petit gouffre qu'il fallait combler sans trop de hâte. Pour l'heure, il tournait sagement sur lui-même. Ses doigts étaient couverts de bagues brillantes, ses cheveux tressés de fils d'or, et son regard de sphynx souligné de khôl tout aussi éclatant. Les épaules suivaient les torsions des hanches, et seul un cliquetis discret trahissait sa présence.

Certains regards se perdaient sur sa peau, il le sentait. Sans doute le long de ses jambes enfermées dans le laçage fin qui remontait de ses sandales. Ou peut-être à mi-cuisse, où un coton fin s'érigeait en seule barrière entre ces yeux gourmands et sa dignité. Ou, alors, sur son ventre à demi découvert, orné de fines arabesques qu'il avait passé tant de temps à appliquer de la pointe d'un pinceau de piètre qualité. Peu, il le savait, venaient détailler les traits de son visage. Après tout, lui n'observait pas le regard du poulet dont il avait envie de briser le cou.

Quant à Métronome... Il métronomait. Soupir. Il n'était plus tenu de danser à cette heure-ci, et cela faisait bien dix minutes supplémentaires qu'il offrait à la direction.

Echec.

Et autour de nous,
Chantent les tziganes,
Tout le monde s'en fout,
S'envire au champagne,
Dans tes beaux noirs,
Je sombre mon amour,
Et mon désespoir,
A leur chant est sourd.


Cuisant, agaçant, sa langue claqua brusquement dans sa bouche quand il sauta de son podium. Le homard s'échappait de l'aquarium, et un léger grognement sur sa droite lui rappela qu'on appréciait moyennement les prises d'initiatives. Après tout, la musique roucoulait toujours. Il n'avait pas eu la politesse de terminer ses torsions, aussi gratuites eussent elles été.

Il balaya le mécontentement temporaire des quelques clients qui rêvaient sans doute de le saigner, s'avançant jusqu'à la table qu'il nettoyait méticuleusement chaque soir. Il avait une bonne excuse : l'autre venait de finir son verre. Aussi le félin se pencha t-il aussitôt pour récupérer le cadavre encore frais.

" Je vous en apporte un autre. " Précisa t-il, le pas toujours dansant se dirigeant sans demander de réponse jusqu'au bar.

Venait il vraiment d'interrompre son numéro parce que l'architecte avait un verre vide ?
Oui.


Quelques clignements d'yeux ici et là, et on retourna à ses discussions, un rien surpris. Il n'y avait rien d'insultant dans ce qui venait d'être fait. Mais absolument rien de commun non plus. Et chacun savait désormais auprès de qui l'attention entière du nouveau danseur s'était tournée.

" Voici. " Nouveau verre, nouvelle chance, nouveau sourire de velours.

Mais, et pour marquer définitivement cet intérêt qui n'en pouvait plus de manquer de réciprocité, il s'assit face au Métronome, poussant de l'index une poussière inconvenante.

" L'attente est une chose complexe. On parcourt de très grandes distances, tout en restant parfaitement immobile. " La situation fut prononcée d'une petite voix songeuse, si douce et mielleuse. " Qu'attendez vous ici ? "
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19.09.22 17:42

Invité
Anonymous
Invité
Another day,
Another night,
Glass after glass,
Is it sorrow or
Weariness
I try to drown
In the liquor of red ?


C’est une nuit comme toutes les autres. Je me réveille dans les ténèbres. La faible lueur d’une bougie éclaire la pièce. L’élégance est de mise, mais la sobriété aussi. Des restes de mon éducation peut-être. En ce temps-là, les objets étaient rares, précieux. On choisissait la qualité, la chaleur, la douceur et la couleur. La mienne est le noir. Je me prélasse dans un océan de soies sombres avant de mettre un pied hors de mon tombeau. La première chose à faire est de s’habiller. Là encore, du noir. Un pantalon droit, simple. Une chemise, presque transparente, entrouverte sur un torse sans vie. Le lourd tissu de la veste sur mes épaules qui s’accorde la frivolité de quelques arabesques d’or. Discrètes, surtout. Les chaussures sont cirées et brillent à mes pieds.

Dans la nuit qui débute, où les humains ne sont pas encore au lit pour celles et ceux qui vivent le jour, mes talons battent le pavé froid et humide de la cité que j’ai aidé à bâtir. J’enrage tant elle subit les affres du temps, les convoitises, les violences moribondes de dégénérés de mon espèce. Elle se délite. Elle se délitera encore demain si le Conseil ne parvient pas à prendre les rênes, à se faire enfin respecter. Mais c’est une chose susceptible que la cité. Il faut l’apprivoiser, l’amadouer. Ça, notre reine avait bien su le faire. Aujourd’hui, partie avec son fidèle chien de garde, il faut poursuivre les efforts. New Abbotsford ne tombera pas, ou bien je tomberai avec. C’est le contenu substantiel de ma réponse à Dorian lorsqu’il m’a proposé le poste d’Architecte au Conseil.

J’ai accepté.

Je ne sais pas ce qui m’attend, mais à mon âge, a-t-on encore peur du lendemain ? Ce serait une bonne chose. Cela voudrait dire que la vie et l’éternité peuvent encore me surprendre. Ce n’est plus le cas.

Je m’installe. Sur le même tabouret. À la même place. Le verre entre mes doigts. Comme d’habitude. Rien ne change. Tout tourne et coule, sans un accro sur le vieux trente-cinq tours. Le grain si particulier que j’ai tant aimé par le passé ? Je ne l’entends plus. Il fait parti de la monotonie quotidienne dans laquelle je plonge, invariablement, à chaque réveil.

Pourtant une chose semble avoir changé.

Le visage du barman est moins rond. La musique n’est pas tout à fait la même. Les exclamations du publics sont différentes. La surprise. L’enthousiasme. L’envie. Dans leurs voix rauques, j’entends le désir latent de ce qu’ils ne pourront pas avoir. Pas suffisant pour me faire tourner la tête. Il y a bien cette jeune fille qui tente de me traîner dans une alcôve. Pas ce soir. N’insiste pas. Je ne sais pas dire non. Ou plutôt, je me fiche bien de dire oui.

Elle a peut-être entendu mes pensées. Mon regard inerte qui la traverse sans la voir a parlé pour moi. La dernière gorgée de mon verre se fraye un chemin dans ce qu’il y a encore de vie dans mon organisme. Il est temps de tirer ma révérence pour la nuit. D’autres choses m’attendent. Quoi ? Du travail. Sans aucun doute. Toujours du travail. La routine est presque rassurante.

Mais ce soir, la routine a décidé de m’échapper.

À peine le verre reposé sur le comptoir qu’une main fine se tend pour l’attraper. Cette main, je la connais. Je l’ai vu des dizaines de fois. Chaque soir depuis quelques semaines. Mais d’habitude, elle se tend depuis l’autre côté du bar. La voix douce me fait relever la tête. Mon regard sombre accroche les éclats d’or d’une tenue de scène qui s’éloigne, juste le temps de contourner le bar pour revenir vers moi et déposer le verre, à nouveau plein, devant mon nez.

Je cligne des yeux, penche légèrement la tête de côté avant de relever des yeux noirs vers l’enfant. Enfant. Façon de parler. Tous sont des enfants à mes yeux, mais dans ce monde, l’enfance dure trop peu de temps pour les humains, si tant est qu’ils aient la chance d’en avoir une… trois ans… peut-être cinq pour les plus chanceux. Mais dans ses œillades encore timides, je décèle un brin d’innocence, un fragment fragile.

C’est alors que, rompant définitivement les habitudes, l’humain s’installe face à moi faisant fi des autres clients pour ne porter son attention que sur l’éclat de ténèbre que j’incarne. Ses mots prononcés comme un rêve sont presque une provocation, que je balaie d’un revers de main, comme il l’a fait du grain de poussière un peu plus tôt.

Rien.

La réponse est brève. Laconique. Presque froide. Elle est dénuée de sentiments. Rien de bon. Rien de mauvais. Juste rien. Je n’attends rien. Je suis juste là. Et pour honorer l’effort du gamin, je porte le verre plein à mes lèvres pour en boire une gorgée. Il connaît mes préférences. C’est son visage que je voie tous les soirs. Ce soir, ce visage est maquillé. Du noir sur les yeux. De l’or dans ses cheveux. C’est une tenue de scène.

Tu n’es plus barman, n’est-ce pas ?

Mes yeux se lèvent et le transpercent. C’est peut-être une pointe de regret qui module très légèrement ma voix. Il ne me servira plus. Ce verre, c’est le dernier qu’il pose devant moi.
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19.09.22 20:18

Invité
Anonymous
Invité
Il répondait. C'était un bon début, mais un début frustrant. Lui voulait lui arracher les mêmes regards que ceux de la petite assemblée qui s'était réunie autour de ses jambes un peu plus tôt. Il voulait plus qu'un ton laconique, qu'une réponse de convenances. Il voulait plus de tout. C'était peut-être dans sa nature,  ou dans son humanité. Porté par ses désirs, par ses envies, par ses humeurs. Chocolat, whisky, dormir, un sourire, de l'eau chaude, non trop chaude, la douceur d'une couverture en velours.

Comment pouvait on à se point se perdre ? Comment pouvait on tuer la lumière d'un regard ? Etait-ce lié à ces ténèbres glauques qu'étaient le vampirisme ? Un effet secondaire d'une éternité pour laquelle leur espèce première n'était pas conçue ? Etais ce le terrible destin de ces buveurs de sang ? La promesse d'un ennui sans fin ? Gelé comme les confins de cet univers qui s'étirait encore ?

Il voulait lui poser toutes ces questions, elles lui brûlaient les lèvres. Comme il voulait les poser à tous ces maîtres de la nuit. Les jeter de toutes ses forces. Des réponses, des explications, des détails.

Mais il n'était qu'un humain. Du bétail, ou un animal de compagnie. Il pouvait devenir l'un et l'autre, et devenir les deux. Il devait devenir les deux. Et pour y parvenir, être un parfait compagnon. Aussi beau qu'agréable. Or, on attendait pas des animaux qu'ils beuglent à longueur de journée - ou de nuit.

Son regard d'eau pâle se retranchait parfois derrière la longue rangée de cils parsemées d'or lors qu'il battait ces derniers. Son souffle était tranquille. Il espérait simplement que le Métronome n'entende pas les rouages qui tournaient à plein régime un peu plus haut, dans son cerveau. Ses ongles peints vinrent finalement se saisir d'une de ses boucles pour l'étirer, l'enrouler autour d'un index aux bagues fines. Son corps fin se laissa glisser en arrière, et il apprécia la douceur du brocard contre son dos nu, la sensation fine des chaînes qui tenaient la tunique de coton fin qu'il portait.

" Non... Je danse. Et je suis un hôte. " Courte moue, la boucle fut relâchée et sauta un instant avant qu'il ne la capture à nouveau. Hôte. C'était important. Il ne se vendait pas, et c'était peut-être la seule chose qu'il avait bien fait comprendre à ses employeurs.

" Personne ne me voit là-bas. Le comptoir doit être trop haut." Les cils battirent une nouvelle fois, et quelques flocons brillants craquèrent jusqu'à se déposer en pluie sur ses joues rondes et rosées.
" Vous n'avez pas levé le regard une seule fois. " Pointe d'amertume sur la petite langue, avant de reprendre.

" Vous venez ici, et ... " Merde, il avait oublié le prénom de cette fille qui sautait sans arrêt sur son client. " ... Crystal vous harcèle. Parfois, vous la suivez, parfois pas. Et vous buvez la même chose. A la même place, et le même nombre de verres. A chaque fois. Vous n'avez pas envie de changer quelque chose, pour une fois ? Après tout. Ce serait mal faire mon métier que de ne pas vous ravir. Et augmenter le montant de votre note, bien sûr." Et si la voix ne changeait jamais dans ses inflexions, respirant la douceur et la délicatesse, le regard, lui, s'enflammait. Certes. Il n'aimait pas la difficulté. Pourtant il y revenait. Toujours et encore.
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20.09.22 16:09

Invité
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Je répondais. Et c’était déjà beaucoup. La plupart du temps, je ne gaspillais pas ma salive ni mon temps à relancer des conversations banales sur la pluie ou le beau temps. Tout ce qui faisait d’un individu quelqu’un de sociable, j’en avais perdu le talent il y a longtemps. Probablement tout ça était-il mort avec mon propre corps, sept siècles plus tôt. À un humain, je n’étais pas tenu de répondre de toute façon. À quoi bon ? Dans une poignées d’années, il ne serait sûrement plus là. À quoi bon répondre à une chose si éphémère ? À quoi bon tisser un lien qui ne serait que torture une fois le mot « fin » apposé au bas de sa dernière page ? Les humains. Certains les traitent en esclave, comme du bétail, une chose tout au plus utile à notre alimentation quand ils ne sont pas malades. Pour d’autres, plus altruistes, ils sont précieux, aussi précieux que notre vie car sans eux, c’est la famine. La mort dans d’atroces souffrances. À mes yeux, ils ne sont rien de tout ça. Ils sont l’éphémère. L’instant de vie. La flamme d’une allumette qui craque et s’éteint brusquement. Leurs existences glissent sur la mienne au même titre que les guerres qui passent et ne m’atteignent pas.

Je lève les yeux vers cet humain dont l’existence s’effacera aussi soudainement qu’il aura appris à dire merci à ses parents. Si seulement il en a eu. Rien n’est moins sûr de celles et ceux qui se retrouvent à l’Oasis Pleasure. Il scintille. Est-ce possible ? Les lumières, bien que tamisées, accrochent chaque paillette, chaque éclat d’or sur son visage et son corps bien peu vêtu, mais dans la chaleur sensuelle des lieux, il ne doit pas avoir bien froid. Ce qui brille le plus ? Son regard, aussi clair que le mien est sombre, rempli de questions réprimées, tues, qu’il n’ose pas poser, mais qui animent la moindre de ses cellules et qui le font vibrer de curiosité. L’insouciance. La nonchalance. L’ignorance. Tout ça me manque beaucoup trop.

Entre mon pouce et mon index, le verre pend. Équilibre précaire, il est prêt à tomber, mais ma force le maintient entre deux états. À l’intérieur le sang est suffisamment liquide pour maculer les parois d’une fine couche écarlate.

Non, répond l’enfant d’or. L’Apollon. C’est un danseur, un hôte, précise-t-il sous mon regard insondable. Pas un prostitué. Il ne vend pas son corps. Mais il y viendra. Ils y viennent tous. De gré ou de force. Même s’il tente de conserver son honneur, futile chose à laquelle ils s’accrochent à défaut d’avoir autre chose qui compte plus que cela. C’est pourtant audacieux de sa part. Audacieux ou naïf. Les deux sans doute.

Un léger sourire m’échappe. Le comptoir n’est pas si haut.

Et son reproche tombe comme une mouche sur le sang le plus pur.

Entre mes doigts, le verre a arrêté de bouger. Je le détaille. La pluie d’or qui cascade à chaque battement de cils, le khôl qui n’a pas encore coulé sous l’effort et l’extase comme d’autres de ses collègues, les pommettes hautes, les joues rondes, la moue de déception sur ses lèvres épaisses.

Je n’ai pas le temps de répondre à son intérêt. Il poursuit. Cet intérêt, je le découvre. Je n’en avais jamais eu conscience. Je ne l’avais jamais vraiment regardé jusqu’à cette seconde précise où il me dit « Vous n’avez pas levé le regard une seule fois. » Pourquoi l’aurais-je fait ? Il résume ma vie à l’Oasis Pleasure en quelques mots. Crystal ? C’est le nom de cette fille alors… Je n’en savais rien. Je ne connais que la douceur de ses doigts, l’humidité de ses lèvres sur ma peau, la chaleur temporaire de ce qu’elle m’offre et que je prends sans vraiment y penser.

Alors il me demande si je n’ai pas envie de changer mes habitudes. Il veut me ravir. Augmenter ma note à l’Oasis Pleasure. Sa contradiction me frappe. Une nouvelle gorgée de sang glisse entre mes lèvres avant de reposer le verre sur le comptoir. Mon pouce efface la trace carmin au coin de ma bouche.

Tu m’as dit toi-même être un hôte seulement. Je ne vois pas comment tu peux briser mes habitudes en me servant un autre verre…

Et mon verre n’est pas vide encore. Il gît sur le comptoir, je baisse les yeux vers lui. S’il n’offre pas ses charmes, s’il ne prend pas ma main pour m’entraîner dans une alcôve, s’il ne s’empare pas de mon corps, il y a peu de chance que la routine soit brisée. Aussi bel éphèbe puisse-t-il être.

Tu devrais t’intéresser à un autre. Je ne peux pas t’offrir ce que tu désires… Mais je ne manquerai pas de lever les yeux la prochaine fois que tu danseras. Pour voir ce que je rate.
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20.09.22 17:13

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Il y avait quelque chose. D'indéfinissable, d'impalpable, de vacillant. Mais quelque chose. Il le sentait comme on reconnaîtrait un parfum familier des heures après qu'une pièce n'ait pourtant été vidée de ses convives. Il ne pouvait pas le laisser s'échapper, pas maintenant, pas après s'être jeté tout entier dans l'eau glacée. Il s'était préparé toute une vie pour ce moment précis. Une courte vie, un battement de cil pour l'éternel qui lui faisait face. Dix huit années, dix huit étés à chanter le soleil et sa gloire.

Mais il l'avait fait sourire.

Non, définitivement. Le fil était dans le chas de l'aiguille, et la partie la plus délicate venait de commencer. Il fallait le saisir de l'autre côté, le tirer, et le coincer. Le happer, le boucler autour de lui.  Tâche herculéenne. Car celui-ci était de loin le plus inanimé de tous. Il goûtait à peine aux plaisirs de la vie, comme on mange sans appétit ni désir.

Il était aussi froid qu'il n'était beau. Lui ne pouvait empêcher ses pupilles dilatées par l'obscurité de scruter les détails de sa peau si parfaite. Ses cheveux brillants, sombres. Ses lèvres fines, et surtout, ce regard. Si unique, si profond. Ce n'était pas seulement lié à ses origines, qui bien sûr n'étaient pas prédominantes dans une ville comme celle ci. C'était autre chose, et même le jeune danseur n'aurait su poser de mots sur ce qui le faisait de dévorer du regard de la sorte. Il y avait des intentions que les mots ne sauraient traduire.

Le sexe. Il l'évoquait comme une formalité, comme une condition. Lysander était encore vierge, il n'avait connu aucune mains sur ses hanches, sur son torse, sur sa gorge. Ni la caresse des lèvres sur sa chair, celle là même que les hommes vantaient tant - et souvent de manière vulgaire. Ni n'avait pas connu le déplaisir d'une présence indésirée, ni les extases de celle qu'on a trop attendu. Non. Oh, bien sûr, il en avait beaucoup parlé. Imaginé. Rêvé, aussi.

" Seulement un hôte. " Il reprit le mot comme une seconde pointe de vexation. Non, et son client le savait parfaitement. S'offrir sans saveur n'aurait pas le moindre intérêt, et ne briserait sans doute rien de plus qu'un emploi du temps millimétré.

" Vous avez du talent, savoir ce que je veux alors que moi-même je n'en suis pas certain." La langue roula, puis se glissa habilement sur ses lèvres charnues, leur offrant quelques instants une brillance parfaite.

Ses mains se joignirent dans le cliquetis doux de ses dizaines de bracelets fins, et ses avant-bras encore gorgés soleil se déposèrent devant eux, sur la table. Mécaniquement, son corps bascula vers l'avant, laissant bailler sans complexes le haut d'une tunique déjà trop fine et trop légère. L'œil se perdit quelques instants sur le torse blanc face à lui qui semblait luminescent en dépit de la fine mousseline qui tentait sans volonté de le cacher. Quel goût pouvait avoir la peau d'un vampire ? Quel goût avait déjà la peau d'un autre humain ?

" Comme je l'ai dit, je suis un hôte. Et voyez vous c'est un métier. Je vous propose un premier jeu. Voyons voir ce que nous pouvons nous dire sans nous parler."

Les jeux. Il les aimait réellement, ceux là. Non pas qu'il n'appréciait pas danser. Mais ce n'était pas dans le décor de l'Oasis Pleasure qu'il pouvait se permettre de réellement créer ou exprimer quoi que ce soit par ce biais. Pour l'heure, il faisait grand étalage de ses charmes et de sa sensualité pour les prédateurs réunis devant sa scène, et lui n'en faisait pas trop. Jamais trop, et jamais trop vite lui avait on enseigné.

" C'est un jeu très simple. Il suffit de se regarder dans les yeux, pendant disons... toute la durée de la prochaine chanson. Si l'un de nous détourne le regard ou ouvre la bouche, il perd. Auquel cas, un défi sera lancé par le gagnant. Boire est autorisé. " Et les ongles vinrent cliqueter sur le verre qui s'érigeait entre eux, plus symbolique que Lysander ne pouvait l'imaginer.

Et il souriait, principalement par les yeux. Illuminés par les incertitudes du futur immédiat, par la réaction du Métronome, par la suite des évènements. Ancré dans un présent aussi vibrant que profond. Il s'avança sur le temps, plongeant son regard dans le sien à peine les dernières notes éteintes.

You keep dreaming and dark scheming
Yeah, you do
You're a poison and I know that is the truth
All my friends think you're vicious
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21.09.22 14:48

Invité
Anonymous
Invité
Mes mots résonnent en échos sur ses lèvres qu’une langue fine vient caresser une seconde. Il n’y a pas de doute sur la raison de son embauche à l’Oasis Pleasure. Malgré ce qu’il dit, je sais déjà ce que les propriétaires attendent de lui. Et il est parfait pour ce rôle. Dorian et Jaroslav peuvent être certains que la relève est assurée. C’est qu’il sait y faire. La langueur de ses gestes, sa sensualité naturelle, à peine forcée, et sa beauté. Même moi, je ne peux mentir à ce propos. Faut dire qu’il possède cette ambiguïté qu’elle possédait, ce mélange de genres qui ne m’avait jamais dérangé, et cette grâce qui m’avait fait succomber. J’ai peut-être bien fait de ne pas le regarder danser. Il m’aurait perdu au milieu d’une volupté dans laquelle je m’étais trop longtemps laissé aller avant de m’en lasser.

Si tu es ici, c’est que tu désires quelque chose. Même si tu n’en es pas encore conscient.

Soit il ment, avec un certain talent évident. Soit il se ment à lui-même, ce qui est bien triste dans ce monde où il est obligé d’évoluer. Je l’observe, ses lèvres brillent une seconde. J’ai pourtant l’habitude de déchiffrer les autres, encore plus les humains qui ne me surprennent plus depuis longtemps, mais lui, je ne parviens pas à savoir. C’en est presque intrigant au milieu de la foule qui s’agite autour de nous.

Il s’approche, bascule vers moi et je sens la chaleur que tout son être dégage. Elle m’enveloppe une seconde, prête à faire fondre la glace solidement figée par les dernières décennies. Ses bracelets recouvrent ses bras. L’un d’entre eux est martelés de feuillage d’or. Apollon lui-même serait jaloux s’il le voyait, c’était certain. Son regard s’attarde sur moi, je le vois, avant de revenir à mon regard à l’intérieur duquel une flamme scintille à sa proposition. Un jeu ? Sans parler ? J’excelle plutôt en la matière, Apollon a déjà perdu. Je dois admettre qu’il est doué aussi pour briser la routine, la glace un peu aussi. Peut-être.

Dis-m’en plus…

Alors, il s’exécute et m’explique. Une chanson entière à ne pas détourner le regard, ne pas ouvrir la bouche. Apollon se rend-il compte qu’il est destiné à perdre ? Sept siècles entiers j’ai vécu. Mon corps et mon âme sont de marbre plus souvent qu’ils ne s’agitent. Boire cependant est autorisé. Tiens donc. Lui qui n’a pas de verre… Le bruit de ses ongles sur la surface voilée de rouge résonne comme une provocation à peine masquée. L’image fugace de mes canines déchirant sa peau fine avec trop de facilité me brouille un instant la vue. Interdit de la cité pour éviter les abus et pourtant rare plaisir arraché à nos éternités. J’en rêve encore parfois… La preuve. Glisser une main le long de cette nuque tendue, offerte. Le souffle ardent contre mon oreille. L’odeur sucrée d’une peau si jeune et tendre. Le corps qui s’anime, se presse contre le mien avant de s’abandonner à l’étreinte dangereuse. Je recule légèrement. Il me faut réprimer ces désirs qui viennent allumer une flamme dans mon regard. À quoi bon penser à l’interdit. Je ne transgresse pas les règles de la cité que j’ai aidé à bâtir.

La chanson se termine. Une autre commence. Et déjà Apollon s’installe dans mon regard aussi sûrement qu’un chat se love dans son fauteuil préféré. Ai-je seulement le choix de refuser ? Je cède.

Soit…

Une fois encore, mes yeux se lèvent. Pour une fois, mon regard ne le traverse pas. Je m’ancre à lui, à ses premières notes qui agitent l’air de la grande salle qui semble déjà se raréfier dans le coin où nous nous trouvons. La mélodie déroule sa mélancolie alors que les mots de l’interpête me semblent par trop coller à la silhouette sûre d’elle qui me fait face. Il est plus résistant que je ne le pensais. S’entraîne-t-il souvent ? Pourtant rien n’est désagréable dans cet échange trop intime. Quoi lire en moi qu’un vide et une solitude lancinantes ? Alors que dans le sien, c’est un paysage entier que je découvre. Les forêts sordides de la Bordure inondées d’un soleil aveuglant. Tellement aveuglant que je dois froncer les sourcils pour ne pas détourner le regard. Est-il sur le point de gagner ? Hors de question de perdre face un humain qui n’a pas passé deux décennies à fouler cette terre.

Par ruse, mes doigts glissent sur le verre qu’il tient toujours, effleurent les siens. Longs, fins, lianes encore sauvages, indomptées. Le soleil aveuglant vacille. Je le sens.
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21.09.22 16:22

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You keep dreaming and dark scheming
Yeah, you do
You're a poison and I know that is the truth


Antoine était un vampire d'origine française, transformé il y avait de ça quelques 400 ans, ou plus. Lui-même n'avait pas tenu le compte. Il se souvenait cependant avoir vu la Tour Eiffel être érigée de son vivant. A partir de là, la vie était allée, avec ses guerres, ses désastres, ses changements. Et chaque geste, chaque mot depuis sa naissance l'avaient mené à cet instant précis.

Ce moment où, alors que son regard cherchait dans l'Oasis Pleasure un peu de distraction, il aperçut deux silhouettes dans la pénombre. L'une d'elles était l'humain qui venait de couper à sa performance. Penchée sur l'autre, la créature précieuse cambrait les reins autant que faire se peut. La courbe de son dos trahissait sa souplesse, aussi incurvée que celle d'un félin. Ses cuisses qui ne pouvaient qu'être pailletées remuaient lentement au rythme des notes qu'il appréciait lui-même depuis quelques secondes.

Face à l'humain, Hwang Ji Ok. Antoine connaissait son nom, car Antoine connaissait beaucoup de noms. Il était lui-même un de ces vampires de Cour, charmant mais oubliable. Il vivait au travers des autres, sage et discipliné. Observateur, il notait chaque attitude dans un recoin de son esprit. Chaque mouvement, chaque changement. Car Antoine détestait par dessus tout le changement. C'était sa bête noire, son inconfort. Et tout ne faisait que changer dans cette ville. Il savait du vampire, coréen d'origine, que ce dernier était un pilier. Une référence. Un bâtisseur. Tous ici avaient besoin de lui. Le visage de l'architecte n'affichait pas beaucoup d'émotions, mais son regard, lui, semblait animé d'un quelque chose qu'il ne lui avait jamais vu auparavant.

Antoine termina son verre de sang épais et capiteux qu'il avait payé une fortune et eut la désagréable impression que quelque chose échappait à sa compréhension.

All my friends think you're vicious
And they say you're suspicious
You keep dreaming and dark scheming


Lysander maintenait encore son regard. Il avait su d'emblée qu'il allait perdre, c'était une évidence. C'était le soleil qui se levait chaque matin et se couchait chaque soir. Mais l'échec n'était qu'une opportunité, songeait il. C'était une chance, et il n'en avait jamais raté une de sa vie. On le lui avait expliqué maintes fois : Rien ne se faisait au mérite seul. Il fallait attraper les présages et les éventrer pour comprendre les opportunités de l'avenir. Il fallait se salir, il fallait perdre des plumes.

Yeah, you do
I feel like I'm drowning
I'm drowning
You're holding me down and
Holding me down
You're killing me slow
So slow, oh-no
I feel like I'm drowning
I'm drowning


Qui se noyait ? Lui dans cette immensité ? Dans ce noir si parfait, qui reflétait avec précision le décor et ses propres traits ? Il pouvait saisir jusqu'au moindre scintillement sur ses propres joues, sa respiration si humaine faisant jouer sur lui les lumières tamisées qui les entouraient. Il pouvait voir que le colosse avait des pieds d'acier. Qu'il avait déjà assez joué, peut-être trop joué. Que sa vie n'en était plus une, qu'il devenait peu à peu un témoin.

Et la solitude. Elle etait là, palpable. Dans l'esprit vif et agité de Lysander, c'était une femme vêtue de voiles noirs, aux ongles longs plus sombres que le ciel nocturne. C'etait une compagne qui étouffait, qui tuait petit à petit. Lui ne pouvait pas la chasser, du moins, pas plus longtemps qu'un battement de cil. Il était pour l'heure, ne serait plus demain. Et pourtant, pourtant.

You're so plastic and that's tragic
Just for you
I don't know what the hell you gonna do
When your looks start depleting


Et absorbé par le temps qu'il passait dans les ténèbres du Métronome, lui s'était laissé hypnotiser par le Tic Tac régulier de ce qu'il découvrait. Il n'avait pas lâché le verre sur lequel ses ongles cliquetaient encore, en vérité, il avait totalement oublié. Il n'avait pas non plus remarqué que son genou s'etait d'un rien hissé sur le bord de la table, et qu'il s'approchait encore de quelques centimètres, son souffle chaud et son parfum sucré se déposant sur son compagnon de jeu. Dieux. Qu'il avait envie de parler. Il avait envie de savoir. Quel âge ? Combien de temps ? Pourquoi ? Pourquoi continuer ? Pourquoi être là ? Comment vivre sans la caresse du soleil ? Qu'offre donc la lune à ses enfants ? La mort donne t-elle froid ?

And your friends all start leaving
You're so plastic and that's tragic
Just for you


La pensée de la victoire l'effleurait. Il était bien trop absorbé, possédé par cette énergie si simple et si naïve. Celle qui le poussait parfois à aller d'un rien trop loin, à gratter les limites du bout du pied. Elle l'effleurait mais serait tuée par la sensation froide sur sa main. Et c'est toute son ascension qui s'écroula. Il avait oublié qu'il avait des sens ? Ses grandes iris bleues chutèrent sur le contact que le vampire venait d'établir, et tout son corps frissonna. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'un des leurs posait la main sur lui. Une fois sur une épaule, une autre fois sur une cuisse. Il n'avait rien ressenti de tel à l'époque. Un simple dégoût agrémenté d'une grimace cachée.

Là. C'était différent. C'était comme si tout son être s'était soudainement réuni dans son ventre, sous la surprise. Et l'écoulement agréable de son propre sang qui lui paraissait chauffer, reflué de nouveau dans ses membres. C'était tout simplement électrisant.

" ... " Il avait perdu. Et de manière stupide. Pourquoi n'avait-il pas tout simplement reposé ce verre ? Il avait énoncé lui-même les règles. Le métronome avait le droit de boire. Droit qu'il avait pris avec la victoire.

" ... Habile." Et là fleurit un sourire. Un sourire sincère, un sourire simple. Les iris d'eau se replongèrent un moment dans celles de la nuit, et la tête s'inclina d'un rien. Félicitations, dit il sans jamais le prononcer. Et de réaliser qu'il s'était à moitié lové sur la table, la croupe dressée, les épaules basses. Et son sourire s'élargit encore un peu.

" Bien, me voilà soumis à un gage. " L'excitation brève de l'inconnu. Qu'allait-il lui demander? Que peuvent bien demander les morts ?

Lysander reposa finalement ses hanches sur le bois vernis, redressant le torse. Il était désormais assit de face sur la table, ses genoux presque joints, chevilles collées de chaque côté extérieur de ses cuisses. Une position innocente pour les petits, dont on disait qu'elle faisait les jambes en X. Bien moins enfantine ici. Elle laissait glisser le regard de la gorge jusqu'à l'entrejambe soulignée par cette croix.

Et sa main n'avait pourtant pas bougé du verre, si chaude et fine, attendant d'être aimablement chassée. Ou d'accompagner la gorgée profane.
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22.09.22 15:18

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Du plus loin que je me souvienne, j’abhorrai le soleil. Comme si le destin avait parlé dès ma naissance, j’étais un enfant des ténèbres. Le prénom même que m’avait donné un père qui n’en avait jamais été un me plongeait dans l’obscurité. Choix prémonitoire ou simple coïncidence ? Il n’est plus là depuis longtemps pour répondre à cette question. Année après année, j’avais juste glissé dans le noir. Je m’en étais recouvert, drappé. J’avais posé mes lèvres sur les siennes et l’avais étreint jusqu’à en perdre le souffle et la vie.

Le voit-il ?

Voit-il la silhouette fine, élancée, ses longs cheveux d’un noir d’ébène effleurant ses épaules, tournant à demi vers moi un sourire entendu car elle a reconnu en moi une même âme. Voit-il Jin ?

C’est bien peu probable.

Alors que les notes et les mots défilent. Je me noie, moi Ténèbres, je me noie dans l’éclat aveuglant du soleil qui illumine sa peau, son regard et son âme. La morsure du soleil est mortelle pour les êtres tels que moi et j’en sens la douleur jusque dans mon cœur qui s’enflamme sans me laisser le choix. Il me faut agir.

Ce n’est pas de la triche.

Il a édicté les règles. Détourner l’attention de l’autre ne fait pas partie des interdits. Je n’ai donc pas hésité. Pour ma propre survie. De peur de brûler. De n’être qu’un tas de cendres à balayer en plein milieu de ce bar où les vampires sont en sécurité. En théorie. S’ils ne plongent pas dans le regard incandescent d’Apollon.

Regard qui trébuche sur le verre entre nous. Et me laisse vide, une seconde. De trop. Le vide et le froid déferlent sur moi, reprennent leur droit, leur place habituelle, celle qu’ils se sont appropriées depuis longtemps. À mon tour, je détourne les yeux, cligne des paupières sans apercevoir le vampire français qui nous observe de loin depuis le début de notre jeu.

Une seconde à peine, je suis happé à nouveau par Apollon dont j’entends soudain le sang emplir ses veines, en battre les parois avec plus de force. Son odeur change aussitôt passant de l’intérêt au désir. Le gamin a-t-il seulement conscience de ces imperceptibles changements qui trahissent tout son être ? Je penche la tête, ferme les paupières et respire doucement ce parfum agréable qui m’enveloppe.

« Habile. » Le mot me ramène à la réalité. J’ouvre les yeux pour le regarder à nouveau, un léger sourire satisfait sur les lèvres répondant au sien acceptant la défaite, beau joueur qu’il est. Le soleil semble dégorger un instant de l’intérieur de son âme sur ses lèvres. Brûlantes.

Le voilà soumis à un gage. Oui. Et me voilà soumis à en trouver un. Tout son corps s’est approché, escaladant le comptoir peu à peu, comme aimanté par mon regard. Ses formes vacillent à peine, s’abaissent, il s’assoit devant moi, à peine couvert par un costume de scène qui cache tout juste l’essentiel. Je ne suis pas infaillible. Je ne l’ai jamais été. Jamais prétendu l’être. Prenant prétexte du verre sur lequel nos doigts s’effleurent toujours, je me fais voyeur le long de ses cuisses parsemées d’or. Je suis une arabesque qui vient se perdre sous la fine cotonnade cachant son honneur intact.

C’en est trop de cette brûlure.

Je n’y suis plus habitué.
Je vacille, tombe presque et me lève de cette chaise qu’il avait préparé pour ma venue alors que je l’ignorais.

Ton gage est d’arrêter de me brûler. Penses-tu pouvoir réussir ou est-ce au-dessus de tes forces ?

Le souffle court, les yeux dans les siens, à nouveau, je termine mon verre cette fois et me détourne. J’ai l’impression d’être en colère. En colère contre moi-même de céder aussi facilement à la beauté et à la chaleur. En colère de flancher. En colère d’avoir montré une faiblesse, s’il sait la décrypter. Et grands dieux, il est évident qu’il le ferait. Apollon sait ce qu’il fait. Comment a-t-il su que j’ai une haute position à la Cour à présent ? Son but est-il de se placer ? De trouver un mécène pour supporter ses caprices de diva ? Beaucoup ont cet espoir à l’Oasis Pleasure et il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Aveugle. Le soleil dans ses yeux m’a rendu aveugle, c’est une évidence. Mais à présent, je viens de les ouvrir.
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22.09.22 19:57

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Après l'éternité qu'ils venaient de passer ensemble, le souffle froid porté par ce corps trépassé qui s'était soudainement redressé se fit morsure sur son visage. Le minois rond resta un instant fixe, regard pâle planté dans le vide. C'était une amertume certaine qui venait de contracter sa mâchoire, noircir ses humeurs. Il n'avait pas apprécié qu'il lui échappe si vite, si brusquement. C'était le verre d'eau à moitié bu qu'on retirait à l'assoiffé.

Mais l'autre ne voulait pas lâcher son regard. Il le sentait, et releva lentement les yeux dans les siens, mille feux y brûlant à la fois. Quelque chose qui s'apparentait à une rage froide, à la colère d'une vie. Une déception palpable, une criante sincérité. Les mots se plantèrent en succession dans l'échine de ses bras, sur son visage si apprêté. Il ne devait pourtant pas se laisser aller, il ne pouvait pas se trahir, pas si vite. Les Mères lui avaient dit d'être lui-même. Qu'il était parfait ainsi fait. Et pourtant, cette énergie qui le poussait en avant lui semblait le mener tout droit à sa propre perte. Les Mères voulaient elles qu'il brûle ? Ou sous-estimaient elles son tempérament ?

Non, il était bien plus sage de -

" Bien sûr, Monsieur. Faut-il vraiment perdre un gage pour devoir obéir aux Dieux de la cité ? " Sans jamais quitter ses iris, son corps s'inclina délicatement vers l'avant. Dans la servilité qu'on avait enseigné à la race humaine. Dans tout ce qu'elle était devenue entre les murs froids de cette ville dominée par le prédateur qui les supplantait sur la chaîne alimentaire.

Il n'avait jamais vraiment eu le choix. Il ne l'aurait jamais vraiment, de toutes façons. Le chat pouvait jouer autant qu'il le désirait, il savait encore que sa place était aux pieds de ses maîtres. La créature se redressa doucement pour ne pas singer le geste, ne pas le ridiculiser. Car sa révérence était réelle. Elle représentait une réalité qu'il ne pouvait retirer de son esprit.

" Nous ne jouerons pas ce soir, je suppose. Je cesse donc de vous brûler, j'apporterai mes illusions à d'autres." Il était désormais sur ses genoux, surélevé par le bois vernis qui l'avait vu s'installer un peu plus tôt. Aurait-il réellement été dans la même position, s'il avait été au sol ? Toutes ces créatures de la nuit étaient, après tout, Royauté pour les hommes. Pour le moment.

Les jambes fines s'étirèrent, souplesse oblige, et il retrouva bien vite la moquette épaisse où s'enfoncèrent ses sandales sans un bruit. Ses épaules brûlantes frôlaient celles des ténèbres, ils avaient été si proches qu'il ne pouvait s'extirper sans le caresser, même involontairement.

Comme une marée agitée, sa rage avait reflué, emportant avec elle l'éclat de ce désir qu'il l'avait tenu tout entier pendant un temps. Au froid soudain, il avait refermé les fenêtres, brillant pourtant de l'intérieur. Encore, toujours. Il ne le contrôlait pas. Et ses doigts vinrent délicatement se glisser dans ses cheveux qu'il recoiffa comme un chevalier aurait remis les boucles d'un armure parfaitement passée.  Une vérification inutile, un geste fétiche pour se rendre le courage qu'on a vu brièvement vaciller.

Il ne perdrait pas si aisément. Non. Il ne se perdrait pas si aisément. Des heures, des semaines, des mois, des années à se créer. Se confectionner, se coudre. Il refusait parfaitement qu'on ne lui arrache ce qu'il était pour trivialité, pour un refus précoce. Il avait été pris de court, voilà tout. Bien sûr. Bien sûr que le Métronome n'allait pas sombrer dans ses bras en quelques minutes, au détour d'un regard. Bien entendu, que le rejet était à sa porte. Comme il l'avait été si souvent. Combien de fois l'avait-on regardé des pieds à la tête avant de finalement le laisser entrer dans l'Oasis Pleasure? Trop.

" ... Oh. Je suppose que vous n'avez plus soif. " La voix reprit ses intonations les plus douces. Sa dentelle confortable. Sans jamais être une provocation. Et ses doigts saisirent le verre tout juste fini, le faisant lentement tourner. Si on ne le retenait pas, il irait le rendre au bar. Puis on éditerait la note des consommations de son client. Et lui irait sans doute se lover dans les bras d'un autre avant de refuser de se glisser dans une des alcôves. Et tout reprendrait son rythme, jusqu'à la prochaine fois.
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24.09.22 16:23

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Ce moment. Précis.

Celui où l’on entend un grondement sourd dans l’immense bloc de glace qui se fissure.
Celui qui annonce une catastrophe. Un changement de paradigme. Un changement énorme auquel personne ne s’attend, encore moins la principale victime.

Le grondement assourdit mes tympans sensibles.

Il vient du plus profond de mon être. Il résonne jusque dans mes doigts qui tremblent sur le verre que je maintiens un peu plus fort quand je le porte à mes lèvres.

Apollon a perdu.

Il a gagné.

La finesse apparente de sa peau sous mon regard me force à la curiosité. Elle avait la même. Pâle. Fine. Lumineuse. Non du velours sous les doigts mais la plus délicate des porcelaines. Son corps ressemble au sien. Les formes y manquent. Il n’y a que la douceur d’un trait agile, habile, comme la soie négligemment laissée tombée au sol avec une grâce inégalable. Elle, qui ne voulait pas que je dise il. Elle… Et Apollon… Plus félin que la grâce. Plus dangereux que la couronne qui m’avait perdue à une époque dont les souvenirs s’effilochent.

Sa peau est-elle de porcelaine ?

Je me dégage de mon siège. La lutte contre l’effondrement est âpre. Mais c’est trop tard, je le sais. Les fêlures sont déjà là. Invisibles. Elles finiront par grignoter la glace, centimètres par centimètres, jusqu’à ce qu’un morceau de l’iceberg sombre dans l’océan.

Il obéit, s’incline. Son regard brûlant est fixé sur moi qui me détourne tant je suffoque à l’intérieur. La peur se mêle à la curiosité. Le désir n’est pas loin. Un désir que je ne croyais plus capable de ressentir et que je ne voulais plus ressentir. Car le désir, c’est la déception, la douleur, le déchirement de l’âme.

Jouer. Si ce qu’il fait n’est qu’un jeu, alors oui, j’ai raison de m’éloigner. Qu’il cesse de me brûler. Qu’il incendie tous les autres s’il le souhaite. Même après sept siècles, même à moitié mort, je ne désire pas franchir ce pas qui met un terme à l’éternité. Je ne veux pas brûler.

Illusionne qui bon te semblera, parvins-je à articuler sombrement. La vie est un jeu pour toi. Tu en as fait l’un de tes meilleurs talents, je dois l’admettre. Tu verras, beaucoup aiment lancer les dés. Ils aiment l’excitation de l’instant, celui où ils ne savent pas s’ils vont gagner. C’est peut-être la seule chose d’imprévisible dans leur longue existence. Joues-en… Profites-en… Abuses-les autant que tu le souhaites. Mais…

Le gamin incandescent a glissé du comptoir, étendant ses jambes nues devant moi. Mes doigts se tendent, l’effleurent presque pour satisfaire la curiosité qu’il a réveillé, mais je ferme le poing au dernier moment. Nous n’avons pas besoin de cela. Ni lui. Ni moi.

Il ne l’entend pas de cette oreille.

Alors qu’il atteint le sol, son épaule frôle la mienne. Il est si prêt que je sens son odeur de déception. Il attendait trop de moi. Je contrecarre ses plans. Peut-être un simple contre-temps. Une note qui change. Un couac au milieu d’un grand opéra que tout le monde connaît.

… Mais ne joue plus avec moi. Je refuserai.

De mes mains, il s’empare de mon verre désormais vide.

Il n’a pas l’air si perturbé par mes mots. Preuve qu’il y a bien d’autres poissons dans l’océan. Il en trouvera un autre. Probablement plusieurs. Il a bien trop d’atouts pour ne pas parvenir à ses fins. Je ne me fais pas d’inquiétude pour lui.

Une dernière fois, je le contemple. Ses boucles serrées qu’il a remis en place quelques secondes plus tôt n’en font qu’à leur tête.

Alors, je lève une main vers son visage. Je m’autorise à glisser mes doigts autour d’une mèche et la tire doucement vers l’arrière. J’arrête mon geste pour tenir sa nuque, un temps minuscule. Suffisant.

Tu trouveras ce que tu cherches. Un autre tombera…

Comme un adieu éternel, je dépose les lèvres sur son front. Pas assez longtemps pour attendre sa réaction. Je recule, m’éloigne, disparaît de son regard.

Dehors, le froid de l’air me saisit après la morsure du soleil. C’est mieux ainsi. Il me faudra éviter l’Oasis Pleasure pour les vingts prochaines années. Peut-être le Verrou m’accueillera-t-il à son tour. Je ne suis pas un de ces vampires qui prend beaucoup de place. Je me contente d’être, de regarder et de disparaître.

TO BE CONTINUED.
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