Too old to die young [PV Tiago]

L'étalage des humains sur la place de la potence, tous installés debout sur des estrades disposées aux fins d'une exposition-vente qui mènerait à leur achat pour certains, au retour aux travaux forcés pour d'autres, ne valait guère mieux que toutes les mascarades d'une époque que Erwin n'avait pas connu de son vivant, mais qu'il avait lu dans les livres d'histoire écrits par les vainqueurs de leur temps. Guère friand de cette partie de la cité, il était pourtant bien forcé d'y revenir après qu'un de ses enregistrés ait succombé à la Fièvre Rouge, laissant un poste vacant à l'auberge qu'il tenait et qui, après trois semaines à tourner ainsi en effectif réduit, épuisait les autres membres de l'équipe déjà peu grande suite à son absence. Il allait lui falloir embaucher des employés au service d'autres vampires, même s'il s'agissait là encore d'une chose qu'il n'appréciait pas énormément, se méfiant un peu que des oreilles et des yeux indiscrets ne traînent dans son établissement mais nécessité faisait souvent loi, la preuve en était sa présence ce soir à l'une des présentations d'humains à vendre.

- Quelle bande de barbares.

Lâcha l'immortel à mi-voix, faisant un grand sourire provoquant au vampire le plus proche qui s'était retourné en l'entendant, ne se préoccupant guère de lui alors qu'il s'approchait plus près pour mieux voir. Hommes, femmes, et même quelques adolescents issus de parents enregistrés, il y avait de quoi faire et les débats avaient déjà courts ici et là entre différents maîtres pour savoir qui aurait quoi. Secouant la tête, Erwin se déplaça du côté des "forçats", ceux qui étaient souvent délaissés par ceux qui cherchaient des esclaves dociles et, au contraire, étaient prisés par les moins aimables de la cité, sans parler de ceux qui cherchaient un peu de frisson pour sortir du carcan ennuyeux de leur éternité trop monotone. Sur ce dernier point, il comprenait assez, cela dit il suffisait pour ça de se trouver un autre semblable et de passer un peu de bon temps avec, pas besoin de l'imposer à un humain plus ou moins non consentant.

- Ça m'a l'air d'être un rebelle celui-là, il est du genre à s'enfuir ?

- Oh non, c'est juste un raflé qui vient de purger sa peine, il est fort et capable, il abat bien le travail.

- Pfeuh ! Un sauvage ! Ce sont des emmerdeurs ceux-là, toujours à pleurnicher sur les morts et à vouloir revoir leur famille.

- Mais non voyons ! Regardez ces bras, il vous sera très utile pour les travaux difficiles ! Puis il est bien fait, et il a même quasiment toutes ses dents, regardez !

Le grand humain aux cheveux noirs se fit attraper comme un animal, une main forçant sur sa mâchoire, l'autre relevant ses lèvres pour montrer des dents à peu près blanches. Ainsi discutaient un client et l'un des chargés de vente, sous le regard d'un Erwin qui s'avança, ravalant le grognement qui montait pour afficher un sourire enjôleur.

- C'est vrai qu'il a l'air fort, vous en donnez combien ?

L'autre client se retourna vivement, baissant les yeux sur l'intrus qu'il dépassait de vingt bon centimètres, de même que l'humain d'ailleurs. Le propriétaire de l'auberge n'était pas aussi grand que nombre d'hommes, ne mesurant qu'un mètre soixante-treize, mais il avait pour lui une assurance teintée de défiance qu'il affichait ouvertement face à l'agressivité croissante de son vis-à-vis.

- Dégage de là, je l'ai vu le premier.

- Oh allons, il est évident que cet humain ne vous causera que des problèmes. C'est vrai qu'il a l'air solidement bâti et volontaire, mais voyez un peu son regard, ce n'est pas celui d'un homme qui se laisse soumettre.

Le ton était amusé, presque moqueur tandis que le vampire reportait son attention sur la marchandise, plissant les yeux avant de gronder en sourdine, mécontent.

- Il est évident qu'il va chercher à s'enfuir dès que vous aurez tenté de l'obliger à faire quelque chose qui lui déplaît, et je suis sûr que vous préfèreriez un esclave moins récalcitrant, plus malléable... Lui là-bas par exemple, il m'a l'air plus craintif, il fera un meilleur choix pour vous servir de défouloir.

Erwin désigna un humain un peu plus loin sur l'estrade qui semblait mal à l'aise face à la foule. Le client se retourna pourtant vers lui, le saisissant vivement par le col de son vêtement pour l'attirer à lui, découvrant les crocs en un rictus de colère allant croissante.

- Tu te fous de ma gueule ?!

L'immortel éclata de rire et secoua la tête, levant les mains en signe d'apaisement.

- Oh non, non ! Je vous assuuuuure, je veux juste vous aider. Moi ça ne me dérange pas d'attendre deux semaines le temps que vous vous lassiez de celui-là, je le récupèrerais toujours plus tard, mais bon, j'avoue que je préfèrerais l'avoir cette nuit, histoire de m'amuser plus vite.

Le client hargneux lui jeta un regard dédaigneux, l'insulta dans une langue slave que Erwin ne comprit pas, puis le repoussa brutalement en arrière avant de s'éloigner en direction de l'autre humain sur l'estrade. Se redressant et époussetant son vêtement, le propriétaire de l'auberge se fendit d'un large sourire amusé.

- Ah, c'était presque trop facile, quel benêt. Et toi, fais donc les papiers, j'achète celui-là.

Le vendeur hocha la tête et attrapa l'humain de haute taille par le bras, le menant jusqu'au registre où Erwin déposa les crédits nécessaires, dardant ses yeux couleur charbon sur lui, même s'il devait là encore lever un peu la tête, ce qui quelque part l'amusait d'autant plus.

- Alors mon grand, comment tu t'appelles ? Viens avec moi, on se barre de cet endroit, ça craint beaucoup trop par ici et j'ai pas envie de devoir encore défendre ta jolie petite frimousse.

Il signa le registre, adressa un signe de tête accompagné d'un sourire au vendeur, puis fit quelques pas avant de s'arrêter pour fixer Tiago, les mains dans les poches et l'air parfaitement détendu.

- Et marche donc à côté de moi, je suis peut-être ton Maître, mais j'aime pas avoir quelqu'un dans le dos quand c'est pas un de mes amants.

Il rit de bon cœur, puis reprit sa marche, s'assurant d'un coup d’œil que l'humain le suivait, comme persuadé que celui-ci n'allait pas chercher à s'enfuir, sans doute parce qu'il y avait une foule de témoins autour d'eux et beaucoup trop de gardes qui pourraient lui sauter dessus s'il essayait effectivement de s'enfuir.


@Tiago Alvarez

L'humain ne lui avait pas donné son nom et Erwin l'avait observé attentivement, le vendeur lui désignant alors sur le registre le nom de sa nouvelle acquisition, l'acheteur hochant alors la tête avant de s'éloigner avec le concerné. Il n'était pas du genre très loquace, fort heureusement le vampire était suffisamment bavard pour deux et même plus, de quoi combler les longs silences qui risquaient de rythmer parfois leurs échanges. Bah, il s'y ferait au bout d'un moment, comme tous les autres avant lui s'étaient habitués à ce Maître quelque peu excentrique, car tout était toujours une affaire de temps et ça, un immortel n'en manquait jamais. Le voir à demi nu, cela dit, lui plaisait et le dérangeait à la fois, cela dit il ne pouvait clairement pas lui donner son manteau parce que, reconnaissons-le, la différence de carrure était telle qu'il le lui craquerait rien qu'en essayant d'enfiler une épaule. Belle bête n'est-ce pas ?

"Vous auriez pu acheter l'autre humain. Vous savez ce qu'il va lui faire."

Ohhhh il savait parler ! Un sourire étira les lèvres de l'aubergiste qui le ravala pourtant rapidement, hochant la tête en arborant un air plus grave de circonstances.

- Oh oui je le sais, mais cette cité est régie par des règles et cet humain s'en sortira, ne t'en fait pas. Bien sûr il va souffrir pendant quelques semaines, mais cet abruti se lassera vite de ses jérémiades et le revendra au marché pour en choisir un autre plus silencieux. Tout est affaire de survie dans cette cité, et je ne peux sauver tout le monde, je n'ai pas ce genre d'influence.

Erwin tourna la tête pour observer Tiago, un léger sourire malin aux lèvres. Il percevait le frémissement de la peau exposée à l'air trop frais et accéléra un peu le pas, histoire qu'ils rentrent plus vite et que ce corps de mortel s'échauffe un peu, à défaut de pouvoir être couvert comme il convenait.

"Qu'est ce que vous attendez de moi ?"

Il ne le regardait pas en face, il ne tournait même pas la tête vers lui, fixant le chemin qui s'étendait devant son champ de vision, comme si tout ce qui lui importait était d'aller de l'avant, de ne pas s'arrêter, de survivre à tout prix... intéressante attitude, très intéressante.

- Je ne vais pas faire de toi mon jouet sexuel, si c'est ce qui t'inquiète. Non pas que tu ne sois pas agréable à regarder, mais j'ai besoin d'un employé pour mon auberge, pas d'un esclave. Puis je les préfère consentants tu vois.

Le vampire eut un large sourire amusé et provoquant, son regard glissant sur le corps de Tiago qui, décidément, était fort bien fait de sa personne, avant qu'il ne reporte son attention devant lui à son tour. Non, pas de distraction inutile, le boulot avant tout.

- Cela dit tu devras bosser aussi dur que les autres, tenir une auberge demande de la rigueur et de l'organisation. Tu aideras pour tous les travaux manuels et le port des charges lourdes, tu seras amené à donner un coup de main en cuisine occasionnellement et, si tu te comporte bien, je t'autoriserais peut-être à tenir le bar en mon absence à la place de ton collègue, ça lui permettra d'avoir un jour de repos en plus de temps en temps. Je suis très exigeant, je te préviens, mais si tu fais bien ton travail et que tu ne fais pas de vague, tu ne manqueras de rien.

Il réfléchit rapidement, évaluant les risques, les possibilités, se demandant s'il pourrait jamais se fier à cet humain-là... probablement pas, mais bon, les autres veilleraient au grain également.

- Tu m'appartiens désormais, Tiago, et ça signifie que nul n'a le droit de lever la main sur toi sans passer par moi, en-dehors de la Milice et de la famille royale, évidemment. Eux ils sont au-dessus de nous, qu'on le veuille ou non il te faudra vivre avec ça si tu veux pouvoir survivre.

L'immortel s'arrêta soudain, pivotant vers l'humain avec l'air de se rappeler soudain de quelque chose, tendant la main vers lui avec un sourire chaleureux.

- Oh je suis bête, j'ai oublié de me présenter. Erwin King, le seul, l'unique.

S'il ne lui serre pas spontanément la main, Erwin viendra prendre la sienne pour le faire, se faisant amical et bienveillant malgré sa paume froide, serrant sans chercher à lui écraser les phalanges, avec un contrôle certain de sa force, pour finalement relâcher sa main et se détourner, reprenant leur marche en direction de son auberge.

- Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, je n'ai aucun tabou, et si tu veux survivre je te conseille de ne pas provoquer les clients vampires que tu verras passer, sinon je devrais te corriger devant eux et je n'aimerais pas avoir à faire ça. Je ne suis pas assez vieux pour tenir tête à n'importe qui tu vois, et j'ai déjà suffisamment à faire avec moi-même.

Parce que autant il se moquait bien de s'exposer lui-même au danger, autant il savait que les lois vis-à-vis des mortels n'étaient pas forcément aussi charitables que l'on pouvait l'espérer. Ici ce n'était pas New Riverlake, ni non plus une colonie libre prônant l'égalité entre humains et vampires. Ici la royauté avait tout pouvoir et les immortels étaient les Maîtres incontestés, un point c'était tout. Si le beau brun voulait rester vivant, il avait tout intérêt à accepter cet état de fait et à cesser de foudroyer les gens du regard.


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"Pourtant vous l'avez fait avec moi."

- Je te l'ai dit, je ne peux sauver tout le monde.

Parce que si Erwin avait pu le sauver, lui, il était clair que Tiago ignorait comment les choses fonctionnaient au sein de la Cité. C'était un humain plein de rébellion, non pas un sauvage comme on se plaisait à les qualifier dans cette société pro-immortels, mais un homme qui avait été libre et qu'on avait arraché à sa condition pour lui mettre des chaînes et l'obliger à obéir comme un esclave docile courbant l'échine pour éviter le fouet. Il existait d'autres cités où ce genre de choses n'avait pas cours, mais ce n'était pas là-bas qu'il fallait agir, car il était aisé de prôner la bonne parole quand il n'y avait aucun combat à mener. Ici, à New Abbotsford, un vampire pouvait changer la vie d'un humain, en bien comme en mal, et c'était là que se trouvait toute la différence. C'est ce qui avait poussé l'aubergiste à interférer dans la vente du brun, au risque de se mettre à dos un vampire plus âgé et plus agressif, mais la ruse et sa nonchalance avaient eu raison de la méfiance de son adversaire et c'était, là encore, tout ce qui importait. Lorsque Erwin lui tendit la main, Tiago eut un mouvement de recul instinctif qui fit plisser les yeux du Strigoï, celui-ci lui laissant quelques secondes avant de finalement prendre d'autorité sa main dans la sienne, la serrant franchement avec un sourire ravi avant de reprendre sa route à ses côtés. par son Père, allait-il donc faire cette tête de dix pieds de long durant tout le chemin ? Son "oui maître" et le fait que ses paumes se mettent à embaumer le sang frais furent autant d'éléments qui trahirent le fond de sa pensée et l'aubergiste soupira, se disant que son bon cœur allait le perdre un jour et qu'il lui aurait été plus aisé de protéger l'autre enregistré plutôt que ce grand rebelle... Sauf que ledit rebelle aurait bien plus souffert que celui qui allait courber l'échine face à l'autorité, et il ne savait que trop bien ce qu'il advenait de ceux qui se montraient définitivement irrécupérables.

"Combien y a t'il d'humains à l'auberge ?"

- Avec toi, cela fera 6, mais vous n'êtes que trois à mon service, les autres appartiennent à d'autres vampires. Je te conseille d'ailleurs de prendre garde à ce que tu leur diras, qui sait ce qu'ils pourraient aller répéter à leurs Maîtres.

Un peu de prudence et de méfiance, malgré le léger sourire en coin de l'aubergiste, voilà qui devrait suffire à son nouvel Enregistré pour entrapercevoir la complexité d'une vie aux côtés des immortels... ou pas.

"Qu'est-il arrivé à celui que je remplace ?"

L'expression d'Erwin se fit plus grave et il porta son regard sur le chemin devant lui plutôt que sur Tiago, répondant d'une voix sérieuse pour une fois.

- La Fièvre Rouge l'a emporté.

Il retint un soupir, se remémorant son retour à New Abbotsford une fois que l'épidémie était passée, les retrouvailles avec ses Enregistrés et l'absence, douloureuse, de l'un d'entre eux.

- La Mort fauche toujours les meilleurs en premier.

Une brève inspiration inutile, puis le Strigoï tourna la tête vers l'ancien sauvage, un sourire éclairant alors son visage.

- Mais moi elle m'adore, du coup elle me laisse tranquille comme tu vois, pourtant ce n'est pas faute de lui avoir fait la cour.

Plaisanta-t-il avant de lui tapoter sympathiquement le bras, désignant du menton un bâtiment qui se dessinait au bout d'une grande rue.

- Regarde, on est presque arrivés. Dans quelques minutes tu vas pouvoir te laver, t'habiller chaudement et manger à ta faim. Je sais que tu préfèrerais ta liberté, mais il faudra t'en contenter.

Erwin l'observa, son regard se faisant plus grave à nouveau bien qu'un léger sourire demeura vissé sur ses lèvres.

- Je ne te demande pas de me faire une confiance aveugle, Tiago, mais si tu veux survivre dans cette cité, tu vas devoir faire comme moi et jouer selon leurs règles. Et d'ailleurs en parlant de ça...

Il s'arrêta et attrapa vivement le poignet de l'humain, le levant à hauteur de son visage pour le humer, frémissant un peu, pour finalement braquer sur lui ses yeux noirs brillant d'un éclat vif et acéré.

- Certains vampires pourraient prendre ça comme une invitation ou une provocation, alors évite de te blesser en pleine rue si tu ne veux pas avoir d'ennuis. Je ne voudrais pas avoir besoin de te défendre toutes les nuits, pas parce que je ne le ferais pas, mais parce qu'il y a bien plus anciens et dangereux que moi dans cette cité de rêve.

Ironisa-t-il sur les derniers mots, son sourire s'étirant un peu plus en coin, se faisant presque inquiétant alors qu'il relâchait le poignet de l'Enregistré, se détournant de lui pour prendre sa marche comme si de rien n'était. C'était presque comme s'il allait siffloter tant il semblait à nouveau parfaitement détendu, une vraie girouette que ce Strigoï-là.


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"La Fièvre Rouge ?"

- Oui. C'est comme ça qu'on a appelé cette maladie qui a frappé tout le monde il y a quelques temps, tu te souviens ? Enfin, tu étais peut-être encore aux cachots à ce moment-là en attendant d'être affecté aux travaux forcés... ou tu étais libre et loin.

Songea-t-il en l'observant gravement un instant, avant de rebondir sur le sujet de leur discussion initiale. Erwin lui expliqua brièvement qu'une fois arrivé il pourrait en quelque sorte faire peau neuve, mais cela ne sembla pas enjouer Tiago plus que cela, ce dernier allant même jusqu'à serrer si fort les poings qu'il se blessa les paumes, provoquant une réaction immédiate chez l'immortel qui lui déconseilla de faire ce genre de chose, surtout en public. Se rendait-il compte du danger que cela représentait d'agiter ainsi une odeur de sang frais dans une cité où les vampires devaient se restreindre sur ordre de la Reine ? Il était des lieux loin de cette cité où on versait allègrement le sang sans se préoccuper des conséquences, mais ici il était traité précieusement et le gâcher comme l'afficher avait le don d'attiser les humeurs des uns et des autres. Reprenant ensemble leur marche, le Strigoï se rendit compte que le silence de l'humain était devenu plus pesant et il soupira inutilement, continuant d'avancer comme si de rien n'était, lui jetant de brefs regards pour évaluer son humeur de plus en plus sombre. Lorsqu'il hésita sur le pallier de l'auberge, Erwin s'arrêta et pivota pour le scruter, immobile et silencieux, d'une patience qui semblait infinie, mais qui ne l'était que pour une seule raison. Quand enfin l'Enregistré entra, son regard fut plus parlant que le plus poignant des discours et l'aubergiste le fixa d'un air indéchiffrable.

- Cet endroit ne sera pas ta fin.

Lâcha-t-il avec une conviction profonde, dardant sur le brun des yeux d'un noir profond où brillait une vive lueur.

- Je sais ce que tu éprouves, Tiago, je l'ai éprouvé jadis, mais sache qu'ici c'est désormais ta maison, et probablement le seul endroit où tu pourras être à peu près libre dans toute cette cité. Je ne peux t'offrir la véritable liberté, alors il faudra te contenter de ça.

C'était à la fois réaliste et fataliste, mais Erwin ne voulait pas que l'humain se fasse de faux espoirs : il y avait pire en ce monde, mais il y avait aussi mieux, seulement à l'heure actuelle se présentait un entre-deux qu'il devait accepter s'il voulait continuer d'espérer à des lendemains meilleurs et s'il comptait rester en vie. L'aubergiste esquissa un léger sourire qui, s'il ne monta pas jusqu'à ses yeux, était au moins fait pour dédramatiser un peu.

- Allez viens, je vais te montrer ta chambre et les pièces qui vous sont réservées. Au fait, est-ce que tu connais ton matricule par cœur ? Cela te sera utile en cas de contrôle, et si quelqu'un t'ennuie tu donne mon nom et celui de l'auberge, j'en ferais mon affaire.

Restait à savoir de quelle manière mais ça, il comptait bien le garder pour lui, tout dépendant de qui chercherait des noises à son désormais protégé.


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Le cœur de Tiago battait à un rythme aussi affolé que s'il avait été en train de courir à perdre haleine pour fuir un danger mortel, et tout dans son attitude crispée trahissait cette angoisse qui semblait l'étreindre et faisait briller son regard d'un éclat inquiet, la nervosité lui asséchant très certainement la gorge à le voir ainsi s'humecter les lèvres avant de répondre, sa voix manquant de cette assurance qu'une telle carrure devait forcément receler... Erwin avait eu de longues années pour apprendre à déchiffrer les plus petites micro-expressions d'autrui et, à cet instant, il lisait en l'humain comme dans un livre ouvert, choisissant pourtant de ne pas le brusquer ni lui imposer sa clairvoyance, le laissant appréhender les choses à son rythme et se faire une première idée de la situation, fut-elle très certainement erronée et/ou incomplète. Au moins acceptait-il de le suivre pour visiter l'auberge, ce qui était bien mieux que s'il s'était accroché au chambranle de la porte en hurlant et frappant qui voudrait l'approcher.

"Oui je le connais...on m'a assez battu pour que je le garde en tête."

L'immortel s'immobilisa alors qu'il venait de passer la porte menant de l'accueil de l'auberge au couloir desservant l'arrière-salle, les cuisines et la réserve, tournant la tête vers Tiago qu'il fixa d'un regard sombre l'espace d'une brève seconde, avant de se détourner pour reprendre sa marche, son propre ton se faisant aussi dur et implacable qu'il n'avait été gentil et compréhensif l'instant d'avant.

- Ici nul ne lèvera la main sur toi si je peux l'empêcher. Dis-toi que tant que tu respecteras les lois de cette cité, je pourrais te protéger.

Même s'il n'était pas capable en vérité d'aller à l'encontre de la Milice ou d'un membre de la famille royale, même s'il n'était qu'un aubergiste à l'air débonnaire et rieur, toujours prompt à se moquer de tout et de tous... En cela Erwin ressemblait beaucoup à son frère de sang, il ne supportait pas que l'on touche à "ses" Enregistrés et désormais le grand brun qui marchait juste derrière lui tandis qu'il lui faisait faire le tour de l'endroit méritait sa protection et sa bienveillance, aussi limitées soient-elles.

"Beaucoup de vampires viennent ici ?"

- La majorité de nos clients sont des vampires et il y a une activité de plus en plus grande. Disons qu'à l'heure actuelle plus des deux tiers des chambres sont pour des vampires, la plupart d'entre eux dorment avec leur humain, mais certains leur paye leur propre chambre aussi, tout dépend du genre de relation qu'ils entretiennent.

Le Strigoï coula un regard en coin pétillant d'amusement, un léger sourire étirant ses lèvres alors qu'il observait Tiago d'un air appréciateur.

- D'ailleurs je serais toi, je prendrais garde aux demandes de certains clients, il y en a qui sont plus joueurs que d'autres et il ne faudra pas mal le prendre s'ils tentent de t'attirer dans leur chambre. En général un refus ferme suffit, tu n'auras qu'à leur dire d'aller à l'Oasis Pleasure s'ils veulent s'amuser. Et s'ils insistent, tu me les envois.

Le brun lui fit un clin d’œil complice, cherchant ainsi à dédramatiser la situation.

- Pas la peine non plus de jouer les offusqués, avec ton physique tu risques d'avoir du succès et nous autres vampires sommes particulièrement sensibles au charme et à la beauté. Surtout quand on peut sentir un cœur s'emballer dès qu'on s'approche un peu trop près, le côté prédateur sans doute.

Erwin rit de bon cœur, visiblement de bonne humeur malgré les échanges tantôt graves et tantôt légers qu'il avait avec son Enregistré, cherchant ainsi à habituer ce dernier aux changements souvent soudain et abruptes des immortels qu'il pourrait être amené à croiser... non, qu'il croisera forcément tôt ou tard, tout étant toujours une question de temps. Il allait falloir former Tiago, lui apprendre le fonctionnement de l'auberge et l'habituer à la vie en communauté vampire, mais ce qui serait le plus délicat, ce serait de s'assurer qu'aucun incident ne vienne perturber cet équilibre encore fragile. Même si l'Homme était doué pour oublier et ainsi s'adapter, la soif de liberté demeurait la chose la plus puissante qui soit, avec l'amour, et l'aubergiste ferait un bien mauvais Maître s'il oubliait cette leçon qu'il avait lui-même apprise jadis dans la douleur.


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Quelle humeur il avait ! Pour un peu Erwin aurait pu voir un nuage noir flotter autour de la tête de Tiago tant celui-ci semblait clairement enchanté -ironie- par la situation et le fait que non seulement certains vampires couchaient avec leurs Enregistrés, mais qu'en plus il existait un endroit spécifiquement dédié à des pratiques douteuses et, bien évidemment, le fait qu'il risquait fort d'être la cible de certaines attentions dont il ne voudrait pas, tout du moins pouvait-on le supposer à voir la façon dont il soupirait et se retenait, certainement, de grogner de mécontentement. Ah, s'en était presque drôle, n'eut été le sérieux avec lequel le jeune homme prenait les choses.

- Je te l'ai dit, s'ils ont les mains baladeuses, tu me les envoies et je m'en occuperais.

Le comment ne regarderait que lui, et l'aubergiste prendrait bien garde à ce que son nouvel enregistré ne le voit pas faire afin d'éviter qu'il pense que c'était une norme ou une chose qui se faisait. Non, le survivant ne comptait pas -trop- lui montrer le mauvais exemple, mieux valait qu'il file droit et qu'il ne s'inquiète de rien, ce qui serait déjà suffisamment difficile à garantir au vu du tempérament ombrageux de l'humain.

"Est ce qu'il y a d'autres choses que je devrais savoir sur les clients ?"

- Hmm... non, je ne crois pas, attends que je réfléchisse.

Fit le Strigoï en portant son index et son pouce à sa mâchoire, s'arrêtant pour y réfléchir sérieusement malgré une légère moue presque amusante. Les humains qui passèrent à côté d'eux ne leur jetèrent qu'un bref regard curieux, semblant bien nourris et bien traités, se hâtant à leur travail alors que Erwin abaissait soudain sa main, son poing frappant le plat de sa paume alors qu'il s'exclamait.

- Ah si ! Si jamais tu veux coucher avec l'un ou l'une d'entre eux, tu m'en parles d'abord d'accord ? Sinon je partirais du principe qu'il t'a forcé la main d'une façon ou d'une autre, et alors je ne répondrais de rien, ahahah.

Il rit, mais d'un rire qui sonnait tout sauf d'un réel amusement, le sourire qu'il arborait au coin des lèvres ne montant pas jusqu'à ses yeux alors qu'il levait la main pour la poser sur le bras du brun.

- De toute façon, quoi qu'il arrive, c'est moi que tu dois venir voir Tiago. Je suis ton Maître désormais, et même si tu n'aimes pas ce mot ni cette situation, je réponds de toi et c'est à moi de te protéger, d'accord ?

Le léger sourire disparu alors que la main se resserrait un peu sur le bras, sans se faire douloureusement pressante, mais suffisamment appuyée pour que l'humain sente la différence.

- Et si jamais je te dis de courir, quoi qu'il arrive, tu te casses et tu cours, c'est clair ? Et sans te retourner, peu importe ce que tu entendras derrière toi.

C'était là un étrange et singulier conseil, alors que les yeux noirs de Erwin fixaient son Enregistré avec une gravité inquiétante, sa main pressant encore un peu avant de lâcher tout à coup son bras, le Strigoï souriant de nouveau en faisant un pas en arrière, comme pour marquer la fin de l'étrange conseil, enfonçant nonchalamment les mains dans les poches de son pantalon.

- Bon et sinon, t'as mangé au moins ou ils vous affament pour pas que vous puissiez vous enfuir ? Tu dois avoir soif aussi, et froid. Je vais te montrer ta chambre et la salle de bain réservée au personnel, je dois pouvoir te trouver des vêtements propres à ta taille.


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