Erwin King ☾ Le retour du Roi... Non ?

☾ 2326 - "Et là elle lui dit "à ce prix-là j'aurais mieux fait d'aller chez le voisin""
C'est quasi immédiat et instantané, cet éclat de rire qu'il n'a pas pu contenir et ce sourire adorable qu'il a à chaque fois que Erwin arrive à le surprendre avec ses conneries. Erwin vient de raconter une blague à l'un de ses trop rares amis qui vivait à New Riverlake, la Cité où il s'était lui aussi établi depuis plus d'un siècle avec son Créateur, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il est fier comme un paon de son petit effet de surprise. Voir cette bouille d'ordinaire si sombre s'éclairer comme si on avait braqué un projecteur dessus, ça n'a pas de prix, d'ailleurs c'est ça qu'il aime faire : provoquer le rire chez autrui, voir un sourire illuminer leurs traits et entendre le son de leur voix débarrassée de toutes ces convenances de pseudo vampire trop dark qui traînent sur leur dos le poids de leur existence longue et moribonde. La vie est belle bordel ! Pourquoi est-ce que la plupart d'entre eux ne le comprennent pas ? Il suffit de voir les deux immortels en train de se raconter des conneries sous le dôme protecteur de la Cité pour comprendre qu'ils ont l'éternité devant eux pour savourer le bonheur qu'ils pourront s'octroyer, alors à quoi bon ruminer le passé ? L'ami ne manque pas de se reprendre, bien trop vite au goût du survivant qui sourit d'un air rusé, déjà prêt à lui raconter une autre pseudo anecdote qui ne sera rien d'autre qu'une histoire drôle inventée de toute pièce destinée à le dérider. C'est que le jeune vampire n'a pas connu le monde avant sa fin, il ignore comment c'était, ne peut que le deviner à travers les récits des plus âgés, mais Erwin met depuis plus d'un siècle un point d'honneur à lui montrer les aspects les plus amusants et divertissants de ce qu'il appelle "la grande époque". "D'ailleurs ça me rappelle cette fille que j'avais rencontré dans un bar à la Nouvelle-Orléans. Elle avait de ses jambes ! Tu aurais vu ! De vraies plantes grimpantes qui..." Et le voilà reparti de plus belle sous le regard amusé de son ami qui peine à retenir le sourire qui ourle déjà ses lèvres. Tout va si bien dans leur monde à eux, le passé est derrière, l'avenir est devant, mais eux c'est bien du présent dont ils veulent profiter. Même les non-morts ont le droit de trouver la vie belle, pas vrai ?


☾ 2025 - Qu'est-ce que tu fous là ? Sérieusement, depuis le temps, est-ce que tu ne penses pas que le moment est venu de lâcher prise ? Tout ce que tu as devant toi ce sont les mêmes murs carrelés, les mêmes chaînes qui te retiennent, les mêmes anneaux d'acier qui encerclent tes poignets, tes chevilles et ton cou. Et ces enfoirés qui te ponctionnent comme une vache à lait, qui discutent autour comme si tu n'existais pas, et ces expérimentations qu'ils ne cessent de faire. Avoue que tu préférerais être ailleurs qu'ici, pas vrai ? Oh ! Regardez comme son organisme réagit quand on laisse couler un peu de sang ici ou ici ! Oh ! Regardez ! Le sujet numéro je-sais-plus-combien présente des signes d'agressivité, et si on lui collait quelques injections pour l'aider à s'apaiser ? Ce serait dommage de gâcher les essais. Et toi dans ta tête, est-ce que tu n'essayes pas un peu de t'évader, là tout de suite ? Non parce que tu sais que je ne suis pas vraiment là, tu le sais n'est-ce pas ? Que tu te parles à toi-même, que tu essayes d'oublier ce qu'ils sont en train de te faire. Chanter de vive voix ? Mais t'es con ou quoi, tu veux qu'ils te muselle comme la dernière fois ? Tu sais bien que si tu deviens dingue, ils vont te dégager vite fait comme l'autre mec avant toi. Mais si rappelle-toi, le petit blond là, qu'avait un visage d'ange et qui pleurait tout le temps. Toi tu n'as pas appelé ton Père, pas vrai ? Pas de vive voix en tout cas, pas même lorsqu'ils t'ont arraché des hurlements de douleur parce que, oups, c'est vrai, ton métabolisme évacue trop vite les anti-douleurs. Oh bordel, qu'est-ce que tu ne donnerais pas pour sortir d'ici, pas vrai ? Revoir le ciel nocturne une dernière fois, contempler les étoiles et te dire que tout ça n'était qu'un mauvais rêve... Dis, tu crois qu'on va crever ici ? Bah ouais "on", je suis avec toi mon pote, pour le pire et le bien pire encore, p't'être même l'enfer si on arrive à retrouver notre billet. Allez avoue, t'as sourit à ma connerie, avoue que c'était drôle comme jeu de mots. Non ? ... Menteur.

- Docteur, regardez.
- Hm ? Ah... Je pense qu'une pause s'impose, nous reprendrons plus tard. Mettez-lui une perfusion de 2 et attachez-le solidement.

Hey, tu as entendu ? Une pause s'impose, elle est bien bonne celle-là ! Continue de sourire imbécile, tu vois bien que ça les inquiète, faut dire aussi que tu pars vraiment en vrille là, à parler à quelqu'un qui n'est même pas là... T'en fait pas mon vieux, je te lâcherais pas. Ne craque pas mon pote, on les aura ces salauds tu verras.


☾ 2017 - Son cœur ne bat plus et pourtant il a l'impression qu'il martèle violemment sa poitrine. Son souffle n'est plus nécessaire et pourtant sa cage thoracique bouge sous le coup de l'agitation qui le tient, alors qu'il darde sur celle qui repose entre ses bras un regard chargé d'amour et de désespoir mêlés. Ils ne peuvent plus être ensemble et pourtant il ne veut pas s'éloigner d'elle, il ne veut pas l'abandonner... c'est trop dur, c'est injuste. Assis sur le sol, elle comme alanguie contre lui, le monde peut bien les oublier, il pourrait rester ainsi éternellement.

- Donne-la-moi, Fils.
- NON !!!

Erwin recule vivement, entraînant avec lui sa petite-amie qui repose entre ses bras, ceux de la jeune femme remuant faiblement dans le vide, dépossédés de toute énergie, de toute vie. Sa peau est d'une pâleur extrême, son teint livide et ses lèvres déjà bleutées. Le jeune strigoï enrage et lance un regard furieux à son Père, lui hurlant dessus à peine amorce-t-il un pas pour s'approcher, enragé, désespéré.

- Ne la touche pas ! Elle est à moi ! LAISSE-LA !!!

Le vieux vampire darde un regard désolé sur son infant âgé d'à peine quelques mois. Il n'a pas été assez ferme, il n'a pas voulu l'empêcher de commettre cette erreur que tant d'autres à sa place ont commise. La jeune femme qui partageait sa vie d'humaine avec le barman est morte, tuée par celui qu'elle venait de retrouver, qu'elle croyait devoir enterrer... et c'est elle qui finira six pieds sous la surface dans quelques jours, lors de ses funérailles.

- Elle est morte, Fils.

Le regard du brun se baisse sur le corps sans vie qu'il tient entre ses bras, un sanglot lui enserre la gorge et il plonge son nez dans les cheveux de la belle, laissant échapper un râle de souffrance déchirant face à la réalité qu'il refuse d'accepter. L'aîné s'approche d'un autre pas et soudain son infant bondit de nouveau sur ses jambes, reculant de nouveau, les crocs apparents comme prêt à se battre.

- J'ai dit non !!! Tu ne comprends pas... Elle avait confiance en moi !!! Je n'ai pas pu lui dire... je n'ai pas pu l'e... la...

Des larmes carmines roulent sur ses joues alors qu'il glisse au sol, entraînant le corps avec lui, la serrant contre lui, l'une de ses mains caressant la joue glacée de la jeune femme sur qui il darde un regard éperdu. Il resta ainsi durant de longues secondes, imprégnant dans son esprit le visage de celle qui ne rouvrirait plus jamais les yeux, puis finalement releva son visage maculé de sang vers son Père, entre rage et impuissance.

- Comment tu fais pour... pour vivre avec ça ?!

Et l'aîné eut une ombre de sourire triste sur les lèvres, s'approchant finalement sans que Erwin ne cherche à se soustraire à sa présence. Il darde son regard glacé sur le cadavre de l'innocente, puis le remonte sur le visage dévasté de son infant. Il apprendra à vivre avec, comme eux tous, mais en attendant ce n'est pas tout à fait ce qu'il a besoin d'entendre.

- Elle vivra dans tes souvenirs Fils, comme tous ceux qui nous quittent. Tout comme les humains qui perdent des êtres chers mais qui continuent d'avancer, nous devons prendre le temps de pleurer, mais pas de rester sur place. C'est ainsi que va le monde mon Fils.

Il avait parlé d'une voix presque douce, avec cette sagesse dont il avait souvent fait preuve lors de leurs échanges, quand son infant croyait encore qu'il n'était qu'un vieux malade venant traîner au bar pour passer le temps. L'ancien tendit une main qu'il posa sur l'épaule du brun en un geste de réconfort, se relevant ensuite avec lenteur pour ne pas le brusquer, le visage grave à présent.

- Je te laisse une minute, ensuite nous devrons partir.

Erwin le regarda s'éloigner vers la porte, attendant qu'il la passe avant de laisser sa tête revenir s'échouer près de celle de la morte, sa joue caressant la sienne avant qu'il n'enfouisse son visage dans le creux de son cou.

- Pardonne-moi... Pardonne-moi ma Princesse, pardonne... moi... Je voulais juste te revoir, tu me manquais tellement... et maintenant tu... Je ne verrais plus jamais ton sourire, je n'entendrais plus jamais ta voix.

Il étouffa un sanglot et la serra plus fort encore, se balançant d'avant en arrière en gémissant de chagrin tandis qu'il se rappelait comment il avait commis l'irréparable. Elle avait ouvert la porte avec un air surpris, presque choquée de le voir debout devant elle, indemne alors qu'il était porté disparu depuis plusieurs semaines. Il avait sourit avant d'entrer, de s'avancer pour l'embrasser, trop heureux de la revoir. Elle n'avait pas cherché à le repousser, elle était si soulagée, même si elle comptait bien lui demander pourquoi... Pourquoi, c'est ce que ses yeux avaient semblé
demander tandis qu'il la vidait de son sang quelques secondes plus tard, alors que l'envie d'être avec elle s'était vue supplantée par sa soif pourtant rassasiée quelques heures auparavant. Son Père l'avait prévenu, il était trop tôt, il était trop affamé, même pour les siens, trop passionné, trop incontrôlable... La pauvre avait hoqueté sous la douleur et la faiblesse qui s'emparait d'elle, et pourtant elle avait murmuré son prénom, murmuré son amour avant que la mort ne l'emporte. Erwin s'immobilisa dans son balancement, relevant la tête pour darder son regard sombre sur le corps inanimé entre ses bras, sur ce visage à l'expression si paisible dans la mort. Le strigoï la fixa ainsi, puis comme un calque s'imposant à sa vision il se rappela ce visage éclairé d'un sourire amusé, et il lui sembla entendre le rire de la jeune femme alors qu'il venait de lui sortir une plaisanterie taquine. Elle lui avait frappé le bras du plat de la main avant de l'enlacer, riant avec lui de sa bêtise et, comme une réplique de ce souvenir, un faible sourire étira les lèvres d'Erwin qui vint embrasser tendrement le front glacé du cadavre, ayant l'impression de la sentir encore, là à ses côtés, alors qu'elle n'était pourtant plus.

- Adieu ma Princesse... Puisses-tu être heureuse sans moi, où que tu sois.

Le jeune vampire allongea avec précautions celle qui avait été la dernière et la première de deux existences vouées à ne jamais coexister. Il caressa ses cheveux blonds, replaçant une mèche avec un sourire triste au coin des lèvres, venant embrasser les siennes une dernière fois avant de se lever. Son souffle disparu progressivement tandis qu'il la fixait, immobile, son cœur morcelé cessa de s'agiter inutilement et, après un dernier regard sur le corps gisant au milieu du salon, il se détourna pour gagner la porte de l'appartement en essuyant son visage du revers de ses manches, laissant des traînées rougeâtres sur sa peau pâle. Son Père pivota pour l'observer d'un air faussement détaché, hochant simplement la tête avant de sortir une lingette humide de sa poche, le débarbouillant comme si cela lui était naturel -et sans doute cela lui était-il- avant de l'accompagner au-dehors. La vie mortelle d'Erwin avait définitivement pris fin ce soir, sa nouvelle vie de vampire commençait désormais.


☾ 2023 - Ils étaient là, l'un en face de l'autre, leurs regards aussi solidement vissés que possible alors que les scientifiques déambulaient autour d'eux en commentant leur expérience comme s'ils ne pouvaient pas comprendre, comme s'ils n'écoutaient pas, comme s'ils n'enduraient pas l'enfer par leur faute... Ils valaient moins que des animaux pour ces humains, moins qu'une mauvaise herbe qu'on foulerait du pied sans même s'en rendre compte. Il les détestaient tous. Il voudrait les voir ramper et supplier, il voudrait les égorger, non pas pour boire car leur sang devait être vicié vu ce qu'ils étaient capables de faire, mais juste pour le plaisir de les voir agoniser sous son regard, les entendre gémir et pleurer, puis finalement les tuer comme les monstres qu'ils étaient. Avant il n'avait jamais éprouvé cela pour ceux qui étaient jadis ses semblables, avant il n'avait jamais souhaité la mort de quelqu'un avec autant de hargne, mais voilà... Le vampire qui lui fait face vient de se faire torturer sous ses yeux gratuitement, cette fois ils ont commencé par lui, juste parce qu'ils voulaient voir ses propres réactions, comme s'il était étonnant qu'ils éprouvent de l'empathie, des sentiments... Bande d'enfoirés ! Erwin regarde les blessures de celui qu'il connaît depuis longtemps maintenant, même si sans aucun autre repère que ce genre de séances, il ignore la durée exacte de son emprisonnement ou de celle de celui qui endure à ses côtés les essais des scientifiques. Ils l'ont amené un jour dans sa cellule et ils ont eu quelques brefs instants pour essayer de se rassurer mutuellement, de se dire qu'ils allaient s'en sortir, qu'ils devaient tenir bon, que ces salauds ne les auraient pas... Juste avant que lesdits salauds ne viennent les chercher pour faire des tests "groupés". Depuis ils partagent l'enfer ensemble, endurent la douleur ensemble, jusqu'à verser des larmes de sang, jusqu'à finir par hurler l'un à côté de l'autre, l'un en face de l'autre, mais toujours leurs regards se retrouvent et ils y lisent depuis comme dans un livre ouvert, échangeant des sourires manquant de force, mais pas de bienveillance ni de compassion l'un pour l'autre. Ils n'ont besoin d'aucun mot, d'à peine quelques micros signes qu'ils s'échangent sous forme de code qu'eux seuls comprennent et Erwin sait, au fond de lui, que celui qu'il surnomme "Honey"dans son esprit  partage la même haine viscérale que lui pour leurs bourreaux. Et à présent que les scientifiques en ont terminés avec lui et que leurs assistants ont fini de nettoyer leurs outils, ils se tournent à présent vers Edwin, prêts à lui faire endurer un sort identique. Le jeune vampire prend alors une rapide inspiration, sentant la panique s'emparer de lui, puis son regard dépasse les silhouettes en blanc tachetées de sang pour se river sur la silhouette de Honey. Il voit la souffrance dans son regard et sur ses traits, mais il y lit aussi sa détermination à rester "vivant"... alors il inspire, le Erwin, il inspire même s'il n'a pas besoin d'oxygène pour "vivre", il gonfle sa cage thoracique et se redresse malgré les entraves, lançant un regard défiant chargé de rage à l'encontre de leurs bourreaux si pressés de s'amuser avec lui.

- Allez-y, j'vous attends.

Une ultime bravade dans un rictus souriant trompeur... Mais bordel, ce que ces salopards sont doués pour le faire hurler.


☾ 2026 - Là, il te tient et il ne te lâchera pas, ce n'est pas la peine de t'accrocher comme ça à lui et pourtant... Tes paupières peinent à rester ouvertes, pourtant tes yeux ne cessent de chercher à voir son visage alors que tu le sens t'emporter à travers les couloirs de cet enfer. Tu entends les cris et les hurlements, tu sens l'odeur du sang et de la mort, de la fumée et des médicaments. Peu importe le monde, peu importe ce qui se passe, tout ce que tu vois, c'est qu'il est venu te chercher.

- Père

Parce que tu le reconnais malgré ton état pitoyable, parce que tu sens sa présence avec autant de force que celle dont il fait preuve pour t'emmener loin de cet endroit. Il baisse brièvement les yeux sur toi, une ombre de sourire effleure ses lèvres fines et son expression jusque-là si sombre s'éclaire à peine, faiblement. Il est heureux de te voir reprendre conscience, tu le sais, tu le sens.

- Oui je suis là. Repose-toi Fils, je m'occupe de tout.

Et il a dans le regard cet éclat de fureur tranchante, cette volonté de tuer, cette soif de vengeance qui appelle le sang de toute sa puissance. Il vibre presque tant son énergie est toute entière dirigée sur cette évasion, sur cette attaque qui a eu lieu sur le laboratoire pendant qu'au-dehors la guerre fait rage. Lui n'a eu qu'un seul objectif : te libérer, te sauver et t'emmener loin d'ici. Les couloirs défilent tout autour de toi, tes pieds voient passer les différents revêtements de sol à mesure que vous quittez la zone d'emprisonnement, que vous traversez celle des expérimentations pour finalement arriver dans les zones accessibles au public. Les cadavres jonchent le sol et le mobilier, le sang a éclaboussé les sols, murs et plafonds, les visages des morts sont tordus dans d'atroces grimaces de souffrance et de terreur, des hurlements résonnent encore, entrecoupés des pleurs de rage et de chagrin de ceux qui ne retrouvent que les cadavres de leurs infants. Et toi... toi tu en as réchappé et ton Père t'emmène au-dehors, refusant de te laisser voir si tes jambes pourraient te soutenir. L'urgence de la situation ne tolère aucun sentimentalisme supplémentaire, aucune tentative hasardeuse. Dehors ce n'est guère enviable, l'enfer semble se déchainer ici aussi et la folie semble s'être emparée du monde entier. Les paupières de Erwin retombent, l'épuisement est encore trop grand, il ne se souvient même plus de la dernière fois qu'on l'a nourri et c'est un infant inerte que son Créateur emporte loin du danger qui menace désormais d'une toute nouvelle façon, d'une toute nouvelle horreur. Les Enragés viennent de faire leur apparition.



☾ 2016 - Il est là, les yeux levés vers le ciel nocturne, la respiration lente et profonde, mais le cœur battant pourtant à tout rompre. Il y a sans doute des étoiles, là en haut, mais la pollution lumineuse de la grande ville ne lui permet pas de les voir, alors il se les imagine tandis que son regard s'embue malgré lui sous le coup de l'émotion. La nuit est si belle, la vie aussi, c'est vraiment pas le moment de broyer du noir et pourtant... Des pas s'approchent et une silhouette apparaît en contreplongée, un visage familier qui l'observe d'un air grave, penché au-dessus de lui. Ils ne se connaissent que depuis quelques mois, lui "l'ancien" comme il le charrie toujours chaque fois qu'il vient le voir à son bar, parce qu'il a des manières de vieux d'un autre temps, qu'il ne cause jamais pour ne rien dire, et qu'il s'est mis à l'appeler "fils" à force que le barman lui dise "oui papa" en rigolant chaque fois qu'il lui fait la leçon sur son comportement. Deux hommes qui n'ont rien en commun, pourrait-on dire, et qui pourtant cette nuit se retrouvent dans la même ruelle, l'un penché au-dessus de l'autre.

- Bonsoir Erwin.

Un sourire étire faiblement les lèvres du brun qui garde le silence, son regard se rivant à celui de l'homme au teint si pâle qu'il s'est toujours demandé si le mec n'était pas gravement malade. Une toux le prend en traître et il crache un peu de sang qui s'écoule en filet le long de sa joue. C'est qu'allongé ainsi sur le dos, la gravité fait son œuvre et il n'a pas la force de lever une main jusqu'à sa joue pour l'essuyer.

- Je t'avais dit que ces raccourcis étaient dangereux, tu ne m'écoute jamais.

Non, mais en même temps il n'écoute jamais personne, d'ailleurs l'ancien le sait, il n'a même pas l'air énervé ou inquiet tandis qu'il s'accroupit à ses côtés et que son regard balaie le corps meurtri de l'humain qui agonise. Il soulève d'une main celles de celui qui cachait la blessure d'un coup de couteau mortel, celui-là même qu'il a reçu d'un vulgaire braqueur croyant que le brun avait beaucoup d'argent sur lui, lui qui touche à peine de quoi gagner sa vie. Un froncement de sourcils est tout ce qui trahit le mécontentement de l'ancien dont la voix demeure d'un calme imperturbable.

- Tu te meurs.
- J'a...

"J'avais remarqué", voudrait-il répondre, mais une autre toux le saisit et un râle lui échappe alors que son regard peine à demeurer accroché à la silhouette. Il devrait se demander pourquoi il ne l'aide pas, pourquoi il n'appelle pas les secours, mais son esprit en manque d'oxygène dérive et le fait sourire un peu plus, sa voix eraillée lâchant une boutade en lieu et place d'une supplique.

- Je trouvais... le sol con... fortable...

Il voudrait rire, mais c'est un sanglot étranglé qui lui échappe alors que l'homme à ses côtés ne bouge ni ne bronche pas, le scrutant de son regard noir comme la nuit, alors que Erwin reporte son attention sur le ciel sombre au-dessus d'eux.

- T'es vraiment... un cas toi... Mais ça m'f... ait chier de... finir comme... ça.

Erwin sourit, un sourire faible et triste, alors que son esprit rembobine déjà le fil de sa vie et que son regard se voile progressivement. L'homme à ses côtés secoue la tête et se penche, passant un bras derrière sa nuque pour le soulever jusqu'à lui.

- Pas ce soir Fils. Ton heure n'est pas encore venue.

L'humain tique et son esprit se raccroche à ces paroles, son regard se tournant vers son ami juste à temps pour voir briller des dents anormalement longues. L'espace d'une seconde il se dit qu'il hallucine dans son agonie, puis la douleur dans son cou lui arrache une légère grimace alors qu'il se rappelle ces histoires qui ne sont censées être que des fictions. Il laisse échapper un soupir, fermant les yeux, sentant un liquide chaud goutter sur ses lèvres. Est-ce qu'il doit boire ? Est-ce qu'il doit vraiment faire ça ? C'est du délire complet et pourtant... Il refuse de mourir, là dans cette ruelle crasseuse, alors il ouvre plus grand la bouche, alors il laisse le sang faire son office, s'accrochant faiblement à cette échappatoire, avant de rendre un soupir, le dernier de son existence de mortel.


☾ 2386 - Après l'Europe, ce fut l'Asie, puis le Nouveau Continent. New Bellingham d'abord, puis ensuite New Riverlake quelques dizaines d'années après le coup d'état qui s'y était déroulé. L'existence était faite pour découvrir de nouvelles choses, mais le Créateur de Erwin avait à cœur de protéger son infant et de lui apprendre tout ce qu'il convenait. Oh bien sûr, il avait régulièrement besoin de s'absenter pour aller s'assurer que ses autres infants se portaient bien, chose naturelle selon le "petit dernier" de la famille, mais il revenait toujours auprès de lui, mû par cet instinct protecteur et le fait que son fils avait le don pour se faire tantôt adorer, tantôt détester. Veillant d'un œil critique, quoique tolérant, il apprécia le voir s'entourer d'immortels soit plus âgés, soit plus influents, observant son manège et le jugeant au bout de trois siècles capable de se débrouiller définitivement seul. Puis survint l'invasion sur New Abbostford, violente, brutale et indigne de cette paix si chèrement acquise. Le Créateur de Erwin ne s'en mêla pas, évidemment, mais c'était sans compter sur son infant et sa propension à s'indigner de certains comportements qui avaient causé la fin du monde tel qu'il l'avait jadis connu.

- Tu n'iras pas mon fils, tu te feras massacrer comme les autres.

- Mais il faut faire quelque chose Père ! On ne peut rester les bras croisés !

- Avec le temps tu apprendras, il ne nous appartient pas d'embrasser une cause, toi-même jusqu'à présent t'en est toujours abstenu. Ne te détourne pas de tes convictions profondes.

- Mais cette cité au loin là-bas que je ne connais pas ne mérite pas tout ça. Tous ces gens massacrés...

L'ombre était revenue à la charge sur le visage de Erwin et son Créateur l'avait parfaitement vue. Il avait compris, il devinait les souvenirs qui refaisaient surface, comme à chaque fois qu'il était question de guerre et de morts. Il avait feint un soupir, levant les yeux au plafond avant de venir poser sa main sur son épaule.

- Les représailles s'organisent. Attends donc que cette cité soit reprise par sa Reine, l'on murmure qu'elle s'est enfuie avec le Roi de New Riverlake, les connaissant tous deux je suis certain qu'ils vont contre-attaquer. Attends te dis-je, puis une fois le danger écarté, va donc t'y installer.

L'expression de Erwin fut certainement parlante puisqu'une ombre de sourire étira le visage de son Père vampirique.

- Je sais ton désir de t'affranchir de ma présence. Tu iras donc là-bas, l'on dit que Lucrezia De Conti dirige d'une main ferme et je sais que tu y croiseras de vieilles connaissance, tu seras donc bien entouré j'en suis sûr.

Un regard entendu entre les deux immortels, un échange silencieux chargé de compréhension alors qu'ils se souriaient légèrement avant de s'étreindre chaleureusement. Le sort en était ainsi jeté, Erwin attendant la libération de New Abbotsford pour s'y rendre, se présentant à la Reine et affirmant vouloir s'installer pour au moins plusieurs décennies, peut-être même plusieurs siècles si les affaires marchaient bien. Refusant les postes à responsabilité, il suggéra de profiter de la reconstruction pour ouvrir une auberge qui permettrait aux voyageurs, visiteurs et commerçants de passage dans la Cité d'avoir un endroit où se reposer. Obtenant toutes les autorisations nécessaires, il remercia sa majesté et s'en alla faire ce pour quoi il était venu : construire une nouvelle vie.


☾ 2388 - Les débuts furent difficiles, mais fort heureusement au bout d'une année de dur labeur, Erwin parvint à finir d'aménager son auberge et embaucha même un peu de personnel pour lui éviter de rester toujours derrière le comptoir ou bien de s'occuper des chambres. Si son commerce fut mis à mal par la Fièvre Rouge qui ne manqua pas de faire fuir les clients et d'emporter l'un de ses employés, il parvint à garder la tête hors de l'eau jusqu'à-ce que les choses se calment et que, enfin, il puisse reprendre une activité normale. Ayant échappé à l'infection, il décida qu'il était temps pour lui de remonter ses manches et d'étendre un peu son influence à sa façon.